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Bernadette Avon : À propos des relations Judaïsme / Christianisme

De même que la mère se sépare de l’enfant qu’elle a porté, le judaïsme s’est séparé du christianisme qu’il a porté. De même que la mère et l’enfant mèneront une vie autonome sans pour autant se renier l’un l’autre, le judaïsme et le christianisme vivent côte à côte tout en n’oubliant pas les liens qui les unissent.

À propos des relations Judaïsme / Christianisme

La lecture de deux ouvrages de manière à peu près concomitante me conduit à porter un regard particulier sur les relations entre judaïsme et christianisme et plus précisément au sens que peut avoir leur séparation.

Dans le 1er ouvrage : l’exhortation apostolique « La joie de l’Évangile » du pape François, je suis touchée par l’insistance du discours à propos de l’inculturation universelle du message évangélique, à la fois sa capacité à pénétrer toutes les cultures et la nécessité où les porteurs de ce message sont tenus de le faire dans la mesure où ils veulent partager la joie de la « Bonne nouvelle du salut pour tous les hommes ».

Dans le second ouvrage : « La partition du judaïsme et du christianisme » de Daniel Boyarin, c’est la distinction de nature dirais-je entre le christianisme qui est « religion » et le judaïsme qui est religion également, mais pas seulement, qui est aussi culture, peuple, lieu d’identité… éléments inséparables les uns des autres, autrement dit une entité « qui refuse d’être une religion ».

La conclusion que j’en tire est que le judaïsme est vitalement nécessaire au christianisme. J’enfonce peut-être là des portes ouvertes, mais je vais essayer de m’expliquer. Puisque le christianisme a cette capacité d’entrer dans toute culture, il risque de perdre de vue ses racines, d’oublier d’où il a reçu la révélation du Dieu unique. Et pour cela, il est nécessaire que le judaïsme continue d’exister en tant que tel. Pour le christianisme, il est la mémoire vivante, la source inépuisable, la preuve tangible de sa foi en Dieu révélé.

Mais du fait de leur vocation propre, pour l’un signe pour les peuples, d’où son élection, et pour l’autre transmetteur de la Bonne nouvelle, judaïsme et christianisme devaient nécessairement se séparer. Pour expliquer cela, j’emploierai une comparaison, celle d’une femme enceinte. Elle porte en elle quelque chose (quelqu’un ?) qui est à la fois une partie d’elle-même et quelque chose d’autre, qu’elle a reçu, qui ne vient pas d’elle-même. Elle le porte assez longtemps pour que ce « fruit » acquiert la force de vivre de manière autonome. Puis il faut que les deux se séparent sous peine que l’un et l’autre meurent. C’est l’accouchement. Et je pense que toute femme qui a accouché sait ce qu’il en coûte de mettre au monde un enfant… sur lequel elle devra veiller encore longtemps, mais qui est fait pour la quitter, pour vivre sans elle, mais non pas l’oublier.

Il me semble que c’est quelque chose de cet ordre-là qui s’est passé entre judaïsme et christianisme. Le christianisme a été porté dans le judaïsme, mais à un moment donné, il fallait qu’il quitte sa mère, qu’il s’autonomise, il ne pouvait en être autrement pour pouvoir justement pénétrer les diverses cultures qui font l’humanité. Mais il fallait aussi que la « mère » demeure elle-même. La séparation était donc à la fois inévitable et nécessaire.

Le malheur, c’est la violence que cette séparation a engendrée. Mais existe-t-il, dans l’humanité, une séparation qui se passe sans douleur, et donc sans violence ? Pour reprendre ma comparaison de tout à l’heure, accoucher est une terrible violence pour la mère comme pour l’enfant.

Par contre, ce qui est ensuite essentiel, c’est que chacun puisse reconnaître sa place et la place de l’autre. C’est à nouveau une terrible violence que de refuser de reconnaître d’où l’on vient comme de refuser de reconnaître ce qu’on a mis au monde. Chacun doit nécessairement vivre de manière autonome, mais la paix n’est possible que si chacun reconnaît et aime le lien indéfectible qui les met en relation.

En tant que chrétienne, j’ai un besoin vital du judaïsme, et du judaïsme vivant, d’aujourd’hui, pour savoir de qui, d’où, quand, comment, pourquoi j’ai reçu la révélation du Dieu qui me fait vivre.

Bernadette Avon , 21 janvier 2014