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Quelques aspects de la fête des Soukkot d’après la littérature rabbinique

Article de Pierre LENHARDT, nds, paru dans la revue RENCONTRE, N° 62, 3e trimestre 1979.

La fête de Soukkot, c’est-à-dire des Tentes, Tabernacles, Huttes ou Cabanes, - « soukkah » (pluriel : « soukkot » signifiant « cabane » construite pour soutenir un toit protecteur (« sekak ») contre la chaleur du soleil) -, est la troisième et dernière fête de pèlerinage de l’année juive. Soukkot est, de ce fait, l’aboutissement et aussi, nous le verrons, le point culminant d’une année des pèlerinages qui prend son départ à la Pâque et qui reçoit à la Pentecôte, « conclusion » de la Pâque, son orientation définitive. La « fête des Soukkot>, ainsi appelée par la Bible (Lv 23, 34 ; Dt 16,16) qui la connaît aussi comme « fête de la récolte d’automne » (Ex 23,16), porte, dans la Tradition d’Israël, d’autres noms significatifs : la prière juive la célèbre comme « le temps de notre joie » ; la littérature rabbinique, reflétant elle aussi la foi mosaïque du peuple enseigné par ses maî­tres pharisiens, la nomme « la Fête » tout court, c’est-à-dire la Fête par excellence.

Il y a en effet à Soukkot une surabondance, une joyeuse rencontre avec le Seigneur, une allégresse universaliste, une anticipation réelle de la rédemption finale, qui font de cette fête « la Fête ». Ceci, on doit le dire, est ignoré de la quasi-totalité des chrétiens. Sans doute Soukkot est-elle largement mentionnée dans la Bible hébraïque. Elle est de plus évoquée dans le Nouveau Testament, au chapitre 7 de l’Évangile de Jean, où les paroles de Jésus, bien en rapport avec le judaïsme de son temps, la manifestent comme Fête de l’eau et de l’Esprit. Les exégètes chrétiens connaissent donc la fête des Soukkot, qui leur est imposée par les données scripturaires, et ils en traitent parfois de façon approfondie, à preuve l’étude du Père R. de Vaux dans « Les Institutions de l’Ancien Testament » (les Éditions du Cerf, Paris 1960, Vol. II, pp. 397-407). De tels exposés cependant ne montrent pas comment la fête biblique des Soukkot s’épanouit dans le judaïsme à l’époque du Nouveau Testament et ils se préoccupent encore moins de réfléchir à l’importance de cette fête pour une théologie de l’histoire du salut, à sa signification religieuse pour les juifs et pour les chrétiens d’aujourd’hui [1]. Pour les exégètes, pour les théologiens, comme pour la quasi-totalité des chrétiens, Soukkot n’existe plus en fait, bien qu’il s’agisse d’une réalité biblique majeure restée actuelle pour les juifs, parce qu’elle n’a pas été reprise par la liturgie chrétienne. En effet, . c’est tout à fait remarquable, Soukkot, la troisième fête juive de pèlerinage, « la Fête » par excellence, n’a pas laissé de traces dans la prière chrétienne. On peut certes, avec plus ou moins d’effort, trouver quelques échos de Souk­ kot, par exemple dans la célébration des Quatre Temps de Septembre, ou constater certaines transpositions de rites, telle que la pro­cession des Rameaux qui est en rapport probable, mais indirect, obscur et complexe, avec les branches de palmier et de saule, avec les processions juives, les « hosha’not », de la fête des Soukkot. Y a-t-il eu occultation volontaire d’une réalité gênante ou simple abandon d’une fête juive qui, pour les chrétiens, avait perdu son sens ? La seconde hypothèse paraît plus vraisemblable dans la mesure où Jésus, ressuscité à Pâques, confirmait la signification messianique, libératrice, de la Pâque juive, tandis que le don de !’Esprit, tombé selon Saint Luc le jour de la Pentecôte juive, confirmait cette fête comme « Conclusion » de la Pâque, rôle et titre qu ’a la Pentecôte dans la Tradition pharisienne et rabbinique. Ainsi assumées par la liturgie de l’Église et revêtues de significations chrétiennes spécifiques, la Pâque et la Pentecôte juives suffisaient à exprimer l’essentiel de la nouvelle expérience pascale de juifs et de non-juifs désormais unis par la foi en Jésus-Christ. Est-il certain cependant que la fête de Soukkot n’avait plus rien à dire et devait nécessairement être abandonnée par les chrétiens ? De telles questions et de telles conjectures doivent être évoquées ici. Il est cependant évident qu’elles mettent en jeu de difficiles et délicats problèmes dont on ne peut traiter dans le cadre limité de ces lignes. Il est en revanche utile et bienfaisant, pour ne pas dire plus, de s’enrichir des significations religieuses que le Dieu d’Israël, qui est pour les chrétiens le Dieu de Jésus-Christ, a voulu mettre dans la fête des Soukkot et qu’il révèle au monde par Israël, le peuple de ses témoins (ls 44,8).

L’auteur de ces lignes, chrétien, n’a pas l’intention d’apprendre aux juifs des choses qui leur sont connues. Il voudrait plutôt, avec ses lecteurs chrétiens, s’enrichir d’un message profond et joyeux qui ,par Israël, vient du Dieu Un et Unique.

La surabondance de Soukkot, dont nous avons déjà parlé, devrait être illustrée par un examen de tous les ri tes de cette fête. C’est impossible, encore une fois, dans le cadre de ces lignes. Nous laisserons donc délibérément de côté un rite comme la récitation du Hallel (Psaumes 113 à 118), parce qu’il n’est pas exclusivement réservé à Soukkot et parce que son étude serait mieux située dans le cadre de la. Pâque juive. Il faudra aussi renoncer à étudier le rite de la lecture d’un résumé de la Torah, faite au peuple réuni en « Assemblée » (haqhel), tous les sept ans, à l’occasion de Soukkot (Dt 31, 10-13 ; Mishnah Sotan 7,8). Nous ne traiterons pas non plus du rite de la ’Aravah, c’est-à-dire de la branche de saule (Lv 23, 40) portée en procession (hosha’na, qui vient du Psaume 118,25 : hoshi’a nah et qui a donné le hosanna ,des liturgies chrétiennes ) les sept premiers jours de la fête, rite qui culmine le septième jour, jour du..(« Grand Hosha’na ». Cette omission d’un rite majeur, spé­cifique de Soukkot, serait gravement déformante si elle n’était signa­lée et justifiée : un tel rite, complexe et encore voilé de mystère pour les juifs eux-mêmes, est impossible à décrire, en quelques lignes, surtout par un non-juif [2]. La dernière omission importante sera celle du huitième jour de la fête, bien connu de la Bible (Lv 23, 36 ; Nb 29,35), devenu en Israël le jour de « Simhat Torah », de la « joie de la Torah ». Comme pour la ’Aravah, l’omission du 8ème jour n’est admissible que parce qu’elle est signalée. Renonçant donc à l’impossible nous nous limiterons aux rites de la cabane (soukkah), de la branche de palmier (loulav) et de la libation d’eau (beit ha­ sho’evah). Mais tout d’abord il faut revenir à la surabondance de Soukkot, que nous avons déjà signalée, parce qu’elle caractérise cette fête.

LA SURABONDANCE DE LA FÊTE DES SOUKKOT

La Mishnah (Makkot 3,16) nous rapporte :
« Rabbi Hanania fils tr Aqashia ( milieu du 2ème siècle de notre èrê ) dit : Le Saint, béni soit-Il, a voulu faire mériter Israël. C’est pourquoi Il a multiplié pour eux Torah et commandements, com­me il est dit (ls 42,21) : « Le Seigneur a voulu, en vue de sa justice, faire grandir et resplendir la Torah » ».
Ce verset d’Isaïe, bien connu pour appartenir au premier des célèbres « Chants du Serviteur » reçoit ici, parmi d’autres interpré­tations possibles, celle qui paraît importante à Rabbi Hanania et celle qui nous intéresse pour la fête des Soukkot : Le Seigneur a voulu, en vue de la justice de son serviteur Israël, que celui-ci re­çoive de multiples enseignements et de nombreuses occasions de manifester, par l’accomplissement des commandements, la splendeur de la Torah. Une occasion privilégiée, où la splendeur de la Torah est spécialement manifestée par la multitude des commandements, est précisément fournie par la fête des Soukkot. Nous ne pouvons ici comparer en détail la richesse rituelle de Soukkot avec celle des autres fêtes. Signalons cependant, pour ne prendre que les fêtes de pèlerinage, , que Soukkot est célébrée 8 jours alors que la Pâque ne l’est que 7 jours et la Pentecôte un jour seulement [3]. Disons égale­ment que la destruction du Temple a notablement appauvri la célé­bration de la Pâque en entraînant la disparition de son rite essen­tiel : l’offrande de la victime pascale et la manducation de sa chair « reçue de la table du Très-Haut » (Rashi s[ al ha-hagigah, Sukkah 9 a). La destruction du Temple a aussi, et encore davantage, dé­pouillé la Pentecôte de ses rites qui étaient, à cette époque-là, essentiellement agricoles. Pour Soukkot au contraire, à l’exception de la libation d’eau qui a cessé à la disparition du Temple, la richesse rituelle est restée et reste encore exubérante. Dans cette fête, où les rites surabondent, on n’a pas affaire à un fardeau légaliste et écra­sant. La Mishnah, citée plus haut, fait comprendre que les multiples commandements de « la Fête » sont portés comme un joug léger, des instruments de libération et de joie.

LA CABANE = SOUKKAH

La Torah prescrit (Lv 23, 42-43) : « Vous habiterez sept jours dans des soukkot (pluriel de soukkah). Tout citoyen d’Israël habitera dans des soukkot, afin que vos descendants sachent que j’ai fait habi­ter dans des soukkot les fils d’Israël quand je les ai fait sortir de la terre d’Égypte. Je suis le Seigneur, votre Dieu ».

Ce texte, clair quant aux soukkot de la fête, reste mystérieux quant aux soukkot du désert et on continue, en Israël, à s’interro­ger à leur sujet. Étaient-elles de vraies soukkot, faites pour protéger de la brûlure du soleil ? N’étaient-elles pas plutôt, comme le pensait Rabbi Aqiva, la « nuée de Gloire » par laquelle le Seigneur, au désert, protégeait et dirigeait son peuple en marche vers la Terre promise (Sifra s/Lv 23,42-43, 103 b) ? La Tradition d’Israël pose de telles questions et en discute avec passion. Il s’agit en effet dans le rite de la soukkah, qu’il faut construire et dans laquelle il faut demeurer sept jours, de retrouver le Seigneur qui protège son peu­ple et qui le conduit, lui et avec lui toute l’humanité, vers la ré­demption finale. Comment doit-être la soukkah d’aujourd’hui afin qu’elle signifie et médiatise la protection du Seigneur ?

La Mishnah (Soukkah 2,9) nous transmet cette tradition, anony­me et ancienne, remontant au moins au ler siècle de notre ère : « Tous les sept jours on doit faire de sa soukkah une demeure stable et de sa maison une demeure provisoire. »

Cette mishnah, si laconique qu’elle soit, indique clairement l’intention du rite : la soukkah, qui symbolise la protection du Seigneur, signifie que la seule véritable stabilité est celle qui se trouve au contact du Seigneur, quand on habite avec lui. La plus belle et la plus sûre maison du monde n’offre jamais qu’un abri provisoire, en réalité dérisoire, quand on veut s’y cramponner. Le juif doit savoir cela et tous les jours, dans sa prière du soir, après la lecture du Shema Israël », il doit demander au Seigneur : « Étends sur nous la soukkah de ta paix ». Cette demande trouve un appui scripturaire dans la prophétie d’Isaïe (4,5-6) : « Le Seigneur créera sur tout l’emplacement de la montagne de Sion et sur ses assemblées, une nuée le jour, de la fumée avec l’éclat d’un feu flamboyant, la nuit, car sur le tout la Gloire (du Seigneur) sera un dais. Le jour, une soukkah servira d’ombre contre la chaleur, d’abri et de couvert con­tre l’averse et la pluie ». On voit que la soukkah de ce temps, celle que le juif se construit chaque année pour la fête des Soukkot, est une demeure où Israël se refait dans sa marche qui va de la souk­kah du désert (cabane ou nuée de Gloire ?) à la soukkah messia­nique. On comprend aussi que la soukkah du temps présent est sans doute faite pour le bien d’Israël, mais qu’elle est, de soit et avant tout une soukkah référée au Seigneur, une soukkah « pour le Seigneur ». C’est ce que précisent certains maîtres, les disciples de Shammaï (moitié du 1er siècle de notre ère) et Rabbi Yehudah ben Bathyra ( début du 2ème siècle) dont le Talmud de Babylone (Soukkah 9 a) nous rapporte les opinions. Ces maîtres voient dans la Torah (Lv 23,34) : « Au quinzième jour de ce septième mois, c’est la fête des Soukkot, durant sept jours, pour le Seigneur », l’indica­tion que la Soukkah, rite spécifique de la fête, est, comme la fête elle-même, avant tout pour le Seigneur. Nous recevons ici un ensei­gnement important, qu’il faut replacer dans un contexte plus large : Le Sabbat, toutes les fêtes juives et leurs rites, - ici la fête des Soukkot et son rite spécifique, la soukkah -, sont à la fois pour le Seigneur et pour Israël. C’est parce que les fêtes et leurs rites sont, avant tout, pour le Seigneur qu’ils sont authentiquement et inépui­sablement pour Israël et, en fin de compte, pour tout homme.

S’il en est ainsi, la soukkah, ses dimensions, ses parois, sa struc­ture, ne peuvent être arbitraires. La soukkah concrète doit être habi­table pour l’homme tout en gardant son caractère de soukkah pour le Seigneur. Trop haute ou trop basse, la soukkah n’est pas une demeure humaine telle que le Seigneur la veut pour signifier sa protection. Bien que des traditions immémoriales déterminent ces règles de la Soukkah, le juif ne peut se contenter de les recevoir passivement. Il doit les assumer, en éprouver pour lui-même la vali­dité, refaire toute la Torah à leur sujet. Le Talmud de Jérusalem et surtout celui de Babylone (Soukkah chap. 1) nous donnent de magnifiques exemples de l’intensité avec laquelle les Juifs écoutent et critiquent la Parole de Dieu dans Écriture (Torah écrite) et dans la Tradition (Torah orale)’ en matière de soukkah. Particuliè­rement intéressant est le recours au Tabernacle du désert, la pre­mière demeure de Dieu parmi les hommes ; puis au Temple de Jérusalem, la Maison Sainte. Ce sont en effet les demeures où Dieu a voulu faire habiter sa Présence (Shekinah) qui vont servir de réfé­rence à la soukkah comme demeure humaine. Au milieu du vacarme du monde, ou dans l’isolement que lui impose l’aveuglement des nations, le peuple juif vit sa conviction : la petite soukkah, fami­liale et enfantine, regardée par certains avec dérision, rappelle à Israël et témoigne devant tous les hommes qu’une véritable demeure humaine doit être référée à Dieu, au Dieu d’Israël, créateur du monde et maître de l’histoire, qui a voulu par amour se restreindre aux dimensions du Tabernacle du désert, puis à celles du Temple de Jérusalem (Sifra s/Lv l,l 4 a).

LA BRANCHE DE PALMIER = LOULAV

Ce rite est ainsi prescrit par la Torah écrite. (Lv,40 ) : « Vous prendrez pour vous, au premier jour, un fruit de l’arbre d’honneur, des branches de palmiers, un rameau d’arbre touffu et des branches de saules, vous vous réjouirez devant le Seigneur, votre Dieu, sept jours durant ».

Ici encore la Torah écrite , quoique explicite, a besoin de la Torah orale, de la Tradition, qui précise de quelles espèces végétales il s’agit, qui organise en détail le rite et en développe les signi­fications. C’est ainsi que les 4 espèces végétales présentées au Sei­gneur conformément au verset précité doivent être, selon la Tradi­tion, ordonnées au loulav, à la branche de palmier, la plus visible d’entre elles. Ces quatre espèces signifient la récolte des fruits e l’automne, la dernière de l’année agricole. Mais elles symbolisent aussi : ou bien le Seigneur lui-même, le Saint, béni soit-Il, qui manifeste de tant de manières sa bonté, sa justice pour Israël et pour l’humanité ; ou bien Abraham, Isaac, Jacob et Joseph ; ou bien Sarah, Rebeccah, Léah et Rachel ; ou bien encore les fils d’Israël, différents et inégaux en mérite, mais unis entre eux devant le Sei­gneur comme les 4 espèces sont unies autour du loulav. Unis entre eux, les fils d’Israël se sont montrés responsables les uns des autres devant le Seigneur pendant les jours de repentance de Rosh Ha­Shanah à Kippour ; ils reçoivent maintenant ensemble du Seigneur la joie de la fête des Soukkot (Lévitique Rabbah, Par. 30).

Ce rite, on le voit, signifie l’union du peuple qui rencontre son Dieu dans la joie. Le lieu privilégié de cette rencontre est le Tem­ple, demeure de la Présence (Shekinah) du Seigneur parmi son peuple. La joie d’aujourd’hui, depuis la destruction du Temple en l’an 70 et après tant d’autres catastrophes, n’est plus celle qu’éprouvait autrefois Israël au contact direct de la Présence divine. Cependant cette Présence reviendra et, dans la fête des Soukkot d’aujourd’hui, Israël éprouve par anticipation la joie de l’avenir messianique.

Le rite du loulav est donc référé à la Présence divine dans le Temple. Voici encore ce que la Mishnah nous aide à comprendre à ce sujet (Soukkah 3, 12) : « Primitivement (à l’époque du Temple) le loulav était pris, dans le Temple, sept jours et, dans le pays (en dehors du Temple), un jour. Après la destruction du Temple ; Rabban Yohanan ben Zakkaï , édicta que le loulav fût pris, dans le pays, sept jours en mémoire du Temple ».

Ainsi, pour réagir contre la destruction du Temple, Israël, par­tout où il est, rappelle pendant les sept premiers jours de la fête que le loulav était et qu’il sera de nouveau offert à la Présence du Seigneur , Présence dont le Talmud, commentant la mishnah préci­tée, enseigne qu’elle doit être recherchée avec amour. (Soukkah41 a).

LA LIBATION D’EAU = BEIT HA-SHO’EVAH

Ce rite, spécifique de la fête des Soukkot, a cessé avec la des­truction du Temple. Nous devons cependant en parler parce qu’il est lié à la joie de la fête, comme nous l’apprend la Tradition d’Israël, qui en garde un souvenir ébloui. La libation se faisait avec de l’eau puisée à la fontaine de Siloé et donnait lieu à une célébration fes­tive particulière la nuit du deuxième jour. La lumière, la musique et les danses de cette nuit en faisait un sommet de la fête, comme l’indique la Mishnah (Soukkah 5,1 ) : « On a dit : Celui qui n’a pas vu la joie de la « maison du puisage » (beit ha-sho’evah) n’a jamais vu de joie de sa vie ». La Tradition d’Israël nous éclaire sur l’ori­gine et sur le statut de cette joie extraordinaire , liée à la libation d’eau qui porte le nom obscur de « maison du puisage ».

L’origine de la joie est la rencontre avec le Seigneur. Pour com­ prendre cela nous écouterons une tradition anonyme, antérieure à la destruction du Temple ur le verset suivant de la Torah (Dt 16,16) : .« Trois fois par an tout homme de chez toi se présentera (littéralement , : sera vu) devant le Seigneur , ton Dieu, dans le lieu qu’il aura choisi ». De ce verset la Tradition nous dit : « D é même qu’il sera vu, il verra » (Sifré s/Dt 16,16, pp. 195-196) . Ainsi chaque : fête de pèlerinage est-elle éprouvée comme le temps d’une· vision récipro­que, d’une rencontre réelle d’Israël avec la Présence réelle du Sei­gneur dans son Temple. Cette réciprocité, que Dieu a voulu permettre par amour, comment est-elle possible du côté. de l’homme ? C’est encore la Tradition qui nous le dit, par la bouche de Rabbi Yehoshua ben Lévi (moitié du 3ème siècle de notre ère) : « :pour­quoi le rite s’appelait-il « maison du puisage » ? Parce que de là on puisait l’Esprit Saint, selon le verset (Is 12,3 )’ : « Vous puiserez de l’eau avec allégresse aux sources du salut » (Jer. Sukkah 5,1 55 a).

Ainsi la joie de la fête des Soukkot, point culminant de la Joie des pèlerinages , est-elle une joie dans l’Esprit Saint , une joie que Dieu élève à sa hauteur et que ne peuvent abaisser ni détruire les médiocrités · d’Israël ou, encore moins, la volonté de ceux qui, tout au long de l’histoire, s’acharnent ·contre le peuple jrtif. Face à tou­tes les difficultés, à toutes les incertitudes, Israël, par la liturgie de Soukkot, manifeste sa joie et sa certitude. Ce grand message pro­phétique est donné avec le soutien scripturaire de Zacharie, dont le chapitre 14, le dernier du livre, est lu le matin du l" jour de Souk­ kot_. Citons-en deux versets, universalistes mais explicites quant au rôle permanent d’Israël dans l’ histoire _ du salut (Za 14,9,16) : « Et le Seigneur deviendra roi sur toute la terre ; en ce jour-là le Sei­gneur sera Un et Un sera son nom..... Et il adviendra que tous les survivants de toutes les nations qui auront marché contre Jérusalem monteront année après année pour se prosterner devant le roi, le Seigneur des armées, et pour fêter la fête des Soukkot ». Cette lec­ture du prophète Zacharie, évidemment à sa place dans la liturgie de Soukkot, marque bien le sens de la fête : c’est la fête où Israël célèbre déjà, par anticipation, l’union de tous les peuples dans le Royaume de Dieu. C’est de cette lumière que s’éclaire le sens des holocaustes offerts dans le Temple les matins des sept premiers jours de la fête : on se rappelle, dans la joie, qu’ils étaient offerts, par anticipation, pour toutes les nations.

Pierre LENHARDT, n.d.s.

[1Nous ne pouvons ici que simplifier. Il y a, heureusement, de notables exceptions : J. Van Goudœver, Fêtes et Calendriers Bibliques, Paris 1967 ;
R. Martin-Achard, Essai Biblique sur les fêtes d’Israël, Genève 1974 ; et surtout la profonde étude de K. Hruhy, La Fête des Tabernacles, au Temple, à la syna­gogue et dans le Nouveau Testament, L’Orient Syrien, Paris, Vol. 7, 1962.

[2Pour l’étude de la prière juive, activité fondamentale d’un peuple qui reste en continuité avec sa Tradition ancienne, mosaïque, pharisienne et rabbinique, on ne peut se dispenser de maîtres juifs vivants. Cette étude doit également faire recours à des ouvrages écrits par des juifs, par exemple : E. Munk, Le Monde des Prières, Paris 1970 ; E. Ki-Tov, Sefer Ha-Toda’ah, Jérusalem 1971 (Traduc­tion française en cours de parution) ; S. Safraï, Ha-’Aliyah la-Regel bymei ha­ Bayt ha-Sheni, Jérusalem, 1965 ; J. Heinemann, Prayer in the Talmud, Berlin 1977. Il y a, de plus, quelques ouvrages écrits par des chrétiens, comme ceux signalés dans la note 1 ci-dessus.

[3Pour simplifier nous ne parlons que de la prière en Terre d’Israël. En Diaspora il y a, comme on le sait, pour chaque jour de fête un jour supplémentaire.