Accueil > Documentation > Culture > Lectures > Livres > JUIFS ET CHRÉTIENS LISENT ENSEMBLE SAINT PAUL

JUIFS ET CHRÉTIENS LISENT ENSEMBLE SAINT PAUL

Présentation par Mgr Jérôme BEAU, Bruno CHARMET, Yves CHEVALIER.
Parole et Silence/ École Cathédrale, Coll. Juifs et Chrétiens en dialogue, 2018, 194 p., 20 €.

Le Père Jean-Pierre Lémonon, dans la préface de ce septième volume de la collection Juifs et Chrétiens en dialogue - qui rassemble des articles parus dans la revue Sens entre les années 2007 et 2017 - attire l’attention sur le fait que les auteurs, divers dans leurs points de vue, s’attachent à ‘’ne jamais couper Paul de ses racines juives’’.

Depuis plus de soixante-dix ans, Juifs et Chrétiens apprennent à se regarder désormais comme des frères, mettant fin à près de vingt siècles de mépris et d’ignorance. Même si le chemin n’est pas encore emprunté par tous, quel bonheur de lire des auteurs juifs, orthodoxe, protestants et catholiques, biblistes ou théologiens exposer une connaissance renouvelée du milieu juif du siècle de Saint Paul donnant à réfléchir sur la pensée de l’apôtre des Gentils. Ces chercheurs nous invitent à nous défaire des termes erronés de ‘’durcissement’’, ‘’aveuglement’’ trouvés dans des textes chrétiens ou ‘’usurpation’’, ‘’substitution’’ dans des écrits juifs. Désormais, ensemble ils s’ouvrent à la ‘’fidélité’’, ‘’lucidité’’, ‘’héritage, ‘’élargissement’’… Magnifique recentrage pour notre réflexion.

C’est avec la limpide méditation proposée par Florence Taubmann, Pasteure de l’Église Réformée de France, que le livre s’ouvre. Profonde ‘’Lecture du renversement spirituel de Saül de Tarse’’, expérience qui peut aussi saisir et bouleverser l’orientation d’une existence humaine, illuminer et libérer une vie.

Première partie – La recherche sur Paul
Le Père John Pawlikowski, Président de l’ICCJ (International Council of Christians and Jews), note l’évolution de la théologie chrétienne sur la question ‘‘Paul était-il le fondateur du Christianisme, ou simplement un juif pieux ? … on peut répondre qu’il était les deux’’. Il cite plusieurs chercheurs juifs et chrétiens s’opposant à la vision traditionnelle d’un ‘’Paul anti-Torah’’. La connaissance de la pluralité des pratiques parmi les disciples de Jésus devrait renouveler aussi la perception erronée que des chrétiens d’aujourd’hui pourraient avoir d’un Paul tournant le dos au judaïsme.

C’est sur ce renouvellement des recherches juives contemporaines sur Paul, que Soeur Yara Matta, religieuse maronite libanaise, dans un long et passionnant chapitre très documenté, explore des écrits de savants juifs depuis le siècle dernier. Depuis Joseph G. Klausner, dans les années trente, David Flusser, Hans Joachim Schoeps, Samuel Sandmel, Richard Rubenstein, Schalom Ben Chorin, Alan F. Segal, Daniel Boyarin, Mark D. Nanos, jusqu’au Rabbin Rivon Krygier, chacun -et pas toujours dans le même sens-, situant Paul par rapport au judaïsme de son époque. Même si certains de ces chercheurs sont déjà connus des lecteurs de la revue Sens, le public francophone gagnerait à mieux connaître le juif Paul et son attachement au christianisme enraciné dans son expérience existentielle du Christ ressuscité.

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Un malentendu ?, le Rabbin Rivon Krygier, de la communauté massorti, sous le titre : ‘’ Paul et Israël : du retranchement à la greffe ‘’, développe la réflexion théologique entre juifs et chrétiens selon trois critères : le Paul historique qui a agi et écrit, le Paul réduit à une lecture - pas encore complètement disparue -, de stéréotypes de l’exégèse chrétienne vieux de deux millénaires - anti-juive et méprisante, qui a fait souffrir le peuple juif de façon éhonté ; enfin le Paul que nous comprenons mieux aujourd’hui avec, de part et d’autre, un regard enrichi de nouvelles connaissances théologiques et bibliques chez les partenaires des deux religions. Et Rivon Krygier de conclure ‘’L’universalisation messianique des Chrétiens éclaire et révèle l’inachèvement des Juifs et du Judaïsme. La séparation en deux voies est donc porteuse de richesse… Il nous faut, Juifs et Chrétiens, nous émanciper de ’’l’enfermement’’.

Le Père Jean-Pierre Lémonon, prêtre théologien et exégète, donne des Éclaircissements sur quelques propos de Paul dont la lecture n’est certes pas aisée en Philippiens 3, Romains 9-11, 1 Thessaloniciens 2, 14-16, 2 Corinthiens 3. Paul rédige ses lettres entre 51 et 58, alors que la rupture entre la synagogue et les partisans de Jésus n’est pas consommée. Contexte d’ailleurs plus nuancé et complexe qu’on a bien voulu l’écrire. L’expérience de Jésus ressuscité a bouleversé la vie de Paul et de cela il a voulu témoigner.

Bernard Weill, laïc catholique, docteur en théologie – avec une thèse soutenue en 2006 Plénitude et finitude chez saint Paul. Une herméneutique de l’accomplissement - termine la deuxième partie de ce volume avec ce titre ‘’Saint Paul et Israël : dialogue avec le rabbin Rivon Krygier’’. La discussion porte sur l’interprétation du chapitre 11 de l’épître aux Romains et particulièrement de l’apologue de l’olivier sauvage en Rm 11, 16-24. En conclusion, dit-il, si saint Paul considère que l’adhésion à Jésus-Christ incarne pleinement la plénitude de la foi, ‘’la Parole de Dieu est unique, qu’elle soit véhiculée par la Torah ou incarnée en Jésus-Christ’’.

La troisième partie, L’Unique Alliance, s’ouvre avec une contribution orthodoxe en la personne de Sandrine Caneri, bibliste, ‘’La permanence de l’Alliance’’. En citant largement les Écritures et des auteurs comme Hans Urs Von Balthasar, le Cardinal Joseph Ratzinger, le Père Michel Remaud, Serge Boulgakov et bien d’autres, Chrétiens et Juifs affirment ensemble, à la suite de Paul, que ‘’Dieu n’a pas rejeté le peuple que d’avance il avait discerné... car les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance’’ (Rm, 11).

C’est sur ce même thème que Bernard Weill invite à étudier la question ‘’L’Alliance en Jésus-Christ a-t-elle abrogé l’Ancienne Alliance ? ’’, c’est-à-dire la théologie de la substitution. Car saint Paul, lui-même juif, s’autorise à considérer que la Parole de Dieu est une, « nos pères… ont bu le même breuvage spirituel… ». On voit bien que la lecture des textes ne peut se faire de façon superficielle, qu’il faut scruter de près les termes employés pour comprendre qu’il n’y a pas rupture mais continuité entre la Torah : « Près de toi est la parole, tout près, dans ta bouche et dans ton cœur, pour que tu la mettes en pratique » en Dt 30,14, et la foi proclamée par Paul : « La parole est près de toi, dans ta bouche et dans ton cœur. Cela est la parole de la foi que nous proclamons » Rm 10,8b.

Avec L’Accomplissement chez saint Paul, Expression du rapport entre les deux Alliances, se termine cette troisième partie dans laquelle le Père Damien Noël, ancien professeur d’exégèse, rend compte de la thèse de Bernard Weill, mentionnée plus haut.

Pour finir, des Questions conduisent à la dernière partie de l’ouvrage, dont le point de ralliement des différents auteurs et points de vue concerne la volonté de tous de ne jamais couper Paul de ses racines juives. La première de celles-ci, celle du cardinal Vingt-Trois lors des conférences de Carême en 2009, a pour titre : « La connaissance mystique de Dieu chez le juif Paul ». Il insiste sur l’expérience bouleversante de la rencontre de Paul avec le Christ ressuscité. Réjouissons-nous, dit-il, de cette émulation entre Israël et l’Église qui, par la grâce de Dieu, produira de beaux fruits pour le salut du monde.

Christian Grappe, professeur de Nouveau Testament à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg, aborde la figure de Paul sous le titre ‘’Paul et la sanctification’’. L’exégèse des textes montre la cohérence entre le comportement chrétien tel que le conçoit Paul, la pensée de Jésus et celle de prophètes comme Jérémie, Zacharie et Ézéchiel. Là encore l’Épître aux Romains éclaire la compréhension du rapport entre Loi et Évangile. L’accomplissement de la Loi se trouve récapitulée par le commandement d’amour : « L’amour ne fait point de mal au prochain : l’amour est donc l’accomplissement de la Loi » (Rm 13,10).

Ed Parish Sanders, professeur émérite de religion de l’Université Duke aux États-Unis et d’études religieuses de l’Université McMaster au Canada, termine ce volume avec un chapitre intitulé ‘’La compréhension de la théologie de Paul et l’antijudaïsme chrétien’’. Le texte ici republié a été présenté en 2016 à Philadelphie lors de la Conférence de l’ICCJ. Il porte un regard historique et critique du Judaïsme dans les Évangiles, des querelles dogmatiques, du Christianisme du siècle des Lumières pour faire apparaître qu’une des causes du malentendu concerne « Œuvres de la loi » et « bonnes actions ».

C’est bien avec un regard radicalement nouveau et profondément étayé que Juifs et Chrétiens nous proposent de lire ensemble Saint Paul.

Marie-France GARRIGOU