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Homélie du père Michel Remaud pour la messe du dimanche lors de la Session « Découvrir le judaïsme »

à l’Abbaye N-D de Melleray, 13 – 18 juillet 2010

lors de la session d’été 2010 "Découvrir le judaïsme"

18 juillet 2010, 16ème dimanche C
Textes du jour :
 Gn 18,1-10a
 Col 1,24-28
 Lc 10,38-42

Si nous avions dû choisir nous-mêmes les textes bibliques de cette messe pour conclure notre session, je crois que nous n’aurions pas fait mieux que la Providence !

Nous avons entendu d’abord le récit de l’accueil des trois hommes par Abraham aux chênes de Mambré.
La tradition d’Israël nous raconte qu’Abraham avait une tente ouverte aux quatre vents et qu’il y offrait l’hospitalité à ceux qui allaient et venaient. Lorsqu’ils s’étaient restaurés et qu’ils voulaient le remercier, il les invitait à remercier plutôt le Créateur. Et s’ils lui demandaient : « Que devons-nous dire ? », il leur répondait : « Béni soit le Créateur du monde, puisque nous avons mangé et bu de ce qui lui appartient. »
Abraham révélait aux païens le Dieu unique en leur apprenant à dire merci.
De sorte qu’entrer sous la tente d’Abraham, c’était, nous dit la Tradition, entrer sous les ailes de la Shekhina, sous les ailes de la Présence divine.
C’est, résumé en peu de mots, ce que nous avons essayé de comprendre et de vivre au cours de ces cinq jours : les païens entrent sous les ailes de la Shekhina en acceptant l’hospitalité d’Abraham, en qui sont bénies toutes les familles de la terre (Gn 12,3).

Saint Paul ne fait que développer la même vérité quand il résume en quelques mots en quoi consiste son ministère, ce qu’il appelle le dévoilement du Mystère chez les païens. Il le redira plus amplement dans son épître aux Éphésiens : « Les païens sont admis au même héritage, membres du même corps, bénéficiaires de la même promesse, dans le Christ Jésus, par le moyen de l’Évangile » (Ep 3,6). L’Évangile, c’est d’abord cela : l’entrée des païens sous la tente d’Abraham pour avoir part à sa bénédiction.
Dans l’avant-dernière version de la déclaration Nostra Ætate, on pouvait lire : « L’Église du Christ reconnaît avec gratitude que les prémices de sa foi et de son élection se trouvent, selon le mystère divin du salut, dans les patriarches, Moïse et les prophètes. » Avec gratitude. Malheureusement, ces deux mots ont disparu de la version finale du document conciliaire. La raison invoquée était que la formule était ambiguë : on ne savait pas si l’expression de la gratitude s’adressait à Dieu ou aux patriarches et à leur descendance. On peut le regretter.
Je crois que nous devons apprendre à associer dans une même gratitude celui qui est à l’origine du don et le médiateur, Israël, par lequel le don nous est parvenu. Nous n’avons pas reçu la bénédiction directement — sans doute l’aurions-nous préféré — mais par la médiation d’Abraham et de sa descendance.

C’est une autre scène d’accueil que nous raconte l’Évangile.
Je crois que le récit de la visite de Jésus chez Marthe et Marie illustre deux conceptions de l’accueil.
Pour Marthe, accueillir, c’est mettre les petits plats dans les grands. Et c’est très bien. Nous savons tout ce qu’implique l’accueil, et pas seulement autour de la table. L’accueil est bien plus qu’une question d’organisation matérielle. Nous en avons fait l’expérience au cours de cette semaine, et il n’est pas déplacé de renouveler ici l’expression de notre gratitude.
Mais, pour en revenir à l’Évangile, Marthe a l’air de croire qu’il n’y a pas d’autre manière d’accueillir que de donner.
Or, Marie, en écoutant, pratique une autre forme d’accueil, qui n’est peut-être pas toujours plus facile.
Ici, je pense évidemment à l’histoire bimillénaire de nos relations entre chrétiens et juifs.
Nous chrétiens, nous étions persuadés que nous avions tout à donner et que nous n’avions rien à recevoir. Naïvement, ou moins naïvement, nous avons pensé que nous avions tout et qu’ils n’avaient rien, et que la charité devait nous conduire à leur faire partager nos richesses, en oubliant que les seules richesses dont nous pouvions nous enorgueillir nous étaient parvenues par leur intermédiaire. Nous parlions, et nous leur demandions d’écouter.
Je crois que notre époque nous fait vivre le début d’un bouleversement dont nous ne mesurons pas la portée. Pendant des siècles, dans les sociétés chrétiennes ou dites chrétiennes, les juifs ont été réduits au silence, et souvent sommés de nous écouter. Aujourd’hui, nous commençons à écouter les juifs. Nous commençons à réaliser que la Parole qui nous sauve nous est parvenue par leur intermédiaire.
Jamais nous n’aurions entendu la Parole de vie et de salut si Israël n’avait entendu avant nous : « Écoute, Israël. » (Dt 6,4).
Qu’Abraham et Marie nous obtiennent, par leur intercession, d’apprendre à écouter et à recevoir, dans la gratitude et l’humilité.

La Melleray

A lire en complément : Retour de l’Abbaye de Notre-Dame de Melleray