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LES JUSTES D’AUVERGNE, par Julien BOUCHET

Presses Universitaires Blaise Pascal, collection Études sur le Massif Central,
Octobre 2015, 173p, 18€ papier, 12€ PDF.

Le projet de ce livre consacré aux Justes d’Auvergne est né à l’occasion de la remise de médaille du père Antonius Delaire, en 2007 à Courpières dans le Puy-de-Dôme, en présence de représentants des communautés catholique, protestante et juive. La rédaction du livre a donné lieu à un contrat avec l’Université Blaise Pascal de Clermont Ferrand en 2010, qui en a confié la réalisation à l’historien Julien Bouchet.

Cette étude très méthodique est délimitée dans l’histoire des sauvetages par les critères de nomination des Justes parmi les nations de l’Institut israélien Yad Vachem. Elle concerne 197 Justes parmi les nations (sur 3850 en France), recensés en Auvergne dans les limites de la précédente région, c’est-à-dire, les quatre départements de l’Allier, du Puy-de-Dôme, de la Haute-Loire et du Cantal. Il faut ajouter que ce nombre ne comptabilise pas « la population du Chambon-sur-Lignon et du plateau Vivarais-Lignon qui a été collectivement distinguée en septembre 1988 ».
Il est donc bien entendu que cet ouvrage ne recouvre pas l’ensemble des sauvetages effectués dans la région. Cependant les données de l’enquête de Yad Vachem croisées avec les archives départementales, les archives diocésaines et les fonds déposés au Centre de Documentation Juive Contemporaine, ainsi que des entretiens avec les témoins eux-mêmes, permettent de cerner certaines caractéristiques la démographie et la sociologie de ce groupe restreint qui peuvent susciter d’autres recherches.

Une première partie du livre répond à la question « Qui sont les Justes d’Auvergne ? ». Elle débute par une étude démographique, illustrée de schémas et de cartes, et s’appuie sur un tableau très détaillé des renseignements concernant les 197 personnes reconnues du groupe (Annexe 1). L’auteur procède ensuite à un examen des caractéristiques sociologiques de ces Justes d’Auvergne (activités professionnelles dominantes, opinions religieuses et politiques), il note les liens qui se sont établis avec quelques associations ou réseaux, et dégage les motivations qui ont poussé aux actions de sauvetage.

La deuxième partie « Être juste en Auvergne » est centrée sur les formes de sauvetages pratiquées dans cette région de moyennes montagnes, loin des frontières, mais concernée par la ligne de démarcation qui passe au nord du Bourbonnais dans le département de l’Allier : quelques passeurs , quelques médiateurs en relation avec des organisations ou des réseaux pour assister des personnes ou des groupes, enfin et surtout des hôtes qui assurent hébergement et nourriture. L’Auvergne apparaît comme « un centre de résistance à l’internement et à la déportation des Juifs », une zone de refuge plus que de transit.

La troisième partie « entre histoire et mémoire » est consacrée d’abord à deux « figures de Justes » qui décrivent une « réelle richesse d’engagements ».
L’auteur choisit l’évêque de Clermont Mgr Gabriel Piguet, ce « notable à la mémoire controversée » maréchaliste, sauveteur de Juifs, « résistant… à la façon d’un évêque conservateur », déporté, qui reçoit la distinction de Juste parmi les nations le 7 novembre 2000.
Puis il présente Maria Thomas-Holop, avec qui il a pu avoir un entretien. Cette jeune femme forte et responsable s’engage naturellement, offre un refuge à des personnes menacées. Très modeste, elle décrit toute son action comme relevant d’un simple« réflexe d’humanité ». Elle devient Juste parmi les nations le 3 décembre 2009, à la demande de celui qu’elle a sauvé tout enfant.
Sous le titre « le ‘Juste inconnu’ », Julien Bouchet revient sur la « reconnaissance encore lacunaire » des sauveteurs par l’Institut Yad Vachem et remarque que cette situation ne peut guère évoluer dans la mesure où disparaissent les témoins indispensables pour instruire les dossiers. Il signale des formes nouvelles de collectivisations mémorielles, locales ou nationales sous des statuts divers (cérémonies, associations, poses de plaques etc.), qui assurent la visibilité des Justes dans le temps et l’espace.

Cet ouvrage qui offre un texte clair et bien structuré accompagné d’annexes bien choisies dépasse la monographie régionale, en soulevant les problèmes de relation entre l’histoire et la mémoire, et en ouvrant d’autres champs de recherche, comme la notion de résistance civile, pour cerner au mieux toutes les actions de sauvetage qui reste à découvrir.
Une lecture enrichissante.

Paule Marx