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ICCJ Aix 2013 : Mot d’Accueil de la Présidente de la Commission programme Liliane Apotheker

Chers amis,

Nous voici arrivés à cette rencontre préparée depuis deux ans avec toute notre attention et toute notre énergie.

C’est le travail d’une petite équipe très soudée qui s’est jointe à une autre équipe aussi soudée à Heppenheim en Allemagne, ensemble nous avons tout fait pour que cette rencontre soit une grande réussite.

Notre présidente Debbie Weissman a déjà remercié les personnes en question, permettez-moi de joindre mes remerciements aux siens. Rosine, Bruno, Florence merci, Dick,Ute, Petra thank you, les deux Danielle nos traductrices merci, sans compter chère Debbie, tous nos remerciements pour le soutien que tu nous as donné tout au long de cette préparation.
Mais sans l’implication de vous présents ici, venus de France et de l’étranger, des nombreux individus qui par leurs dons grands et petits nous ont soutenus, et par la contribution généreuse des groupes de l’AJCF, et des trois fondations, la FMS, la Fondation Nahmias et Madame Picard, nos efforts n’auraient pas abouti de la même manière.
Soyez tous remerciés du fond du cœur.

Je voudrais commencer par une évocation personnelle. Nous, Juifs Ashkénazes familiers du Yiddish et de l’Allemand, connaissons bien une expression entendue de la bouche de nos parents : « Leben Wie Gott in Frankreich », « Vivre comme Dieu en France ». Pour des gens comme mes parents, immigrés d’Europe de l’Est et d’Allemagne, il ne s’agissait pas des plaisirs de la table et du bon vin, de la grande diversité et beauté du pays, de la douceur et de l’art de vivre que leur condition d’immigrés ne leur permettait pas de ressentir, mais probablement d’autre chose. Dieu vivant en France, une sorte de Shehinah d’un genre inédit, habitait un pays moderne, celui des droits de l’homme, de la liberté, du libre débat des idées, un pays ou certains intellectuels s’étaient engagés pour défendre le capitaine Dreyfus. Dans leur pays d’origine, il n’y avait pas eu Zola, tout le monde était toujours dans le camp des accusateurs quand il s’agissait de la question juive.

Cette même liberté était liée à la laïcité qu’ils ne comprenaient pas mais qu’ils voyaient comme un espace de liberté pour les minorités religieuses, vivre comme Dieu en France, était une manière de dire que Dieu lui-même était laïque ou à tout le moins aimait cette laïcité. Pour ces immigrés souvent militants des droits de l’homme malgré leur condition misérable dans leur pays d’origine la laïcité était une manière d’accéder à la citoyenneté. Elle apparaissait comme un double rempart contre les abus de pouvoir de toutes sortes, contre l’arbitraire qui sévissait dans leur pays d’origine, y compris ceux de leur propre religion, obligeant l’état à la neutralité et permettant d’accéder à la liberté de conscience et de religion.

La laïcité, ce sujet choisi pour notre rencontre, va nous accaparer pendant ces trois jours.
Pour nous Français, il est notre mode de vie, celui que nous comprenons, et d’une certaine manière que nous aimons et que nous défendons un peu comme on défend sa religion. Quelquefois nous nous y cognons comme à un mur. Ce n’est pas un système parfait, il a ses intransigeances, il est remis en question par de nouvelles vagues d’immigration, par un recul de cette idée de la citoyenneté, par l’évolution de la société qui voit se déliter le tissu religieux, sociétal et familial que nous connaissions. Mais aussi par la modernité qui semble vouloir se passer des religions traditionnelles, mais qui suscite des expressions nouvelles du fait religieux qui elles ressuscitent le sentiment que la laïcité nous protège. Ce curseur bouge constamment.

Nous avons tous voyagé pour venir à Aix, c’est un voyage dont le but est à mes yeux les retrouvailles de deux familles : l’ICCJ et l’AJCF.
Élue il y a deux ans au comité directeur de l’ICCJ et anciennement membre du comité directeur de l’AJCF, je suis bien placée pour mesurer cette trajectoire.

Pour l’ICCJ, il s’agit presque d’un retour à la maison. Aix est la ville où vécu Jules Isaac, nous parlerons beaucoup de lui au cours de cette rencontre. Debbie Weissman a bien voulu rappeler le rôle éminent de Claire Huchet -Bishop dans la traduction de l’œuvre de Jules Isaac dans le monde anglo-américain, et la pénétration de la célèbre expression l’enseignement du mépris. Combien ce travail a contribué à l’avancée du dialogue entre Juifs et Chrétiens, comment penser sans cela aujourd’hui…. En relisant les quelques notes jetées sur le papier par Jules Isaac lui-même, on s’aperçoit que les Français et francophones étaient nombreux à Seelisberg, et que la question linguistique était posée de manière aiguë : le Français et l’Anglais étaient les deux langues officielles du congrès ; « Le remplacement du Français par l’Allemand fut proposé et non accepté, mais on admit que certains exposés pourraient être présentés en allemand. Et le Français fut réduit à la portion congrue : encore nous trouvait-on bien exigeants de ne pas abdiquer plus complètement. » (Sens 7-2004 p.360, texte manuscrit inédit de Jules Isaac). Rien de nouveau sous le soleil… notre conférence sera bilingue, inscrite ainsi dans la droite lignée de celle de Seelisberg, il nous en coûtera à tous un peu mais nous en sortirons enrichis c’est une certitude.

Autre fait marquant trouvé dans le rapport du Grand Rabbin Kaplan sur la conférence de Seelisberg et je cite : «  De leur côté, les membres Juifs de la commission déclarent qu’ils veilleront à éviter, dans l’enseignement juif tout ce qui pourrait porter atteinte à la bonne entente entre Chrétiens et Juifs. Tous, Juifs et Chrétiens, s’engagent à promouvoir le respect mutuel de leurs valeurs sacrées. » (Sens 1995-5 p.195).
Cette intuition forte, prophétique, constitue le fondement du point 6 des 12 Points de Berlin, un document théologique du réengagement dans la dialogue, écrit par l’ICCJ et adopté à la conférence de Berlin en Juillet 2009 et j’ajoute qu’il constitue pour nous juifs une sainte obligation à laquelle nous ne pouvons nous soustraire, l’actualité douloureuse des lieux de culte et de prières vandalisés en Israël en atteste.

En 1989, pour commémorer le bicentenaire de la Révolution Française, l’ICCJ venait à Lille accueilli par Jean-Marie (de mémoire bénie) et Danielle Delmaire, Danielle est avec nous à Aix. Dans le livre sur l’histoire de l’ICCJ, le révérend Bill Simpson dit p.75 : « Comme on pouvait s’y attendre d’une conférence sous auspices françaises , les présentations étaient d’une haute tenue intellectuelle mais s’adressaient à des questions très pratiques : qu’était-il advenu des principes de Liberté- Égalité- Fraternité ? » Là aussi nous n’avons pas innové, notre thème est citoyen, son traitement sera intellectuel mais n’ignorera pas les questions pratiques aujourd’hui, notre programme en témoigne.

Pour l’ICCJ, venir à Aix est un peu un retour aux sources.
Pour l’AJCF il s’agit de retrouvailles tout aussi importantes. En France nous aimons penser dans le registre de l’exception française, un peu à l’écart des instances internationales et surtout en français. Mais pour parler au monde comme nous l’avons toujours fait, il faut aussi parler anglais. Notre participation aussi nombreuse à Aix correspond a une prise de conscience que le dialogue judéo-chrétien tel que nous le connaissons est entrain de changer, et que dans notre monde globalisé sa trajectoire va peut-être s’altérer. Il est temps de reprendre notre place qui était éminente dans cette instance internationale qu’est l’ICCJ. C’est un vrai voyage pour nous, souhaitons que les fruits de ce colloque nourrissent notre réflexion et notre travail dans les années à venir.

Liliane Apotheker , 30 juin 2013