Actuellement des chrétiens sont persécutés dans plusieurs pays, un jeune copte vient d’être tué lors d’une manifestation, et le massacre perpétré à Bagdad il y a quelques semaines a frappé les esprits. Au-delà de l’horreur et de l’indignation, l’analyse des discours des meurtriers permet de comprendre leur logique. Dans des pays non-chrétiens, et surtout quand ces pays sont fécondés par l’islamisme radical, les minorités chrétiennes apparaissent comme complices d’un Occident honni, représentantes des croisés, impies. C’est acte pieux que de les combattre, les pousser à l’émigration, et les tuer quand cela ne va pas assez vite. Et la conversion de musulmans au christianisme est passible des pires châtiments, y compris la mort.
Heureusement, les chrétiens ne sont pas seuls à dénoncer ces persécutions et ces massacres, les juifs le font aussi, et actuellement circulent des pétitions émanant de musulmans scandalisés par l’utilisation haineuse et violente que les persécuteurs font du Dieu de l’islam.
Derrière les causes politiques et religieuses de ces persécutions, on peut voir une raison théologique fondamentale : la révélation du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob étendue depuis le peuple juif au monde entier en Jésus-Christ inaugure le personnalisme, c’est-à-dire la consécration de chaque être humain comme unique aux yeux de Dieu. Les conséquences de ce personnalisme se sont déroulés sur des siècles,elles ne sont pas pleinement réalisées et restent toujours fragiles : il s’agit de la liberté de conscience, de l’égalité entre l’homme et la femme, de l’abolition de l’esclavage, du soin dû à tout individu, et de manière ultime de l’abolition de la peine de mort. À mesurer à ces exigences la réalité des pays de culture chrétienne à ces exigences, aucun n’est pleinement chrétien, mais les citoyens de ces pays ont le droit et le devoir de pratiquer la critique vis à vis de leurs gouvernements en même temps que leur propre examen de conscience. Pour ce qui est des chrétiens vivant en minoritaires dans des pays non-chrétiens, on peut supposer que leur seule existence pratiquante est ressentie comme la manifestation d’une liberté de cœur et de conscience insupportable à des fanatiques d’une autre religion.
Il ne faudrait pas que les drames actuels nous fassent céder à l’attrait pervers d’une guerre de religion. Plus que jamais il est urgent de travailler au dialogue, et de penser la vocation propre – et donc la complémentarité – de chacun des trois monothéismes, afin de montrer combien chacun est irremplaçable. Le judaïsme a donné au monde la notion d’Alliance de Dieu avec un peuple, avec responsabilité pour celui-ci d’être bénédiction pour l’humanité et lumière des nations. Le christianisme pour sa part a offert, dans le visage du Fils de l’Homme, la révélation d’un Dieu présent à tout être humain, jusqu’au plus miséreux. Et l’islam n’a-t-il pas vocation à incarner l’hospitalité accomplie en Dieu de toute l’humanité ? Mais si chacun des trois peut témoigner d’une révélation en plénitude, vouloir éradiquer l’un ou les deux autres témoins revient à trahir le Dieu dont on se réclame et à désespérer les hommes.
Florence Taubmann
Présidente de l’Amitié judéo-chrétienne de France
Article paru dans l’édition papier datée « samedi 4, dimanche 5 décembre 2010 » du quotidien La Croix
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