Ce témoignage bouleversant, écrit avec une sensibilité, une finesse et une intelligence rares, nous plonge justement dans l’histoire de cette famille juive originaire d’Allemagne, de Mannheim, du côté des Sandler, et comme dans toutes les familles ashkénazes, on découvre le gouffre de la Shoah : « En août 1944, Limoges est libéré. Ma mère apprend que sa propre mère, sa sœur Minna et son beau-frère André Loeb, leur fils Jeannot, 8 ans, caché chez les Blouin, ont été assassinés » (p. 75-76).
Ce livre précieux nous donne ainsi la profondeur historique, généalogique que les médias ont malheureusement ignorée après cette journée tragique du 19 mars 2012. Il faut se plonger dans ces pages de douleur, de ferveur aussi car la famille Sandler, profondément religieuse, a su demeurer fidèle à sa tradition, même aux pires heures de la Shoah, et Jonathan, le fils, jeune rabbin assassiné, avait poursuivi cette tradition, à travers un Judaïsme orthodoxe dont un livre posthume, Pour plus de lumière rassemble ses écrits [cf. Sens, n°377, mars 2013, p. 264-266]. Samuel Sandler rend également hommage à sa belle-fille, Eva, jeune veuve qui perdit donc aussi deux de ses jeunes enfants et dont la foi inébranlable, à travers cette terrible épreuve, est un exemple. On se souvient que quelques jours après l’assassinat de trois des siens, elle avait eu la force d’écrire, sur les réseaux sociaux, un message qui avait bouleversé Juifs comme non-Juifs : « Un cri du cœur pour plus de lumière ». Elle y affirmait notamment que « l’esprit du peuple juif ne peut jamais être éteint ; son lien avec la Torah et ses commandements ne peut jamais être détruit » (cf. Sens, n°369, mai 2012, p. 356).
Samuel Sandler rassemble aussi dans son récit les noms de toutes les autres victimes de cet assassin, et l’on sait combien il a eu le souci, depuis, de rejoindre ces différentes familles dans leur souffrance propre : « Pendant ce temps, qui évoque Abel Chennouf et Mohamed Legouad, soldats du 17e régiment du génie parachutiste de Montauban ? Qui pense au martyre que vit leur camarade, Loïc Liber, paraplégique, soigné dans une chambre de l’hôpital des Invalides ? Qui songe à la vie qu’aurait eue le militaire Imad Ibn Ziaten si l’assassin ne l’avait pas abattu à proximité d’un gymnase d’une cité toulousaine ? Qui imagine grandir la blonde Myriam Monsonego, dont le cartable contenait ses chaussons de danse ? Qui pense à Gabriel, à Arié et à Jonathan, les trois derniers à porter le nom des Sandler ? » (p. 62)
Mais en même temps, Samuel Sandler avoue, dans les dernières pages, au moment du procès du frère de l’assassin, en octobre 2017, sa lassitude « d’être le gentil juif dont on a assassiné les enfants et qui, depuis, donne des conférences et prononce des discours sur la réconciliation et la paix, je ne veux plus être ce doux grand-père, figure de la communauté israélite de Versailles, qui passe ses soirées dans des réunions associatives à disserter sur les bienfaits du dialogue entre les religions. Foutaise. C’est fini le Samuel Sandler que rien n’ébranle, qui jamais ne pleure ni ne crie » (p. 108-109).
Comment ne pas le comprendre ? Et comment ne pas l’accompagner dans son cri de souffrance ? En tout cas, que Samuel Sandler sache que l’AJCF ne l’oubliera jamais, qu’il trouvera toujours dans notre association un soutien sans faille, et que nous n’oublierons jamais sa présence et son témoignage si courageux donné lors de l’Assemblée Générale de l’AJCF, tenue précisément à Versailles, en mai 2016 (cf. Sens, n°412, mai-juin 2017, p. 195-197).
Bruno CHARMET