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"Présence de l’espoir", par Catherine Chalier

Seuil, coll. "Les dieux, les hommes", 2013, 200 p., 19€

Une recension d’Olivier Rota, pour vous donner envie de lire notre coup de cœur du moment :

Contre une société moderne qui se meurt d’inespoir, Catherine Chalier parvient à redonner à la promesse biblique sa qualité d’antidote au renoncement. (…) Car le monde qui vient est un monde à faire venir, c’est-à-dire un monde à bâtir, et l’immédiateté, nourrie aux sources de la Promesse, un appel à s’ouvrir à l’inespéré.

Le monde moderne a pris la configuration d’un monde sans projet, un monde lancé sur sa propre poussée, mais d’une poussée qui semble lui imprimer un mouvement résolument circulaire, jusqu’à supprimer l’aspiration même à d’autres possibles, et à proposer la morosité pour seule chose certaine à l’existence.

L’espoir n’aurait-il plus sa place dans ce monde qui feint de ne plus rien attendre de l’avenir ?
Afin de répondre à cette question, le dernier ouvrage de Catherine Chalier analyse, dans sa première partie, la défiance des Anciens et des Modernes pour l’espoir.

Reflets d’un monde aristocratique qui commande à chacun de ne pas transgresser les limites de sa caste, les mythes chantés par Homère rapportent les faits et gestes de quelques hommes, broyés pour avoir tenté de changer leur destin. Se joue ainsi un drame dont les héros de l’Iliade ne peuvent s’échapper, la naissance assignant à chacun une place et un rôle dont la narration fait ressortir la contingence et la nécessité. Seul chemin de sagesse raisonnable pour les philosophes de l’Antiquité : le consentement, prôné par les Stoïciens, semble pouvoir conduire à une sérénité intérieure. Mais à quel prix ? Car le consentement prend toujours la forme d’un consentement aux structures de pouvoir et d’oppression en place, comme l’histoire semble nous l’enseigner.

Renouant d’une certaine manière avec les Stoïciens de l’Antiquité, les Modernes ont eux aussi entrepris de décrédibiliser l’espoir en l’assimilant à une illusion et à un aveuglement. Cherchant à fonder en raison leur rapport au monde, ils n’ont fait que renforcer la voie du consentement au monde tel qu’il est, jusqu’à assimiler l’espoir à une maladie du vouloir.

Tous les Anciens et tous les Modernes ne se sont cependant pas détournés de l’espoir. Socrate attendait ainsi la vérité de sa mort ; et certains Modernes ont entrepris de faire bouger les lignes de la résignation, sans cependant y parvenir.

Contre les Anciens et les Modernes portés à valoriser l’inespoir et la résignation, Catherine Chalier interroge : "C’est parce qu’il entend saper à la base tout frémissement de sens, que le postulat philosophique de l’inespoir en décrète l’hégémonie fondatrice de toute vie, de toute parole et de toute pensée". Mais une telle thèse repose-t-elle, comme elle le prétend, "sur un pur et simple constat fait par l’intelligence de l’inanité inhérente à la vie, ou bien sur un refus du sens et de l’espoir ?". Ce à quoi l’auteur répond : cette posture "a beau se prévaloir d’un constat, elle ne cesse jamais d’être en même temps une décision".

Contre l’inespoir moderne, la seconde partie de l’ouvrage vise à rétablir la "tension fondatrice de l’espoir" en l’appuyant tout particulièrement sur les trésors de la tradition juive. Travaillée par l’idée que la résignation porte en elle la responsabilité d’une démission face au mal, l’auteur souligne la capacité anticipatrice de l’espoir, sa faculté à libérer les forces créatrices liées à "l’intuition d’une existence qui reste en deçà de son bonheur possible".

Car l’espoir est une vertu qui travaille le réel et en brise la répétition. Parce qu’elle s’initie en l’homme, elle est aussi une formidable puissance de transformation du soi, "une attitude psychique et spirituelle de veille constante afin de ne pas laisser la promesse s’éteindre en soi". Expression d’un pressentiment de quelque chose de plus haut, d’une "altérité capable d’ébranler l’inespoir", l’espoir apparaît, dans la tradition juive, comme le chemin conduisant au salut.

L’espoir se présente ainsi comme une réminiscence de l’espoir biblique, lequel se fonde sur une promesse, une alliance, c’est-à-dire : une alliance avec un avenir. Voué à rétablir la présence de Dieu parmi les hommes, l’espoir a de ce fait une portée messianique. C’est un espoir pour cette terre, fonctionnant sur le mode de la germination. Porté par l’inachèvement du monde, l’espoir, l’espérance, donne ainsi un sens au présent et à l’histoire. Il appelle à l’éclosion d’un monde futur dans lequel les idéaux bibliques et prophétiques de justice et de paix feraient la plénitude de l’homme.

Contre une société moderne qui se meurt d’inespoir, Catherine Chalier parvient à redonner à la promesse biblique sa qualité d’antidote au renoncement. Par sa plume précise et agréable, portée par une vive attention à l’intériorité humaine et à ses débats, l’auteur dégage de manière élégante l’immédiateté de son apparence trompeuse qui la fait donner pour une nécessité. Car le monde qui vient est un monde à faire venir, c’est-à-dire un monde à bâtir, et l’immédiateté, nourrie aux sources de la Promesse, un appel à s’ouvrir à l’inespéré.

Ecouter Catherine Chalier en parler avec Victor Malka