La conférence annuelle de l’International Council of Christians and Jews (ICCJ) s’est tenue cette année du 20 au 23 juin à Istanbul. Ayant pour thème un extrait de la Sourate 49 du Coran, “So that we may know one another” (“Afin que nous puissions nous connaître l’un l’autre”), cette conférence entendait soulever la délicate question d’un “trialogue” incluant juifs, chrétiens et musulmans.
L’ouverture du dialogue à un troisième partenaire pose de nombreuses questions d’ordre pratique, conceptuel et épistémologique. Conscients de l’ambition d’un tel projet, les participants à la conférence ont été partagés entre appréhension et enthousiasme. La qualité des intervenants musulmans, la douceur de leur caractère et de leur pensée, ont cependant contribué à dissiper quelques doutes quant au bien-fondé de la démarche trilatérale.
Certainement, les voix juives ont été celles qui ont le plus contribuées à établir le cadre théorique et les limites d’une conversation tripartite. Il a été rappelé que la Bible ne connaît pas de “dialogue à trois” ; elle ne présente que des relations bilatérales (que serait en effet un “trialogue” si ce n’est une cacophonie ?). De son coté, Susannah Heschel a su définir de manière très stimulante ce que serait le fonctionnement d’une discussion trilatérale : le troisième partenaire jouerait finalement le rôle de témoin momentané d’une conversation entre les deux premières parties ; la combinaison des partenaires en discussion pouvant bien entendu évoluer. Ce fonctionnement éviterait ainsi la configuration du “deux contre un” ou du “un contre deux”, puisque le troisième partenaire (qu’il soit présent physiquement ou à l’esprit des partenaires en dialogue) serait toujours pris en compte dans l’échange en cours. Encore à l’état de théorie, cette dynamique conversationnelle à trois nécessitera d’être testée.
L’ICCJ n’envisage cependant pas d’évoluer dans un avenir proche vers une structure incluant de manière permanente des musulmans. Sa vocation se limite explicitement à la promotion du dialogue judéo-chrétien.
La plupart des contributions des conférenciers sera disponible sur le site Internet de l’ICCJ. Gageons que leur contenu et leur orientation susciteront des réactions décisives pour le futur des relations judéo-chrétiennes.
Ne figurera cependant pas sur ce site ce qui fit la spécificité de cette réunion annuelle de l’ICCJ : sa localisation à Istanbul. Première conférence de l’ICCJ dans un pays ne comptant aucune association affiliée, la conférence de cette année avait pour objectif de promouvoir le dialogue inter-religieux dans un pays de culture musulmane fonctionnant selon un régime de laïcité original. Ce cadre si particulier de la laïcité turque, les participants à la conférence ont pu le découvrir par le biais de leur rencontre avec les minorités juives et chrétiennes du pays. Communautés fragiles dans un pays dont l’État contrôle toutes les religions, les communautés juives et chrétiennes ont témoigné de leur intérêt pour les travaux de l’ICCJ. Il reste que si nos échanges avec les minorités locales furent chaleureux, tout n’a pas pu être dit –la fragilité même de ces communautés ne les autorisant pas à se risquer à une liberté de parole telle que nous la connaissons et la chérissons en Europe occidentale, et plus largement en Occident.