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Rue des Synagogues

Le dernier livre de notre ami Armand Abécassis, pour une fois un livre de souvenirs personnels et pas d’enseignements.

Source : CRIF, recension de Jean-Pierre Allali

Une fois n’est pas coutume, le philosophe Armand Abécassis, exégète renommé du judaïsme, auteur d’ouvrages de référence, nous offre, avec son nouveau livre, un récit touchant empli de souvenirs personnels qui est en même temps un témoignage sur ce que fut la vie des Juifs en terre d’islam, sur la saga des Juifs du Maroc, une histoire millénaire faite de joies et de peines, de vexations et de racisme, mais aussi de générosité et de convivialité.
Et puis un jour, l’exil, qui vous prend de plein fouet. L’indépendance du pays, le besoin de poursuivre des études en France, la création de l’État d’Israël, le conflit-israélo-arabe qui s’envenime. Adieu Casablanca, adieu le pays des ancêtres, celui du quartier des synagogues au Mellah, celui des fêtes animées, de la Mimounah au RWA, la partie la plus pauvre de la rue des Synagogues, de l’enfance avec les copains, des ballons confectionnés avec des bas de femme ( on sera étonné de voir que l’auteur consacre plusieurs chapitres au reportage, par le menu, d’un match de football entre jeunes considéré comme un « match décisif », une « rencontre capitale », un « combat des esprits »), des Éclaireurs israélites, des plages ensoleillées, celui aussi des bagarres mémorables à la tire-boulette entre petits Juifs d’un côté et petits Arabes musulmans et Chrétiens espagnols de l’autre. Dans ce récit nostalgique, l’auteur rend hommage aux héros, humbles ou riches de son enfance : les Attias et les Mendès, les Azoulay et les Banon, Bob Guibbor, le manager de football, l’horloger Chokron, l’épicier Chalom, les libraires Hadida et Lugassy et tant d’autres… Et les rabbins qui, à coup de nerfs de bœuf, mais aussi de miel, faisaient rentrer l’héritage ancestral dans l’esprit des petits enfants. Sans oublier « Bozambo », l’immense masseur noir du Hammam et Mohammed, l’ami musulman de la famille, « l’étranger parmi nous ». Ce « Musulman, ami des Juifs » vivait sa proximité avec les Juifs comme un véritable drame car il était partagé dans ses sentiments lors de ces combats que les petits Juifs étaient amenés à livrer contre les bandes rivales. « Il ne pouvait nous défendre, mais il ne pouvait pas non plus se montrer solidaire de ses coreligionnaires. D’où sa tristesse pendant les rixes et sa joie quand Bob, le défenseur juif de la veuve et de l’orphelin, apparaissait au balcon, mettant fin, par sa seule présence et la peur qu’il suscitait, aux combats.
Les Juifs originaires du Maroc retrouveront avec délectation les expressions arabes ou judéo-arabes fleurant bon la menthe de Meknès qui parsèment l’ouvrage, générant l’ouarche, le spleen nord-africain. « Esslamah », « Ouakhah » (OK), « ‘Ach-‘ekhbark » (Comment ça va ?), « Bessehtek » (Avec ta santé), « Enti oua’rah, Médème » (Tu es dure, Madame), « Khellini daba’ » ( Laisse-moi tranquille à présent)…
S’il se souvient bien d’un début de pogrome qui se produisit à Casablanca lors de l’entrée, fort appréciée par les Juifs, des troupes américaines dans la ville à la Libération et qui dura trois jours, l’auteur se souvient aussi que nombre de femmes musulmanes se pressèrent d’avertir les familles juives leur conseillant de ne pas sortir et de faire le gros dos en attentant que l’orage passe. Dans le même esprit, Armand Abécassis crédite volontiers le roi d’une noble attitude aux temps troubles du nazisme. « Pourtant, le roi Mohammed V et la bienveillance dynastie alaouite protégèrent les Juifs contre le projet de leur déportation acceptées par la Résidence générale vichyste ». Une appréciation qui n’est pas partagée, on le sait, par tous les analystes (1) À quelques enjambées du Mellah, le quartier européen. La France et sa culture diffusée auprès des Juifs par le canal de l’Alliance Israélite Universelle, la France coloniale tout à la fois enviée et critiquée qui constituera néanmoins un tremplin pour de nombreux Juifs désireux de sortir à jamais du statut ancestral infamant de la dhimma. Reconnaissant à la France et à ses instituteurs, l’auteur regrette néanmoins d’y avoir perdu la part arabo-musulmane de son histoire. La fin de l’ouvrage qui voit l’auteur rejoindre l’École Gilbert-Bloch à Orsay pour suivre les cours de Léon Askénazi Manitou, est plus philosophique : Armand Abécassis, partagé depuis l’enfance entre Orient et Occident se pose la question de son identité multiple, mais riche de sa diversité.
Un très beau récit plein de tendresse pour le pays natal.

(*) Éditions Robert Laffont. Octobre 2008. 378 pages. 21 euros
(1) On consultera avec intérêt à ce sujet, de Michel Abitbol : « Les Juifs d’Afrique Du Nord sous Vichy. Éditions Maisonneuve et Larose. 1983.