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PḔRE MARIE-BENOÎT, par Susan ZUCCOTTI

Comment un prêtre capucin a sauvé des milliers de Juifs de l’Holocauste


Traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat
Bayard, Montrouge, janvier 2015, 448 p., 34,90 €

Ce livre de Susan Zuccotti paraît cinq ans après le premier ouvrage consacré à la vie du Père Marie-Benoît dont l’auteur était Gérard Cholvy. Voir la recension d’Yves Chevalier dans Sens n° 361, juillet-août 2011 : Père Marie-Benoît 1895-1990 Un fils de saint François « Juste des nations » Cerf Paris, décembre 2010, p. 583-587.

Suzan Zuccotti cite Gérard Cholvy dans la note 40 de la page 433-434 et connaît donc cette œuvre. Elle se réfère aux mêmes archives et procède à de nombreux entretiens : membres de la famille Peteul, amis du Père et surtout de Maie-Benoît lui-même, le 25 avril 1988, deux ans avant sa mort. Dès l’introduction, elle précise son angle de vue, le sauvetage des Juifs et l’importance du contexte. L’ouvrage est donc plus condensé sur certains points mais laisse en revanche plus de place aux opérations de sauvetage et aux témoignages des survivants.

Dans les trois premiers chapitres - Pierre Péteul héritage familial et éducation ; Pierre Péteul et la Première Guerre mondiale ; L’entre-deux-guerres – l’auteur décrit le milieu dans lequel est né et a grandi le futur capucin : la région d’Angers, une famille pauvre, une mère malade, un environnement catholique conservateur marqué par les violences durant la Révolution, et les luttes récentes, occasionnées par la Séparation des Églises et de l’État. Ce contexte explique la vocation religieuse précoce de Pierre Péteul et sa formation hors de France, en Belgique et aux Pays-Bas. La guerre, son expérience de brancardier, sa blessure puis un cours séjour au Maroc le mettent en présence d’un monde moderne violent, dans lequel le jeune séminariste acquiert une grande indépendance d’esprit. Démobilisé, il reprend des études supérieures à Rome en 1921, prononce ses vœux perpétuels de capucin, est ordonné et, sous son nouveau nom Père Marie-Benoît, commence une brillante carrière d’enseignant Il voit de très prés la montée du fascisme et du nazisme et doit revenir en France pour être de nouveau mobilisé.

Les quatre chapitres suivants relatent chronologiquement les étapes des opérations de sauvetages dans le Midi de la France, d’abord à Marseille (chapitres 4 et 5), entre 1940 et 1943, où affluent de nombreux réfugiés, beaucoup d’étrangers et de Juifs.
Le Père Marie-Benoît se trouve alors dans un couvent de Marseille, il aide les internés juifs du Camp des Milles, puis des familles juives qui lui sont adressées par les Sœurs de Sion (témoignage de Sœur Gabriella). Il s’agit surtout de fournir des faux papiers et de trouver des hébergements. Le Père Marie-Benoît travaille avec Stefan Schwamm Juif autrichien et sa femme non-juive, pendant cette première période de mai 1940 à août 1942.
De juin 1942 à juin 1943, après les grandes rafles et les déportations, le Père Marie-Benoît se rapproche du Groupe d’action contre la déportation, plus connu comme le Service André, dirigé par Joseph Bass, alias André, un avocat juif russe arrêté comme résistant puis évadé, qui organise les passages en Suisse ou les placements dans des familles du Massif Central. Le Service André reçoit des fonds du Joint, a l’appui de l’UGIF, mais aussi de chrétiens, catholiques et protestants.
Parallèlement de novembre 1942 à juin 1943 (chapitre 6), de l’occupation du Midi par l’Italie jusqu’à l’occupation allemande, le Père Marie-Benoît et Joseph Bass utilisent sur Nice les services du Comité d’assistance aux réfugiés appelé Comité Dubouchage, en particulier pour connaître les filières fiables. Ils rencontrent Angelo Donati, un banquier juif italien qui joue un grand rôle à Nice, jusqu’en septembre 1943 (chapitre 7), auprès des réfugiés et qui projette de transférer en Italie du Nord les Juifs mis en résidence surveillée, dans la zone en arrière de Nice par les autorités italiennes. Le « plan Donati » est remis en question par la mise à l’écart de Mussolini, en juillet 1943, et son remplacement par Badoglio, qui obligent à envisager le transfert des Juifs vers l’Afrique du Nord.
Dans les faits, les Alliés imposent à l’Italie de sortir de la guerre début septembre 1943, les Allemand lancent alors « une opération meurtrière d’occupation », qui vient « rapidement à bout de la résistance éparse des Italiens » p. 215, et les SS d’Aloïs Brunner sévissent à Nice jusqu’en1944.et procèdent à de brutales arrestations et des déportations. A Donati doit passer en Suisse.

Le Père Marie-Benoît quitte la France en juin 1943, il savait dès 1942 que le ministre général des Capucins souhaitait son retour à Rome. Il obtient une audience avec Pie XII, accompagné du supérieur de l’ordre, le 16 juillet 1943 (p.196 et suivantes) : il donne des informations sur son ministère à Marseille et transmet une note, dont un des quatre points demande une intervention pour le passage en Italie des réfugiés Juifs de l’arrière pays de Nice.
Or, venant de Saint-Gervais–les Bains, un groupe de Juifs arrive à Rome avec Stefan Schwamm et Kasztersztein (chapitre 8) et rien n’est entrepris du côté du Vatican.
Berlin donne l’ordre d’arrêter tous les Juifs indépendamment de leur nationalité en septembre 1943 (p. 242). Le Père Marie-Benoît qui s’était rapproché de la Delasem, Delegazione assistenza emigranti ebrei, organisme national d’assistance aux réfugiés juifs basé à Gênes, et de son directeur Sorani, peut compter sur cette aide.
Mais avec l’avance allemande, les réfugiés juifs affluent à Rome. Les forces de sécurité allemandes envahissent alors les locaux de la communauté juive romaine, de la synagogue et vident la bibliothèque. Le 16 octobre 1943, 1259 Juifs italiens sont arrêtés et 1023 déportés à Auschwitz, p. 224. Il faut alors placer les Juifs étrangers et les opposants dans les couvents, les collèges etc. ce qui fait craindre une attaque des institutions de l’Église. La Delasem doit travailler dans la clandestinité.
Pour résoudre le problème d’hébergement des réfugiés, il est nécessaire de leur fournir non seulement des cartes d’identité, mais aussi des permis de séjour, permettant d’avoir des tickets de rationnement (chapitre 9). Le père Marie-Benoît et S. Schwamm obtiennent la création d’un Comité d’assistance aux réfugiés délivrant des certificats antidatés, qui permettent d’avoir les cartes de rationnement avant le permis de séjour.
De nombreux prêtres s’engagent à l’insu du pape, des fonctionnaires, des personnels de consulats, notamment de Hongrie et de Roumanie, obtiennent des formulaires servant à fabriquer de fausses cartes.
En 1944 les fonds de la Delasem provenant des communautés juives sont épuisés (chapitre 10). C’est par l’intermédiaire de Mgr Hérissé que le Père Marie-Benoît prend contact avec le chargé d’affaire américain au Saint Siège, Harold Tittmann, à la fin de 1943, celui-ci transmet une demande au JOINT. Mais les virements consenties à la Delasem en janvier et mai 1944, l’un de 20 000€ l’autre de 100 000 € déposés à Londres, n’ont pu parvenir que partiellement (équivalent en lires de 36 000€) par un processus complexe, p. 281-283.
Aucune aide du côté du Vatican de Mgr Maglione.
Les besoins étaient tels que Marie-Benoît et S. Schwamm projettent un voyage à Gênes (p. 284) pour recueillir des fonds confiés à l’archevêque par le responsable de la Delasem contraint à la clandestinité. Schwamm est arrêté à Milan le 17 avril 1944, Le Père poursuit jusqu’au but et rapporte en mai 1944, 1 million de lires de la Delasem. Schwamm est emprisonné puis déporté au camp de travail de Laband en juillet 1944, enfin libéré par les Russes en janvier 1945.
Des polémiques dans les années soixante ont terni cette action qui a pourtant permis de distribuer des allocations toujours insuffisantes, face à la hausse de prix.
Malgré les arrestations et déportations, le Père trouve des soutiens dans la population non juive, parmi des fonctionnaires et des hommes et des femmes d’Église.

Les deux derniers chapitres résument quarante cinq ans de vie, des années lourdes.
Immédiatement aux lendemains la libération de Rome (Chapitre 11), après les applaudissements les commémorations, les distinctions honorifiques, viennent les problèmes. D’abord la grande détresse des Juifs de Rome dans une ville qui manque de tout et pour lesquels il faut trouver des aides auprès de la Delacem, des prêtres et religieux, des consulats, des particuliers, etc…
Le père Marie-Benoît se lance dans une série de conférences sur l’Ancien Testament qui selon lui peuvent rapprocher Juifs et chrétiens. Cette Amitié judéo-chrétienne, ses positions sur les baptêmes des Juifs pendant la guerre qui excluent tout « prosélytisme inintelligent » p. 327 attirent la méfiance ; d’un autre côté, la conversion du grand rabbin de Rome Israel Zolli et la recherche des enfants cachés indisposent la communauté juive de Rome.

Les dernières décennies (chapitre 12) sont marquée par ce va et vient de reconnaissances officielles et de déceptions, par exemple sur le plan professionnel son transfert à Campobasso de 1953 à 1956 peut être vécu comme une « rétrogradation », p. 346. Les relectures de la guerre entraînent de nouvelles polémiques sur le rôle de l’Église. Le père Marie-Benoît doit à plusieurs reprises intervenir pour apporter des corrections à des contrevérités. Parmi les expériences douloureuses l’article de Simon Wiesenthal l’impliquant dans l’aide apportée aux criminels de guerre nazis, dont Eichmann (p. 351et suivantes).

L’ouvrage de Susan Zucotti reste facile à lire malgré la densité des faits qu’il analyse
L’auteure choisit de privilégier les relations du Père Marie-Benoît avec les Juifs, elle insiste beaucoup sur sa façon de susciter l’aide de la population locale et des Juifs eux-mêmes, individuellement ou organisés en associations. Elle revient très souvent sur l’attitude de fermeture du Vatican, en opposition avec l’ouverture de certains hommes et femmes d’Église agissant individuellement. Elle essaie de comprendre les motivations profondes du Père Marie-Benoît et la conviction qu’il acquiert très tôt que « l’antisémitisme et l’antijudaïsme n’étaient pas seulement mauvais, mais théologiquement erronés », p.123.

Paule Marx