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Une femme libre et fidèle ! Annette Labour nous a quittés le Jour de Kippour

Agée de 94 ans, Annette Labour, membre de l’AJCF Nantes et du SDRJ, était encore active sur le secteur de Saint-Nazaire où elle a maintenu jusqu’à l’année passée un petit groupe d’échanges et de réflexion sur la relation juifs - chrétiens, le plus souvent à partir de l’étude de l’hébreu qu’elle connaissait.

Son départ laisse un vide auprès de ses proches car sa personnalité d’érudite et de femme libre apportait beaucoup.
Femme libre, Annette l’était assurément, bien déterminée à prendre son destin en main. Sans doute avait-elle reçu de ses parents - à coup sûr de sa mère qu’elle aimait beaucoup, la confiance en la vie plus forte que tout. Sa maman était sagefemme à Saint-Nazaire.

Et jeune adolescente elle se souvenait l’avoir accompagnée pendant la guerre au cours d’accouchements dans des conditions extrêmes, sous l’occupation nazie et sous les bombes qui l’auront marquée à vie : bombardements des alliés dévastateurs et libérateurs à la fois. Elle faisait évidemment le rapprochement avec ce qui se passe aujourd’hui au Moyen-Orient où des deux côtés les civils paient le prix insupportable de la guerre contre le terrorisme islamiste.

Annette a été l’une des premières femmes médecins dans l’immédiat après-guerre, seule femme de sa promotion. Devenue neuro psychiatre, elle a débuté sa carrière à La Pitié Salpêtrière où elle a découvert la réalité juive par son contact avec des médecins juifs ayant connu l’enfer des camps de la mort et qui en sont miraculeusement revenus. Des personnalités exceptionnelles disait-elle.

Elle a eu le privilège d’accéder à des univers peu connus : les cercles parisiens de psychanalyse (elle a échangé avec Françoise Dolto), les grands voiliers du Père Jaouen (ce jésuite qui emmenait de jeunes sortants de prison traverser les océans pour leur redonner confiance), le monde troublant des prostituées auquel elle a voué sa vie, les accompagnant en tant que médecin psychiatre à l’association du Nid. Féministe avant l’heure, son rapport au monde a changé au contact de ces femmes violentées par les hommes, affirmait-elle.

Il lui arrivait d’aller dîner à l’Elysée avec une de ses amies, fille du Président de la République d’alors Vincent Auriol. Ella est intervenue à l’UNESCO sur la prostitution, a appris l’anglais toute seule pour pouvoir lire des articles de fond que lui envoyaient des amis juifs anglais.

Elle a surtout appris l’hébreu biblique auprès des Sœurs de Sion de la rue ND des Champs à Paris tout en suivant parallèlement des cours à l’INALCO (l’institut national des langues et civilisations orientales) où, là aussi, elle croisera des personnalités juives comme le professeur Mireille Haddas Lebel qu’elle sera heureuse de revoir par la suite à Nantes, lors de la session juifs-chrétiens en 2021 au Loquidy.

A ce sujet, elle a participé dès l’origine à ces sessions que l’équipe du SDRJ a lancées dans l’Ouest. Elle a toujours soutenu cette démarche à laquelle elle tenait beaucoup en aidant certains jeunes financièrement.

Annette a fréquenté le monde étrange et secret - et même suspect pensait-on, des chrétiens qui s’intéressaient aux juifs. Elle a eu le privilège de rejoindre le petit groupe « Anani » fondé par le cardinal Jean-Marie Lustiger qui venait soutenir des chrétiens d’origine juive ou des couples mixtes souffrant de ne pouvoir être reconnus dans leur identité de juif et de chrétien à la fois. « Je suis doublement crucifié » lui avait-t-il un jour confié, crucifié par l’incompréhension et même le rejet de beaucoup de juifs et de chrétiens des deux côtés. Cet homme au destin inouï, ce cardinal juif, elle le reverra à nouveau en novembre 2005 à l’invitation du petit groupe d’Amitié judéo-chrétienne de Nantes. Elle sera là lorsque ce même groupe accueillera grand acteurs du dialogue : les Pères Jean Dujardin, Michel Remaud, Patrick Desbois, Dominique Cerbelaub, Jean Massonnet…

Elle a eu des relations plus soutenues avec son très cher rabbin Claude Sultan dont elle suivait les cours à la communauté des Pères de Sion à Paris, mais aussi avec le Frère Pierre Lenhard, théologien religieux de Sion, qui ayant vécu 40 ans en Israël, était le spécialiste francophone du Talmud et de la prière juive. C’est à la Trappe de Soligny qu’elle a approfondi sa connaissance des psaumes qu’elle lisait en hébreu, dans le cadre des formations organisées par le Frère Jean-Pierre, moine trappiste d’origine juive.

La bibliothèque d’Annette comportait les principaux ouvrages-clés d’auteurs ayant marqué les dernières décennies du dialogue. Tous ces livres étaient soigneusement annotés d’une multitude de petits feuillets qu’elle introduisait entre les pages.

Elle a également fait plusieurs voyages mémorables en Israël et à Auschwitz, accompagnés de jeunes catholiques et de Magda Lafon et d’Yvette Levy rescapées des camps.

Passionnée, elle n’avait de cesse de vouloir partager son amour pour le Peuple d’Israël, et chaque fois qu’elle le pouvait, elle encourageait les jeunes prêtres à étudier et fréquenter le Judaïsme.

A la cérémonie de ses funérailles, en l’église Sainte Anne de Saint-Nazaire, le message émouvant d’un prêtre a été lu : « Annette a tant apporté pour que grandisse l’estime mutuelle entre juifs et chrétiens et surtout pour que les chrétiens s’ouvrent à leurs frères dont ils ignorent à peu près tout… Combien de conversations passionnées avec elle… Elle aura contribué à attirer mon attention et à affiner mon approche sur la lecture juive des Écritures… »

Annette l’a affirmé plus d’une fois, c’est son lien indéfectible au Judaïsme qui lui a permis de garder la foi au Christ messie d’Israël, et de rester fidèle à l’Eglise.
Ces premiers jours d’octobre, elle ressentait plus que jamais le besoin de s’unir à la prière de nos amis juifs. Ne pouvant plus se déplacer, elle téléphonait aux uns et aux autres pour qu’on l’associe aux rassemblements dans les synagogues, pour la commémoration du massacre du 7 octobre et pour les fêtes juives de Tichri.

Alors, dans un ultime sursaut de confiance et de lucidité Annette a rendu son âme au Dieu d’Israël, précisément le matin de Kippour. Kippour, fête du Grand Pardon qui, pour les juifs et les rabbins, est le moment le plus solennel de l’année liturgique, le moment du grand face à face avec l’Eternel, l’heure de vérité, l’heure du Jugement où elle a dû se présenter avec Jésus son fidèle Compagnon de route, pour recevoir « son inscription au Livre de la Vie » selon l’expression retenue dans la Tradition juive.

Une immense gratitude pour ce qu’Annette nous a apporté !