La puissance des empires totalitaires a voulu à plusieurs reprises éteindre la première flamme, sans jamais y réussir. Antiochus « Épiphane », épiphanie de puissance et de nivellement, ne supportait pas cette lumière obstinée. Jupiter Olympien, « abomination de la désolation » (Dn 11,31 ; 12,11), devait la souffler. Mais la lumière éteinte dans le Temple continuait à briller dans les cœurs, jusqu’au jour d’exultation où elle a recommencé à briller de nouveau. Or, cela est rapporté par la tradition (bShabbat 21 b), la quantité d’huile non profanée qui restait dans le Temple ne suffisait que pour un jour, pas plus, et cependant elle put alimenter le chandelier pendant huit jours ! Signe que cette huile ne manquera jamais. Les Romains ont rasé le Temple, Hadrien a voulu effacer toute trace de cette lumière, là où précisément elle devait briller, dans le Temple, bien plus, il a voulu étouffer la voix de la Torah, en vain. Les empires ne peuvent rien contre cette petite flamme. La dernière entreprise ténébreuse, idolâtre, d’un orgueil infini, qui au siècle dernier a cherché à anéantir de cette flamme même le souvenir, a sombré dans le chaos. Au cœur le plus sinistre de cette entreprise, dans les chambres de la mort destinées à recevoir le souffle infernal, résonnait le Shema Israël, petite flamme vacillante qui refusait de s’éteindre, et devait un jour repartir de plus belle.
Noël : une étoile attire des savants d’Orient. Ils arrivent à Jérusalem : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? » Il faut qu’Israël réuni au grand complet, prêtres et sages, leur en indique le chemin : Bethléhem de Judée, car il est écrit : « Et toi, Bethléhem, terre de Juda, tu n’es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda : car c’est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple » (Mt 2,6 ; Mi 5,2). L’étoile les conduit jusqu’à la maison où est l’enfant. Y étant entrés, « ils se prosternent devant lui, et, ouvrant leurs trésors, ils lui offrirent de l’or, de l’encens et de la myrrhe » (Mt 5,11), annonçant par leur geste le jour où les nations encore plongées dans les ténèbres monteront à Jérusalem, chargées de présents, attirées par cette lumière destinée à inonder le monde. Hérode le Grand, le Magnifique, le dictateur maladivement jaloux de son pouvoir, au point de trucider sa femme Mariamne et trois de ses fils, craint pour son trône. « Il entra dans une grande fureur et envoya tuer, dans Bethléhem et tout son territoire, tous les enfants jusqu’à deux ans, d’après l’époque qu’il s’était fait préciser par les mages » (Mt 2,16), sombre préfiguration des massacres et génocides inspirés par la volonté de puissance. Ces textes, de genre midrashique, enseignent infiniment plus que la réalité historique qu’ils veulent illustrer, et qui est sous bien des rapports sujette à caution.
La lumière de Noël qui brille dans la nuit ne peut, pour les chrétiens, que prendre sa source dans l’espérance d’Israël. Grâce à elle, les nations sont invitées à reconnaître la flamme qui brille dans le peuple Juif, le feu au cœur de « l’ Étoile de la Rédemption », dont les chrétiens sont les rayons selon la vision de Franz Rosenzweig. Les rayons jaillissent du feu de l’étoile, où brûle l’huile inépuisable. Par quel aveuglement les chrétiens, et non des moindres parmi eux, ont-ils cherché à réduire la flamme de Hanoukka à l’état de braise sous l’éteignoir des ghettos et de la théorie du rejet et de la substitution ? Hanoukka, Noël, l’étoile de David, le feu de l’étoile et son rayonnement sont une espérance orientée vers l’avenir, lorsqu’une lumière Une, celle du Dieu UN, brillera dans le monde et dans le cœur de chacun, mais aussi, ils sont dès aujourd’hui une puissance capable d’exorciser dans notre humanité la mortelle volonté de puissance capable de l’entraîner dans le chaos. En aval et en amont de ce qui nous sépare, chrétiens et Juifs, il y a ce qui nous unit, la source et la fin.
Jean Massonnet, dimanche 18 décembre 2011