Richard, pour moi, c’est plus de 20 ans non seulement d’amitié, de fraternité, mais surtout de recherche implacable, afin de poser des actes justes qui engagent Juifs et catholiques face au grand défi du monde. Permettez-moi, Richard, de rappeler d’abord la grande figure que fut votre maman, son saint nom soit béni, Debora, je veux rappeler qui elle est parce que, comme l’on dit, la pomme ne tombe pas très loin de l’arbre. Je me souviens d’elle notamment à l’Umschlagplatz de Varsovie, là où Jean-Paul II devait rencontrer 53 personnalités juives sur le lieu même de la déportation dans les trains. Elle avait réussi à se faufiler dans la délégation, refusa d’obtempérer deux fois lorsqu’un policier polonais lui demanda de repartir, et finalement embrassa le pape Jean-Paul II lorsqu’il descendit de sa papamobile. Je la revois aussi visitant avec une amie juive qu’elle avait sauvée pendant la guerre le camp de Maïdanek, mais surtout quelle n’était pas sa joie et sa fierté lorsqu’assise au premier rang des rencontres judéo-chrétiennes européennes à l’Hôtel de ville, lorsque vous montiez au pupitre, et qu’elle expliquait à qui voulait l’entendre en vous montrant du doigt : « c’est mon fils ! » Ce fut elle aussi qui accueillit régulièrement le cardinal Lustiger en lui cuisinant des omelettes au matsot, plat qu’il n’avait guère retrouvé depuis son enfance.
La pomme ne tombe pas loin de l’arbre. Je vous revois arrivant à l’archevêché de Lyon, l’un des derniers visiteurs du cardinal Balland, alors très malade. Charles Favre fut mon maître à Lyon. Il vous voyait comme un don de la providence pour être l’une des têtes de pont du dialogue entre catholiques et Juifs mais aussi entre Juifs et catholiques. Charles Favre voyait loin. Il serait aujourd’hui heureux que vous soyez honoré par ce prix car, dans certains cas, on ne sait si le prix honore la personne ou si c’est la personne qui honore le prix.
Je voudrais expliquer que la présence du docteur Richard Prasquier aux côtés de l’Eglise catholique ne fut pas, loin de là, une gentille amitié. Peut-être ne le savez vous pas, mais il y a bien longtemps le docteur Richard Prasquier, Marcello Pezzetti, historien juif alors à Milan, et moi-même, nous nous sommes rendus au musée d’Auschwitz-Birkenau. En effet, un couple polonais avait construit un pavillon sur les fondements de la chambre à gaz du bunker I. Richard, vous souvenez-vous combien il était difficile de le prouver... La famille n’acceptait de partir qu’après moult négociations et la promesse de recevoir une copie conforme de sa maison en un autre lieu. Ce fut vous, Richard, après d’âpres négociations avec la direction du musée, qui avez personnellement acheté une maison en Pologne pour que cette famille libère le site de la chambre à gaz où plus de 100 000 personnes avaient été assassinées.
Ce qui est remarquable, c’est qu’hormis un entrefilet dans le journal le Monde, vous agissiez d’abord à cause de l’injustice infinie que constituait cette habitation, mais aussi pour rendre hommage à ces milliers de Juifs dont les cendres résidaient sous le jardin de cette famille. Des mois plus tard, accompagné d’une importante délégation juive, vous laissiez au cardinal Lustiger, dans un silence que personne n’oubliera, déposer une gerbe sur ce qu’il restait de la chambre à gaz, car sans doute sa maman avait été assassinée là-bas. Le dialogue entre Richard Prasquier et l’Eglise catholique ce fut, est, et sera, j’en suis sûr, cela. S’engager dans ce brasier de l’antisémitisme sous toutes ses formes, tourné vers un avenir autre et sans cesse guetteur pour prévenir, avertir, anticiper les problèmes quel qu’en soit le coût humain à payer.
Je tiens à saluer votre épouse, sans qui vous ne seriez pas Richard, mais aussi vos enfants et vos petits enfants, d’Israël, de France ou d’ailleurs. C’est vous qui me logiez lorsque j’habitais à Lyon, Je découvrais alors la vie d’une famille, douée au scrabble, je m’y voyais toujours perdant, parlant en famille le français, le polonais, le portugais mais aussi lorsque c’était nécessaire l’anglais, l’hébreu et sans doute j’en oublie. Vous êtes une de ces grandes figures humanistes, qui avez lu le dernier ouvrage paru, si bien que vous parlez tout autant de la cathédrale de milan que de l’histoire des Juifs polonais au Moyen-âge. Combien de fois n’avez vous pas rencontré les cardinaux de France, sans jamais fléchir, sans jamais négocier sans parvenir à un point de vue juste. Cet engagement total qui vous caractérise, dont je ne peux citer ici tous les faits, vous tient à cœur Il est enraciné dans la Pologne, le pays où tant de gens livrèrent les Juifs, leurs voisins, aux bourreaux, tandis que d’autres à grand risque les hébergeaient. Vous êtes vous-même retourné en Pologne, avez parlé à l’archevêque de Lublin, rencontré ceux et celles qui dans l’Eglise polonaise animaient le dialogue avec les Juifs. Je ne sais, et je ne saurais jamais, comment dans un même agenda vous avez réussi à gérer jusqu’à la présidence nationale du CRIF, votre amour de vos enfants et de vos petits enfants, votre attachement à Israël, votre enracinement et votre amour de la France et votre indéfectible partenariat, enraciné dans l’alliance que Dieu a scellé au mont Sinaï, avec l’Eglise catholique.
Je ne peux terminer mes propos sans rappeler que c’était vous qui, dans une rencontre des Juifs de France avec le pape Benoit XVI, aviez pris la parole. Je vous avais rejoint la veille et soudain on nous demanda, on vous demanda, de modifier plus de 4 fois votre discours. Plus de 4 fois vous vous êtes remis à la tâche jusqu’à 23h, alors que les discours devaient être prononcés à l’intérieur de la nonciature le lendemain. A 23h la dernière mouture ne plaisait encore pas. Vous avez alors décidé de ne plus répondre au téléphone en disant : « c’est à eux de mal dormir ». Et le lendemain, vous vous retrouviez face au pape, accompagné de 50 personnalités juives de France.
Ce jour-là c’était tout vous, négocier jusqu’au bout, mais ne rien renier de ce qui fut la souffrance du peuple juif hier et aujourd’hui.
Au-delà de mon amitié, ou plutôt de ce chemin de fraternité, où il n’est pas de semaine ou nous ne nous sommes pas entretenus, je voudrais vous dire un très grand merci, à vous, à votre épouse, à toute la famille, et à feue votre maman.
Et enfin, y compris dans ces relations, vous êtes resté docteur, attentif aux soins de l’humanité, conscient que l’antisémitisme est une maladie contagieuse et grave, vous êtes aussi par ailleurs cardiologue. Les relations judéo-chrétiennes, ce fut aussi cela. Comment ne pas mentionner le jour où Jacqueline Seite fut hospitalisée en urgence à l’hôpital de Longjumeau et entra dans un coma qui nous faisait craindre le pire. Ce fut vous qui, alors en vacances dans un hôtel au Pérou, avez contacté moult fois le personnel des urgences pour accompagner non seulement le diagnostic mais la remise sur pied de Jacqueline, avec qui vous avez su garder une relation d’amitié et d’efficacité sans nulle autre pareille. Votre fraternité avec l’Eglise est sans doute plus visible avec les cardinaux de France ou d’ailleurs ; elle l’est aussi avec les catholiques dans son ensemble, et je dirai peut-être, avec tout homme. Vous avez en effet reçu en vous ce don de la Charité, qui fait que où que l’on soit, quand tous vos malades avaient votre numéro de portable, on vous entendait tout d’un coup dire : « appuyer à droite, plus loin, bon ce n’est pas grave, prenez un demi-comprimé de plus, je vous verrai lundi ». La patiente en question ne pouvait guère s’imaginer que nous étions dans un bus à Varsovie ou dans les collines d’Israël.
Quelques années d’engagement dans la fraternité et la charité eut été déjà quelque chose de grand. Mais une vie dévouée à ce point-là, accompagné d’une intelligence au-delà de la normale, cela s’appelle le sacrifice de soi, en ce sens vous rejoignez les grandes figures qui ont accepté de payer chèrement, sans aucun souci de soi-même, ce qui a fait que le concile Vatican II a porté de si beaux fruits, et pour cela soyez béni par le seigneur, vous, votre épouse, vos enfants et vos petits enfants.