De Jérusalem à Rome : un déroutant parcours, par Franklin Rausky
Élie Setbon est né à Paris, en 1964, d’un père juif originaire d’Afrique du Nord et d’une mère ashkénaze issue d’une famille roumaine. Sa vie de jeune juif, plus ou moins laïque, dans un foyer vaguement traditionaliste, ne comble pas ses aspirations. Il trouve dans le sionisme l’idéal de sa vie, part pour Israël et s’engage dans l’armée.
Mais très vite, il déchante et s’éloigne de la jeunesse israélienne moderniste. Il suit les cours d’une Yeshiva strictement orthodoxe, à Bné Brak, bastion de la prestigieuse élite rabbinique « lituanienne ».
Malheureux dans son séjour en Terre Sainte, il revient en France, adhère au courant hassidique de Loubavitch, plus chaleureux que le rigorisme des grandes académies talmudiques.
Mais il ne trouve pas, non plus, la paix de l’esprit dans cette mouvance. Finalement, en 2008, il abandonne la foi de ses ancêtres et accepte le baptême, sous le nom de Jean-Marie Élie Setbon, hommage au cardinal Jean-Marie Lustiger, né juif, converti au christianisme dans son adolescence et devenu, après un long cheminement intérieur, un éminent penseur du dialogue judéo-chrétien et d’une redécouverte féconde du judaïsme par les fidèles de l’Église. Pour expliquer son itinéraire spirituel, Setbon publie ses mémoires, « De la Kippa à la Croix : conversion d’un Juif au catholicisme » (éditions Salvator, Paris, 2013).
Des amis chrétiens, déconcertés par cet ouvrage, m’ont demandé de le commenter, avec un regard juif engagé. Ainsi, j’ai lu attentivement ce récit. Voici les réflexions qu’il m’inspire. Tout être humain a, incontestablement, le droit de chercher la vérité et de choisir sa voie spirituelle. Personne ne saurait être enfermé à vie dans une prison mentale close. Toute personne a le droit de suivre une religion, si elle est sa conviction ; de l’abandonner, si elle n’y trouve plus sa vraie voie ; d’adopter une autre religion ; de quitter toute religion, refusant de se conformer à des croyances qu’elle estime fausses. C’est une liberté fondamentale de l’homme, reconnue par l’État d’Israël depuis sa création et contestée par certains pays du Proche Orient. Le monde contemporain s’est réconcilié avec l’idée de la légitimité, pour chacun, de choisir sa voie, sans être accusé de trahison. Des croyants d’origine chrétienne, y compris d’éminents intellectuels, chercheurs, penseurs, écrivains, philosophes, après une mûre réflexion, ont décidé de quitter l’Église de leurs pères, de rejoindre le peuple d’Israël et d’accepter les commandements de la Loi de Moïse : ce sont les « guerei hatsedek », les prosélytes de justice. Ils l’ont fait avec sérénité, réserve, pudeur, sans polémiques ni dénonciations. Personne, parmi eux, n’a écrit des récits racoleurs, dans le style « De la Croix à la Kippa ». Je ne conteste pas le droit de Setbon de choisir sa famille spirituelle. Mais son discours, intellectuellement indigent, propose une vision péjorative du judaïsme, dans la ligne des anciens Conversos : Israël caricaturé comme un peuple de pharisiens hypocrites, à la nuque raide. Des clichés du livre y alimentent le soupçon à l’égard des Juifs, particulièrement des orthodoxes, stigmatisés comme des diffamateurs antichrétiens !
Bref : ce livre est un très mauvais service à la compréhension entre judaïsme et christianisme. Dommage...
Source : Actualité juive, n° 1275, jeudi 7 novembre 2013
Franklin RAUSKY , directeur des études de l’Institut Universitaire d’études juives Elie Wiesel et co-directeur du département de recherche "Judaïsme et christianisme" du Collège des Bernardins.
Lettre du P. Bernard Fauvarque (Jésuite)
Auteur de : « Le salut vient des Juifs », parole d’évangile, Paris, Bayard, 2009, 115.
Groupe lillois de l’AJCF
Après avoir entendu Jean-Marie Setbon, lors de son passage à la Passerelle (lieu de rencontres œcuméniques situé près des gares de Lille), le P. Bernard Fauvarque nous a adressé la lettre suivante. Et il faut préciser que la présentation de son livre par Jean-Marie Setbon a mis mal à l’aise une grande partie de son auditoire composé de chrétiens : catholiques, protestants, orthodoxes.
J’ai essayé de repérer quelques-unes des affirmations de Setbon qui m’ont choqué. Il y en aurait sûrement d’autres :
- une foi chrétienne ostentatoire (porter une croix ou une médaille de la Vierge bien visibles)
- impossible dialogue judéo-chrétien : Talmud antichrétien et « Pour les Juifs religieux, Jésus est le « diable ». C’est pour cette raison que je suis assez sceptique concernant la sincérité d’un dialogue judéo-chrétien… » p. 74
- désaccord avec Mgr Lustiger : « …je ne suis pas d’accord avec lui. Je ne me considère pas comme un Juif accompli mais un Juif converti au Christ » p. 146
- L’Ancien Testament n’a de valeur que comme annonce de l’incarnation du Verbe : « Toutes les Écritures ne disent que cela. Tout l’Ancien Testament, toute la Loi, sont là pour annoncer l’Incarnation du Verbe, qui s’accomplit en Jésus » p. 152
- Dans le judaïsme, il n’y a pas d’intériorité : « Dans le judaïsme, je n’ai jamais entendu parler d’une relation personnelle à Dieu dans le silence intérieur. On nous parle de Dieu, à travers la théologie, l’exégèse des textes » p. 187
- Dans le judaïsme, on ne prie que pour les juifs : « J’ai maintenant cette grâce d’aimer tout le monde, sans sélection. Or dans le judaïsme, on apprend à aimer les Juifs mais à considérer que les autres nous veulent du mal. » p.186
- Dans le judaïsme, on hait ses ennemis : « Jésus nous demande d’aller jusqu’à pardonner à nos ennemis et d’aimer ces ennemis. Cette idée est tout à fait étrangère au judaïsme. On hait ses ennemis » p. 182
Pour résumer : Setbon fut un rabbin ultra-orthodoxe, il est « converti » sans doute, avec une expérience hors du commun mais converti à un christianisme qui n’a pas intégré l’enseignement du Concile Vatican II, et particulièrement Nostra Aetate, ce qui est grave, avec son enthousiasme éclaboussant, ses certitudes absolues qui estompent tout dialogue possible avec l’autre d’une autre religion, à commencer par le juif. Pour ce catholique-là, le Concile Vatican II n’a aucun intérêt (puisqu’il prône le dialogue, contredisant en cela Vatican I), de même que l’œcuménisme (il l’affirme chez ses hôtes de la Passerelle qui pratiquent l’accueil œcuménique !).
Le problème, c’est qu’à notre époque où les églises se vident et où la foi est en veilleuse, un certain nombre de catholiques sont contents d’entendre un converti qui clame haut et fort sa foi et remue les foules qui viennent l’écouter. S’il n’y avait que le livre, ce serait un moindre mal, mais il y a le discours beaucoup plus vigoureux et percutant, un discours qui grossit considérablement les dérapages du livre et peut influencer négativement un public non sensibilisé.