Il a défini une Doctrine sociale de l’Église avec l’encyclique fondatrice Rerum novarum publiée le 15 mai 1891. Dans le contexte de la révolution industrielle, il rompait avec une vision traditionnelle de la pauvreté issue des sociétés rurales, que la charité pouvait soulager, pour introduire une réflexion nouvelle sur « la misère imméritée des ouvriers », sur la dénonciation des conditions de travail dans les usines, sur le rôle des organisations professionnelles, sur l’exigence de justice sociale. Ce texte majeur a offert aux laïcs une véritable charte de l’engagement social, avec l’appel du Pape aux prêtres de « sortir des sacristies » pour s’engager dans la société. Rerum novarum est la seule encyclique à avoir été constamment mise à jour par les Papes successifs pour adapter la Doctrine sociale de l’Église à l’évolution de la société : Quadragesimo anno en 1931 de Pie XI, le radiomessage de Pentecôte 1941 de Pie XII, Mater et Magistra de Jean XXIII en 1961, la Lettre de Paul VI Octogesima adveniens en 1971, les encycliques de Jean-Paul II, Laborens exercens en 1981 et Centesimus annus en 1991.
Dès son élection, Léon XIV s’est inscrit dans cette perspective en déclarant :
« L’Église offre à tous son héritage de doctrine sociale pour répondre à une autre révolution industrielle et aux développements de l’intelligence artificielle qui posent de nouveaux défis pour la défense de la dignité humaine, de la justice et du travail. »
On peut penser que Léon XIV délivrera une nouvelle réflexion approfondie sur le sujet.
Il a été ordonné prêtre à Rome le 19 juin 1982 par Mgr Jean Jarlot, alors président du Secrétariat pour les non-chrétiens, ancien délégué apostolique aux États-Unis (1973-1980), connu pour ses positions sociales progressistes et pour son intérêt pour le dialogue interreligieux. Il a été aussi l’élève au séminaire, du père John T. Pawlikowski, un pionnier des relations judéo-catholiques, qui faisait de la lutte contre l’antisémitisme un élément clé de la question sociale à intégrer dans la Doctrine sociale de l’Église. Le soixantième anniversaire de la Déclaration conciliaire Nostra Aetate en octobre 2025, donnera sans doute l’occasion à Léon XIV de revenir sur les relations interreligieuses et plus particulièrement sur le dialogue judéo-chrétien qui n’a cessé de progresser depuis le Concile.
L’autre partie de l’héritage de Léon XIII que le nouveau pape fait sienne est incontestablement la promotion de la paix. « Que la paix soit avec vous » ont été ses premières paroles de Pape :
« C’est la paix du Christ ressuscité. Une paix désarmée et une paix désarmante, humble et persévérante. »
Dans le contexte de la montée des nationalismes et des tensions internationales, Léon XIII avait sur donner à la diplomatie pontificale une dimension nouvelle, permettant au Pape de parler avec tous les souverains de son temps sans distinction de religion, et de multiplier médiations et arbitrages, si nécessaires aujourd’hui face « au scénario dramatique actuel d’une Troisième Guerre mondiale en morceaux. » Dès le 8 mai, Léon XIV a fixé comme objectif, dans la ligne de son prédécesseur, le devoir de
« chercher ensemble comment être une Église missionnaire, une Église qui construit des ponts, qui dialogue, toujours ouverte à recevoir, comme cette place, à bras ouverts. A tous, à tous ceux qui ont besoin de notre charité, de notre présence, de notre dialogue, de notre amour. »
Un Pape américain ?
Le pape Léon XIV est né à Chicago le 14 septembre 1955. Il est donc américain, mais d’un père d’origine française et italienne, d’une mère métisse, d’origine haïtienne et espagnole. On comprend d’emblée qu’il ne s’enferme pas dans une seul culture. D’autant plus que si sa formation initiale de religieux augustinien s’est faite à Chicago, il a poursuivi des études à Rome, à l’université des dominicains, l’Angelicum, puis il a été longtemps missionnaire au Pérou, jusqu’à devenir évêque de Chiclayo et vice-président de la Conférence épiscopale péruvienne, et à acquérir la nationalité péruvienne, avant un retour à Rome, appelé par François comme préfet du dicastère des évêques en 2023. Si l’on fait le compte de ses déplacements, on s’aperçoit qu’il a vécu 30 ans aux États-Unis, et près de 40 ans hors de son pays natal, dont 23 au Pérou et 16 à Rome.
Premier Pape nord-américain de l’histoire a-t-on dit dans les médias, mais il est aussi le premier Pape péruvien, et il a prononcé ses premiers discours en espagnol et en italien, laissant l’anglais de côté.
La biographie de Léon XIV montre déjà une vie dédiée à l’universalisme de l’Église. Cela signifie-t-il qu’il pourrait se désintéresser des États-Unis ? Certainement pas, mais il a une dimension universelle, son monde est le monde entier, et il est libre par rapport aux divisions du catholicisme américain, et à la politique américaine. Au vice-président JD Vance qui prônait une charité excluant les étrangers, il répondit en février 2025 : « Jésus ne nous demande pas de hiérarchiser notre amour pour les autres ». L’administration Trump aura certainement du fil à retordre avec lui, car il se situe aux antipodes de ses méthodes brutales.
Un signe pour notre monde
Membre de la congrégation des Augustins, fondée au XIII° siècle, comme les dominicains et les franciscains, Robert Francis Prevost qui en a été le prieur général de 1999 à 2007, se veut avant tout missionnaire, porteur de la parole de Dieu. En se présentant comme « un fils de saint Augustin », il a la volonté de concilier la foi et la raison, et d’œuvrer à l’unité de l’Église. En témoigne sa devise, In Illo uno unum, « uni en celui qui est un », et d’affirmer une autorité spirituelle capable de parler à tous : « Le mal ne prévaudra pas ». Avec Augustin, il invite les chrétiens à vivre eux-mêmes la paix du Christ pour la transmettre autour d’eux.
Il propose aux jeunes de s’engager, « n’ayez pas peur, acceptez l’invitation de l’Église et du Christ Seigneur ». Il exhorte le monde des médias, réuni le 12 mai au Vatican, à « choisir avec conscience et courage le chemin d’une communication de paix », une « communication désarmée et désarmante » :
« Désarmons la communication de tout préjugé, rancœur, fanatisme et haine, purifions-la de toute agression. Nous n’avons pas besoin d’une communication tonitruante et musclée, mais plutôt d’une communication capable d’écouter, de recueillir la voix des faibles qui n’ont pas de voix. Désarmons les mots et contribuons à désarmer la terre. »
Dans un monde meurtri par les guerres et les haines, dans un monde ravagé par les fake news et les désordres instillés par les réseaux sociaux, l’arrivée au pontificat de ce missionnaire humble mais aux expériences multiples, même au sein de la Curie romaine, ouvre des perspectives nouvelles pour le monde entier, tout en s’inscrivant dans l’ouverture au monde du concile Vatican II. Comme Jean XXIII, il entend jeter des ponts entre les uns et les autres, entre les peuples et entre les États, comme Paul VI, il veut une Église qui dialogue avec le monde et qui s’écrie « Plus jamais la guerre ! »
Il est bien un signe pour notre monde si violemment désorienté.
Jean-Dominique Durand, Président de l’AJCF
Paris, le 12 mai 2025
Texte du communiqué de Jean-Dominique Durand
Image : Copyright 2025 Vatican News