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Le pape François entre Mémoire et Espérance

Éditorial de Jean-Dominique Durand, président de l’AJCF - 22 mars 2021

Ce mois d’avril 2021 est le temps des rapprochements forts, entre les fêtes de Pessah (du 28 mars au 4 avril) et de Pâques (le 4 avril) qui invitent à l’espérance, et les cérémonies de Yom Hashoah qui invitent au recueillement et à la mémoire. C’est précisément un double message de mémoire et d’espérance que le pape François a transmis à l’humanité en quelques jours à la veille de nos grandes fêtes, en rendant visite à une dame juive âgée de 88 ans et à un pays martyrisé par le terrorisme.
Il faut mesurer l’importance de la visite de François à Édith Bruck, rescapée d’Auschwitz, le 20 février. C’est lui qui a voulu la connaître à la suite d’un article de L’Osservatore Romano, le quotidien du Vatican. Il avait demandé à ses collaborateurs d’organiser une rencontre. Ceux-ci pensaient faire venir Madame Bruck auprès du pape. Mais François refusa, il estimait qu’il lui revenait à lui, dans une démarche d’humilité, de se déplacer pour lui rendre hommage. Un déplacement du pape dans Rome, est toujours compliqué, car s’il en est l’évêque, il est aussi le chef de l’État de la Cité du Vatican, et se rendre à Rome, c’est se rendre dans la capitale de l’Italie, qui doit assurer sa sécurité ; de plus c’était la première fois qu’il quittait le Vatican depuis le 15 mars 2020. C’est dire le caractère exceptionnel de cette visite. Il tenait à saluer en Édith Bruck, le courage face à la barbarie, et la volonté de porter inlassablement témoignage. Elle a connu l’horreur parce qu’elle est née juive. Elle s’est reconstruite, en fondant une famille à Rome, et à travers l’écriture et le témoignage. François le dit expressément : « Je suis venu ici, chez elle, afin de la remercier pour son témoignage et pour rendre hommage au peuple martyr de la folie du populisme nazi ». Il lui offrit deux objets d’une importance majeure pour le peuple juif : une menorah et un exemplaire du Talmud de Babylone, dans une édition bilingue en hébreu et en italien. Le pape se plaçait ainsi dans le sillage de Jules Isaac en rétablissant pour celle qui avait survécu à la tentative d’anéantissement du judaïsme, le caractère sacré de ce livre majeur du judaïsme que l’Église a voulu trop souvent détruire dans le passé, parfois à travers des autodafés comme celui de Paris en 1242.

Quelques jours plus tard, en Irak, François a fait mémoire des victimes du terrorisme islamique, dans un pays d’où le judaïsme a été chassé dans les années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale et la fondation de l’État d’Israël. A Ur, sur la terre d’Abraham, « Au bord des fleuves de Babylone » (Psaume 137), il a invité à la mobilisation religieuse contre la haine et le terrorisme : « Nous croyants, nous ne pouvons pas nous taire lorsque le terrorisme abuse de la religion ». On peut s’imprégner de sa Prière des enfants d’Abraham lue le 6 mars :

« Dieu Tout-Puissant, notre Créateur qui aime la famille humaine et tout ce que tes mains ont accompli, nous, fils et filles d’Abraham appartenant au judaïsme, au christianisme et à l’islam, avec les autres croyants et toutes les personnes de bonne volonté, nous te remercions de nous avoir donné comme père commun dans la foi Abraham, fils éminent de cette noble et bien-aimée terre.

Nous te remercions pour son exemple d’homme de foi qui t’a obéi jusqu’au bout, en laissant sa famille, sa tribu et sa patrie pour aller vers une terre qu’il ne connaissait pas. Nous te remercions pour l’exemple de courage, de résistance et de force d’âme, de générosité et d’hospitalité que notre père commun dans la foi nous a donné.

Nous te remercions en particulier pour sa foi héroïque, manifestée par sa disponibilité à sacrifier son fils afin d’obéir à ton commandement. Nous savons que c’était une épreuve très difficile dont il est sorti vainqueur parce qu’il t’a fait confiance sans réserve, que tu es miséricordieux et que tu ouvres toujours des possibilités nouvelles pour recommencer. Nous te remercions parce que, en bénissant notre père Abraham, tu as fait de lui une bénédiction pour tous les peuples.

Nous te demandons, Dieu de notre père Abraham et notre Dieu, de nous accorder une foi forte, active à faire le bien, une foi qui t’ouvre nos cœurs ainsi qu’à tous nos frères et sœurs ; et une espérance irrépressible, capable de voir partout la fidélité de tes promesses. Fais de chacun d’entre nous un témoin du soin affectueux que tu as pour tous, en particulier pour les réfugiés et les déplacés, les veuves et les orphelins, les pauvres et les malades. Ouvre nos cœurs au pardon réciproque et fais de nous des instruments de réconciliation, des bâtisseurs d’une société plus juste et plus fraternelle. Accueille dans ta demeure de paix et de lumière tous les défunts, en particulier les victimes de la violence et des guerres. Aide les autorités civiles à chercher et à retrouver les personnes qui ont été enlevées, et à protéger de façon particulière les femmes et les enfants.

Aide-nous à prendre soin de la planète, maison commune que, dans ta bonté et générosité, tu nous as donnée à tous. Soutiens nos mains dans la reconstruction de ce pays, et donne-nous la force nécessaire pour aider ceux qui ont dû laisser leurs maisons et leurs terres à rentrer en sécurité et avec dignité, et à entreprendre une vie nouvelle, sereine et prospère. Amen. »

Comme le psalmiste, François invite à l’espoir de la sortie de l’exil qu’est la haine, il invite à construire la vie et la liberté dans le respect réciproque.
Lettre ICCJ, Avril 2021