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Liliane Apotheker : Retour de Buenos Aires

La conférence annuelle de l’ICCJ s’est déroulée à Buenos Aires du 19 au 21 août 2014.
Quelque 150 participants, dont de nombreux représentants d’Amérique Latine ont réfléchi ensemble sur les engagements et les défis du dialogue judéo-chrétien, nous permettant ainsi à tous de mieux connaître et de mieux comprendre la perspective du continent qui nous accueillait.

Il s’agissait de la dernière conférence présidée par Debbie Weissman, puisqu’à l’Assemblée Générale, le vendredi 22 août, les délégués ont procédé à l’élection d’un nouveau président et du nouveau conseil d’administration de l’ICCJ, élus pour 3 ans.

Grâce au partenariat avec l’American Interfaith Institute, (l’Institut Interreligieux Américain), des participants du monde entier ont pu assister, via internet, à la conférence depuis leur bureau et leur domicile, posant même des questions en direct aux intervenants. Gageons qu’à l’avenir cette initiative sera étendue et permettra à un plus grand nombre encore de participer activement aux travaux.

Un climat particulier de fraternité a régné sur la grande salle de l’hôtel Abasto dès les premiers mots de bienvenue. La convivialité de nos amis et collègues locaux en a été le premier signe mais la grande inquiétude de tous les participants était également perceptible. Le monde nous paraît à tous comme désaxé : le conflit interminable entre Israël et Gaza, l’indicible souffrance des Chrétiens et des autres minorités religieuses confrontés au pire en Irak, et la résurgence d’un antisémitisme particulièrement virulent en Europe et ailleurs ne permettent aucune sérénité en cette fin d’été.

Les propos d’introduction de Debbie nous ont saisis : « Comme la Sunamite je suis une femme qui habite au milieu de mon peuple (référence à 2 Rois, chapitre 4) », disant comment elle avait vécu cet été meurtrier passé pour sa part à Jérusalem, sentant aussi la souffrance du peuple palestinien. Elle a indiqué sobrement ce que nous savons tous : il est facile d’éprouver de la compassion pour un seul camp. Cette réflexion en apparence laconique dévoile toute la complexité des sentiments humains à l’égard d’un conflit quotidien d’une violence extrême, quand de plus chacun craint pour sa survie. Elle nous a obligés à penser ensemble à la portée de notre travail, qui veut avant tout et malgré ce qui a constitué l’essentiel des informations ces mois-ci, rester juste et garder espoir. Quels sont la place et le rôle du dialogue inter-religieux dans un monde saturé de violence ? Comment faire pour que les voix humanistes des religions supplantent les voix stridentes et haineuses de ceux qui dévoient leur message ?
La thématique de la conférence s’est déployée sur trois jours et donc trois thèmes : l’Histoire, la théologie et l’identité, en conférences plénières et en ateliers.

Toutes les conférences seront accessibles sur le site de l’ICCJ et il me paraît impossible d’évoquer en quelques lignes ce qui nous a été proposé et longuement développé.
Je retiens néanmoins quelques éléments saillants et en premier lieu que l’amitié et la convivialité sont peut-être le don que l’Amérique Latine apporte à notre dialogue.

La personnalité du Pape François, invoquée par tous les intervenants, a beaucoup marqué le congrès en faisant prévaloir l’importance de la rencontre personnelle et de l’action qui ici semble primer sur les paroles. Le Rabbin Skorka a parlé longuement, lors de sa conférence d’ouverture, des fruits de sa rencontre personnelle avec celui qui était à l’époque le cardinal Bergoglio. Mais tous, Juifs comme Chrétiens, rabbins, prêtres, pasteurs ont rappelé leurs engagements sociaux, « les pieds dans la boue » à l’instar du Pape François. C’est devant la pauvreté extrême que l’on comprend que la religion doit être transformée en action concrète : « mon besoin spirituel est le besoin matériel de mon prochain », disait le rabbin Salanter, fondateur du mouvement du Moussar (la morale dans le sens de l’éthique) au 19ième siècle. Dans le contexte du vécu en Argentine, suite à la crise de 2001, on pourrait le citer à l’infini. Ce domaine de l’engagement social est très fécond pour la rencontre, il a permis des avancées incontestables, et a établi des liens durables entre des personnes engagées.

D’autres conférences étaient d’ordre plus théologique. Nous avons repris la thématique si chère à notre dialogue : une Alliance ou deux ? Comment affirmer que nous sommes liés par un lien unique qui fait sens pour tous et qui est l’expression du projet divin ?
Ce lien exige un partenariat, une réciprocité, dit le Prof. John Pawlikowski. Pour nous Juifs, cela signifie qu’il ne suffit pas de connaître le Christianisme, mais de se demander comment vivre ce lien avec lui . En d’autres termes : quel est le contraire de l’enracinement ? Les Juifs ressentent-ils le besoin de valider leur Judaïsme par l’avènement du Christianisme ? Si la réponse est oui, comment ?
Cette question est incontestablement celle sur laquelle notre travail devra se pencher dans les années à venir. Le mot réciprocité est maintenant omniprésent, encore faut-il saisir toute la richesse et la complexité de ce qu’il peut suggérer.

J’ai beaucoup aimé la réponse du Rabbin M. Schlesinger qui a rappelé que selon la tradition talmudique deux vérités peuvent coexister sans que nous ayons à en choisir une au détriment de l’autre. « Les Juifs que nous sommes n’ont pas besoin d’une vérité unique, nous avons l’habitude de vivre avec deux versions qui coexistent, la Torah en présente de nombreux exemples. »

Je voudrais ajouter, à titre personnel, que dans sa grande richesse le texte des Évangiles présente également plusieurs versions pour un même récit. « Pouvons-nous appliquer cela au dialogue judéo-chrétien ? Pouvons-nous créer des Midrashim complémentaires qui remplaceraient notre théologie linéaire ? Cela serait également une façon d’entrer plus humblement dans notre démarche de rencontre et de dialogue. » suggérait le rabbin Schlesinger.

Le troisième jour, le thème abordé était l’identité religieuse et l’interprétation des textes. Les trois intervenants, le rabbin F. Yafé, L. Apotheker et le prof. Ph. Cunningham ont évoqué la montée des radicalismes religieux et la nécessité absolue de faire jaillir de nos textes la dimension éthique qui nous empêche de basculer dans le fondamentalisme ou le fascisme. L’exercice interprétatif nous aide à mettre de l’ordre dans notre vie, nous faisons des choix quand nous interprétons un texte, nous sommes donc tenus de faire des choix responsables.

Pour restituer l’ambiance si chaleureuse de la conférence, il faut évoquer le kaléidoscope des populations de ce continent, la richesse de son histoire quelquefois si violente mais aussi hospitalière pour les immigrants. Buenos Aires est une ville multicolore, marquée par des vagues successives d’immigration, par la convergence des cultures locales, européennes et faisant aussi partie des Amériques. Sa population juive est importante, les communautés sont diverses, et ont des institutions fortes et actives. Le centre communautaire Amia, si douloureusement marqué par l’attentat sanglant qui a coûté la vie à 85 personnes il y a tout juste 20 ans, a été reconstruit, a repris toutes ses activités et se définit comme un des lieux de vie juive le plus sûr au monde.
Il dispose d’un dispositif de sécurité impressionnant qui protège son accès, mais surtout il est un lieu de vie dynamique et chaleureux, et présente une leçon de résilience pour nous tous.

Debbie Weissman a reçu lors du dîner de clôture la médaille d’or du dialogue judéo-chrétien présentée par le Prof .Ph . Cunningham au nom de Sir S. Sternberg, mécène de l’ICCJ. La démonstration de tango fut le point d’orgue de cette dernière soirée, comme un pas de danse audacieux vers un avenir fait de nouveaux déplacements et de nouvelles rencontres.

Merci du fond du cœur à tous les organisateurs et à Mme Martha de Antueno, présidente de la conférence et de l’AJC en Argentine.

Et pour conclure : « à l’an prochain à Rome » où nous nous retrouverons pour célébrer et étudier ensemble Nostra Aetate, à l’occasion du cinquantième anniversaire de sa promulgation.

Liliane Apotheker , nouvelle vice-présidente de l’ICCJ, août 2014