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Réponse du pasteur Michel Leplay

L’invitation à cette cérémonie annonçait que je répondrai à vos interventions, cher Hubert Heilbronn et vous Jacqueline, François, Alain, Florence Armand et Claire, pour vous appeler par vos petits noms de grandes personnes. Je vous enverrai ultérieurement un merci plus personnel. Pour le moment, avant le discours préparé pour la circonstance, je ne dirai que ceci : j’ai beaucoup reçu de vous et de beaucoup d’autres et je ne fais que rendre grâce puisque « nous avons reçus grâce sur grâce » (Jn 1,10)
Quand vous m’avez annoncé, chère Présidente, l’attribution du Prix 2017 de l’A.J.C.F., vous m’avez dit, pour balayer une hésitation proche du refus : « Mais c’est le protestantisme français qui en votre personne est remercié et récompensé. » Devant un tel argument, je ne pouvais qu’accepter. Alors, concernant ce fameux protestantisme vous allez, si j’ose dire, « en avoir pour votre argent », et sans indulgence comme il se doit cinq siècle après l’aurore de la Réforme ! Comme la grâce divine, votre prix n’a pas d’autre prix que de rendre grâce, et tout simplement, de vous remercier de toute la peine que vous avez prise les uns et les autres pour organiser cette chaleureuse soirée.
Nous sommes donc réunis dans le temple de l’Eglise réformée du Saint-Esprit, là où servit le pasteur Charles Westphal, initiateur après la deuxième guerre mondiale, des « Cahiers d’Etudes juives », dans le cadre de la revue FOI & VIE, avec le concours de Fadiey Lovsky, et jusqu’à nos jours, grâce à celui d’Olivier Millet et de Jean-Marc Chouraqui.

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Encore un mot plus personnel, très personnel, car en ce lieu je ne puis pas me souvenir du culte qui nous rassemblait le 17 janvier dernier, après le décès de ma chère épouse, Laurette Nicole. C’est à sa mémoire, et dans la présence mystérieuse de son absence que je vous propose, avec nos enfants, de lui dédier ce prix et cette soirée.
Votre généreuse reconnaissance consolide notre consolation. Et peut-être qu’à cette occasion vous aurez pour un moment transformé … un vieil homme friable en vieux monsieur fiable !
Vous avez jugé sur pièce.
Et je vous remercie de votre mansuétude.

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Je vous propose maintenant, en réponse quand même préparée, à tous vos excellents discours que je n’avais pas encore entendus… un bref parcours de reconnaissance en trois étapes qui seront trop brèves dans leur évocation et peut-être trop longues pour votre attention car il est tard…
Un retour au XVIème siècle le temps de la Renaissance et de la Réforme, humanisme et christianisme se fécondant mutuellement. Après, avec le rappel douloureux de l’antisémitisme final de Martin Luther, je sauterai au XXème siècle, du Conseil œcuménique des Églises à la Concorde de Leuenberg.
Seconde étape, plus originale peut-être, mais qui ne vous étonnera pas de ma part, Charles Péguy, ses amis protestants et l’affaire Dreyfus.
Enfin, l’aveu de ma dette à deux grandes figures contemporaines de notre amitié judéo-chrétienne, Colette Kessler et Fadiey Lovsky.

Autrement dit :
 1) Martin Luther et ses juifs,
 2) Charles Péguy et des protestants,
 3) Colette Kessler et les chrétiens.

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LUTHER ET SES JUIFS

Jules Michelet, avec son romantisme que j’aime, même s’il exagère l’histoire, disait à propos de la Renaissance et de la Réforme : « seuls les Juifs ont connu le nom de Dieu … et sont ses premiers confidents [1] » Et le même historien évoquait : « la bonne et forte main du bon Luther qui, dans son verre gothique, nous versa le vin du voyage. » [2]

Malgré sa foi robuste de paysan religieux et son statut de mendiant gracié, Luther va terminer sa vie dans une sorte de ténèbres qui tend vers la nuit. Les échecs et les polémiques s’accumulent à partir de 1540. Il pourrait dire comme Mesa dans le Partage de Midi de Paul Claudel :
« Me voici dans ma chapelle ardente
Et de toutes parts, des murs, des murs, il n’y en plus à droite, à gauche, je vois la forêt des flambeaux qui m’entourent
 » [3] .
Énumérer ceux de Martin Luther ne saurait minimiser la gravité de chaque adversité ou amoindrir la responsabilité du batailleur grossier dans l’invective et forgeron de malédictions littéralement diaboliques.
Car les ennemis de Jésus-Christ sont partout, à droite avec le pape, à gauche avec les charismatiques de l’époque, en aval devant la montée des mahométans aux portes de l’Europe, et enfin en amont, et peut-être principalement, avec les Juifs, les ancêtres et les patriarches rebelles à l’héritage de ce prince héritier qui prêche un évangile aussi nouveau qu’ancien. Luther avait montré dans ses premières années que « Jésus-Christ est né juif » de mère dans la dynastie d’Abraham, Isaac et Jacob, de Moïse et David. Vingt ans plus tard, en 1543, dans le traité « Des juifs et de leurs mensonges », Luther démontre que Jésus est bien le Messie annoncé par les prophètes et né de la Vierge Marie. Mais autant les Juifs ont pu se glorifier de leur origine, et se réclamer de leur lignée spécifique pour apporter le salut, autant pour Luther cette propre justice par observation de la loi est-elle « contraire à la Parole de Dieu et à l’enseignement du salut par la foi seule ». [4] D’où la nécessité de rendre impossible la pratique du judaïsme. Suivent les horreurs qui auront une tragique destinée ultérieure : incendier les synagogues et les maisons, interdire la circulation et l’usure, confisquer la fortune, contraindre au travail. Et ne faire bon accueil qu’aux quelques uns qui se convertiraient. L’antisémitisme nazi des temps modernes n’a fait qu’ajouter à ces mesures l’impossibilité de se convertir et de sauver ainsi sa vie.

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Nous ne pouvions laisser dans l’ombre cette histoire funeste alors que nous mettons justement en lumière les côtés les plus salutaires et les plus nombreux du Réformateur de Wittenberg. Nous n’avons de leçon à donner à personne, mais plutôt des leçons, exactement trois, à recevoir.
D’abord c’est une banalité, « nul n’est parfait », mais plus encore, les meilleurs sont capables du pire, et ceci est vrai en tout temps et en tout lieu, en religion et en politique, dans la culture et l’économie. Tout grand serviteur est capable de petitesses tyranniques. Alors si tu es grand, « Garde ton cœur plus que sur tout autre chose, car de lui viennent les sources de la vie » [5].
Ensuite, l’antijudaïsme de Luther, au nom du christianisme, nous rappelle que la meilleure des religions peut être dévoyée, et la mission évangélisatrice devenir une expédition destructrice. Nous avons à veiller encore et toujours sur l’emploi des moyens résolument conformes à la fin qu’ils affichent.
Enfin, l’antijudaïsme luthérien, comme l’antisémitisme hitlérien, s’inscrivent, l’un et l’autre, dans des contextes, avec des argumentaires et des méthodes différents, dans le cadre d’une persécution tendant à l’élimination d’autres minorités, anabaptistes, papistes, sacramentaires dans un cas, communistes, tziganes et homosexuels dans l’autre.
Je crois qu’il fallait dire cela, ce soir, en toute franchise.

Le pasteur de l’Église réformée que je suis, s’il est de tout cœur avec la reconnaissance spirituelle et théologique qui marque l’année Luther ne saurait oublier que le deuxième grand réformateur du XVIème siècle, Jean Calvin a apporté à la réformation initiale les éléments d’une institution ecclésiale originale et parfois complémentaire, sinon correctrices, de certaines positions luthériennes. Ainsi au sujet des Juifs, il écrivait dans l’Institution de la religion chrétienne de 1559 que « les Juifs et les chrétiens sont au bénéfice de la même alliance [6] … Car les deux Alliances ont une même substance et vérité, mais diffèrent en leur dispensation ». [7]

Quatre siècles plus tard, dans la même tradition théologique luthéro-réformée, Karl Barth écrira à la fin de sa Dogmatique : « L’Église dans son ensemble,[…] tantôt elle a discuté avec eux (les Juifs), tantôt elle les a elle-même persécutés, et tantôt elle les a abandonnés sans protester à leurs persécuteurs ». [8]

C’est le même théologien qui sera l’un des inspirateurs de la Déclaration de l’Assemblée constitutive du Conseil œcuménique des Églises, à Amsterdam, en 1948 :
« Nous demandons à toutes les Églises représentées ici de dénoncer l’antisémitisme comme une attitude absolument inconciliable avec la profession de foi chrétienne. L’antisémitisme est un péché à la fois contre Dieu et contre l’homme » . [9]
Sur cette lancée le Conseil œcuménique des Églises ne cessait d’être vigilant, notamment à propos du soupçon sur un sionisme mal compris. Mais pour en rester au continent le plus concerné, notre Europe dite aux racines chrétiennes, voici deux apports récents à cette continuité dans la condamnation de l’antisémitisme et la solidarité avec le peuple juif : La déclaration des Églises de la Concorde de Leuenberg, [10] en 2001, saluée à l’unanimité comme une contribution fondamentale des Églises protestantes au dialogue judéo-chrétien, notamment par la reconnaissance du judaïsme comme voie spécifique de salut. Et je ne saurai mieux conclure ce trop long paragraphe, et dans le cadre du 500ème anniversaire de la Réformation, que par la citation de la Déclaration du 7 juin 2017 de l’union des Église protestantes d’Alsace et de Lorraine, Luther, les Juifs et nous aujourd’hui :
« Avec les Juifs nous nous savons appelés à témoigner d’un Dieu qui seul est saint, et de la dignité humaine qui s’étend aux membres les plus faibles de notre société. Et ensemble, nous voulons nous engager au sein de la société avec la certitude que Dieu a besoin de chacun d’entre nous pour rendre cette terre plus humaine, en attendant les nouveaux cieux et la nouvelle terre que Lui seul réalisera. »
 [11]

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CHARLES PÉGUY ET DES PROTESTANTS

Après Luther, « le père fouettard », et avant Colette Kessler, « la mère universelle », voici Péguy, « le frère humain ». Il prend parti très tôt, alerté par son ami Bernard Lazare, « un athée ruisselant de la Parole de Dieu » [12] de l’affaire Dreyfus pour laquelle il aura trouvé, dirait-il vingt ans plus tard, « ces principaux amis chez les protestants et chez les juifs » [13] . Parmi les protestants, dont Patrick Cabanel a fait une recension exhaustive [14] , je retiens le premier d’entre eux, le sénateur alsacien Scheurer Kestner, entièrement acquis à la cause de Bernard Lazare et de Mathieu Dreyfus. Viendront se joindre à ces intellectuels, Gabriel Monod, président de l’École des Hautes Études, Raoul Allier, professeur agrégé de philosophie, ou le pasteur Émile Roberty, un grand ami et confident qui aura ces paroles d’un chrétien évangélique et libre : « Si vous êtes en détresse, cher ami, pourquoi ne vous confiez-vous pas directement à Dieu ou à son Évangile, sans vous accrocher en passant à toutes les ronces des Églises, ou de l’Église ? L’Évangile existait avant l’Église. C’est à peu près la seule chose dont on soit sûr en ce monde » [15] Mais laissons là pour écouter le Péguy de « Notre Jeunesse », sa prose militante, et celui des Mystères, et leur poésie liturgique. « Je connais bien ce peuple. Il n’a pas sur la peau un point qui ne soit douloureux, où il n’y ait un ancien bleu, une ancienne contusion, une douleur sourde, la mémoire d’une douleur ou d’une blessure, une meurtrissure d’Orient ou d’Occident » [16] .
De nos jours, c’est à un universitaire pragois qui enseigna en France, Frantisek Laichter, qu’il revient d’avoir le mieux parlé de Péguy et des protestants. Il l’était lui-même et il rappelle cette boutade d’un abbé de Saint Sulpice à propos de l’influence de Roberty : « Il ne faut pas laisser un pasteur nous voler Péguy… » [17]
Ces protestants rejoindraient en effet un « Péguy lecteur de la bible juive. », par exemple ces lignes qui préfigurent nos modernes Conseil œcuménique ou le Concile de Vatican II :
« La Parole de Dieu n’est point un écheveau embrouillé
C’est un beau fil de laine qui s’empelote autour du fuseau
Comme il nous a parlé ainsi nous devons l’écouter
Comme il a parlé à Moïse
Comme il nous a parlé par Jésus
Comme il nous a parlé tout ainsi nous devons l’entendre. »
 [18]

A sa manière poétique de liturgie détendue, Péguy le sait, me semble-t-il, mieux que quiconque :
« Et encore l’ancien testament est tout linéaire.
C’est une longue, c’est une grêle ligne des prophètes.
Et les prophètes y viennent l’un après l’autre
Comme les peupliers viennent l’un après l’autre dans cette belle lignée.
Dans cette belle avenue de peupliers.
Et tout l’ancien testament, c’est cette belle, cette longue avenue de peupliers.
Venue des profondeurs de plaine et marchant droits sur la plaine.
Cette longue avenue, cette longue lignée fidèle
(Sans langueur)
Les peupliers y sont placés l’un après l’autre, les prophètes y sont placés l’un après l’autre.
Sur la rangée double.
Venante, sortie venue des profondeurs de l’horizon la noble allée,
La fidèle, la directe allée droite linéaire
Droite l’avenue s’avance sur la plaine droite.
Elle seule conduit au seuil mais elle ne franchit pas le seuil, elle ne passe pas le pas de la porte.
Elle ne se prolonge pas à l’intérieur du château.
Mais le quadrangulaire château du nouveau testament
S’ouvre à ce seuil et la longue allée de peupliers ne s’y continue pas.
Mais la cour d’honneur s’y ouvre, et les bâtiments du château
Et le beau perron pour monter et les quadrangulaires murailles.
Et ainsi le nouveau testament a une dimension de plus.
Car l’ancien testament est une ligne
Mais le nouveau couvre une surface.
 » [19]

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COLETTE KESSLER ET LES CHRETIENS

Quand je dis familièrement Colette, comme nous l’appelions tous, il s’agissait de Colette Kessler. Ce serait interminable d’évoquer ces années de compagnonnage spirituel et biblique, depuis nos visites à la Synagogue libérale avec mes catéchumènes protestants d’Auteuil, pour une initiation au Judaïsme, jusqu’à cette soirée de veillée quand nous lûmes tous les Psaumes autour de sa personne entrée dans le grand repos, au pays de ses pères. Mais je retiens de « L’éclair de la rencontre » [20] , qui reçut le prix des Écrivains croyants en 2004, combien Colette nous percevait tous, catholiques, orthodoxes et protestants comme d’abord « chrétiens », appartenant à ce qu’elle nommait l’Église. Elle rendait compte avec gratitude de la contribution fondamentale des Églises protestantes que représenta en 2001, le document « Église et Israël » [21] . Car sans ignorer la conversion catholique au dialogue judéo-chrétien, et notamment son Concile — je pense bien sûr à « Nostra Ætate » —, elle ne faisait pas de différence fondamentale entre nous, protestants œcuméniques ou catholiques conciliaires. Par sa confiance, elle nous rapprochait, sœur Louise-Marie, le Père Dupuy, Marguerite Lena, Michel Sternberg et tant d’autres.
Colette Kessler considérait le christianisme dans la totalité des familles chrétiennes. Ainsi elle rejoignait tant les premières intuitions du Conseil œcuménique que la fameuse apostrophe de Jules Isaac à la veille de la conférence de Seelisberg : « Soyez d’abord chrétiens ». Colette Kessler allait dans ce sens œcuménique qui nous pousse toujours à rechercher entre les Églises une unité visible, crédible, pour nos partenaires juifs en premier lieu. « La connaissance engendre la communion » écrivait-elle, et encore combien la rencontre de l’autre est la vraie lumière qui éclaire notre humanité. Oui « l’éclair de la rencontre », même si l’éclair, comme ce soir, n’était qu’une lumière aussi éblouissante que brève.

Lovsky était sans illusion qui parlait de la « déchirure de l’absence » [22] , mais il fut aussi dans la lumière de la rencontre, dans l’aveu de notre antisémitisme chrétien devant le Mystère d’Israël. Notre réconciliation avec le peuple élu n’allait pas sans réconciliation entre les chrétiens divisés. Et Fadiey Lovsky en vrai fils de la Réforme, ne voyait d’autre marche vers l’unité chrétienne que celle d’un retour à l’autorité des Écritures. Tant le christianisme, cette transfiguration d’Élie et de Moïse autour du Messie d’Israël, s’est ensuite formé mais aussi déformé par son introduction dans la langue des grecs pour les uns, des latins pour les autres. Questionné à Athènes et constitué à Rome, ce christianisme a toute ses sources à Jérusalem, « Dieu parle hébreu » disait un maître, même si nos modernes essaient de rendre compte de cette présence en latin ou en anglais.
La Pentecôte inaugure comment notre pluralité langagière et culturelle trouve son unité dans l’écoute et l’observation de l’unique Parole. Celle d’un Dieu dont il nous faut sans cesse nous souvenir que son Nom est saint, béni soit-il !
Voilà ce que l’Écriture de nos frères juifs rappelle à tous les chrétiens, divers certes, divisés hélas, mais tous prenant leur origine dans « la racine qui les porte », la promesse qui nous tient et le Royaume qui nous est promis.

Après Colette Kessler s’adressant à tous les chrétiens, sans différenciation confessionnelle, Fadiey Lovsky nous interpelle également : « il suffirait peut-être que le seul commandement de l’amour chrétien fut pleinement manifesté par les Chrétiens, … que l’espérance chrétienne fut pleinement vécue pour que nous recevions l’exaucement de la prière de Jésus-Christ : « Qu’ils soient un … » [23] .

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« Qu’ils soient un », en citant cette prière de Jésus à son Père, Lovsky savait bien qu’il s’agissait dans le contexte du premier christianisme de la communion entre ses disciples, dont les uns venaient du judaïsme, les autres du paganisme. L’unité demandée entre les chrétiens incluait en quelque sorte celle entre juifs et chrétiens. Une fraternité par héritage abrahamique, une amitié par vocation christique. Mais poursuivant ce rêve de la concorde universelle, Colette, allait encore plus loin, jusqu’à l’actualité difficile pour son peuple, et elle avait bien voulu conclure mon essai sur « Les Églises protestante et les Juifs », par ces lignes prophétiques que je vous lis en hommage à notre grande sœur et amie :
« Oui, c’est encore un rêve ! De façon simultanée, une réalité et une espérance. Mais n’a-t-il pas fallu aux Juifs cette espérance, cette foi, cette confiance chevillée au cœur pour traverser les nuits de l’histoire. Après la Shoah, le juif retrouve ses frères chrétiens. Il leur demande de l’aider de leur patience et de leur prière pour soutenir ceux d’Israël et de la diaspora qui luttent pour une paix équitable entre Israël et ses voisins Palestiniens y compris à Jérusalem, pour que puisse naître la réalité de vie pour deux peuples sur cette terre si petite et si chère aux yeux de Dieu.
Puisse Israël, sur sa terre et unis aux Juifs hors de cette terre, devenir signe de la Jérusalem céleste, comme l’Église ouvre dans le monde le Royaume de la Paix.
 » [24]

Je ne saurai mieux conclure cette évocation d’un rêve et cette espérance d’une promesse accomplie qu’avec la doxologie finale des chapitres 9 à 11 de l’Épître aux Romains, tant ces réflexions de l’apôtre des gentils sont comme la charte chrétienne de notre amitié, de notre communion, de notre unité avec le peuple d’Israël :
« Ô profondeur de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont insondables et ses voies impénétrables … » et Paul de citer les prophètes et sages Jérémie et Job, … « Car tout est de Lui, et par Lui, et pour Lui. A Lui soit la gloire éternellement… » (Romains 11, 33-36)

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Bien avant l’apôtre Paul, le roi David avait chanté pour nous la gloire de Dieu et la reconnaissance de ses bienfaits, avec le Psaume 103 en ses premiers versets :
« 1. Mon âme, bénis l’Éternel ! Que tout ce qui est en moi bénisse son saint nom !
2. Mon âme, bénis l’Éternel, Et n’oublie aucun de ses bienfaits !
3. C’est lui qui pardonne toutes les iniquités, Qui guérit toutes les maladies ;
4. C’est lui qui délivre ta vie de la fosse, Qui te couronne de bonté et de miséricorde ;
5. C’est lui qui rassasie de biens ta vieillesse, Qui te fait rajeunir comme l’aigle.
6. L’Éternel fait justice, Il fait droit à tous les opprimés.
 » ( Ps 103 1-6 : Traduction Segond (1976) ).

Nous allons maintenant, en complément inattendu et avant notre repas du soir, chanter ensemble, si vous le voulez bien, ce psaume du roi David mis en parole et en musique par Clément Marot et Claude Goudimel, pour les protestants du XVIème siècle à nos jours. L’organiste va jouer une fois la mélodie pour vous la remettre en mémoire. Merci Kurt…

Michel Leplay (17 octobre 2017)

[1Jules Michelet, Renaissance et Réforme, Robert Laffont, 1982 Col Bouquin, pp. 222-223.

[2Jules Michelet, Renaissance et Réforme, op.cit, p. 259.

[3Paul Claudel, Partage de midi, Galimard 1975, pp. 127-128.

[4Matthieu Arnold, Luther, Fayard, 2017, p. 507.

[5Proverbes, 4,23

[6Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, Labor et Fides, 1958, IV/XVI-15.

[7Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, op.cit., II/X-2.

[8Karl Barth, Dogmatique. Labor et Fides, 1974, IV/III/3 p.223.

[9Assemblée du Conseil des Églises – Amsterdam, 1948, in Amitié Judéo-Chrétienne de France, Le dialogue judéo-chrétien. Textes fondamentaux – 2, 2000, p. 420

[10Concorde de Leuenberg. Église et Israël. Contribution des Églises issues de la Réforme en Europe sur les relations entre les chrétiens et les Juifs (2001), in revue Foi & Vie, Vol. CI, n°1, février 2002.

[11Union des Églises Protestantes d’Alsace Lorraine, Luther, les juifs et nous aujourd’hui. Déclaration du 7 juin 2017. Vademecum Ed. 2017, § 10, pp. 48-49.

[12Charles Péguy, Notre Jeunesse, in Œuvres en prose complètes, Galimard , 1992, Collection la Pléiade. Vol. 3, p. 78.

[13Charles Péguy, Note conjointe sur M. Descartes, in Œuvres en prose complètes, op.cit., p. 1476

[14Patrick Cabanel, Péguy protestant, Péguy et les protestants. Une amitié au début du XXème siècle, Bulletin de l’amitié Charles Péguy n°97, 25ème année, janvier-mars 2002, pp.9-23.

[15Lettre de Charles-Émile Roberty, publiée par Jacques Viard dans le mensuel protestant Évangile et Liberté, juillet 1969, cité par Michel Leplay dans Charles Péguy, DDB, 1998 , p.130

[16Charles Péguy, Notre Jeunesse, in Œuvres en prose complètes, Galimard, 1992, Collection la Pléiade. Vol 3, p. 53.

[17Frantisek Laichter, Péguy et les cahiers de la quinzaine. Maison des Sciences de l’homme. Paris 1985, p. 313.

[18Charles Péguy, Le Mystère des saints Innocents, in Œuvres poétiques et dramatiques, Galimard , 2014, Collection la Pléiade. Vol 3, p 704.
A noter que l’on retrouve dans la lecture péguyste de la Bible juive l’intuition théologique de Jean Calvin. De sa « Réponse aux questions et objections d’un certain juif » mon collègue Alain Massini avait cité ces lignes que j’emprunte à sa réponse quant il reçut votre prix en 2011 : « … dans le Messie, Dieu n’est fait pas semblable à l’humain, mais, revêtant la chair humaine, il est fait homme de manière à rester sans changement dans sa nature éternelle et immuable. En effet nous ne croyons pas […] que Dieu ait changé, mais qu’il est manifesté dans la chair tout en restant semblable à Lui-même. ». ( Jean Calvin, Réponse aux questions et objections d’un certain juif. Traduit du latin, présenté et commenté par Marc Faessler. Labor et Fides, 2010. p. 41.

[19Charles Péguy, Le Mystère des saints Innocents, in Œuvres poétiques et dramatiques, Galimard , 2014, Collection la Pléiade. , pp. 884-885. Certes, toute comparaison simplifie, mais la parabole clarifie et si j’accepte avec Péguy et Calvin que l’Ancien testament soit « une ligne » alors que le Nouveau Testament « couvre une surface », je pense ne faire injure à personne mais rendre à Dieu la gloire en proposant que le judaïsme comme ligne et comme lignée soit une histoire unique et perpétuelle alors que le christianisme qui s’inscrit dans l’universalité serait la surface géographique présente dans laquelle Dieu écrit pour tous les hommes l’histoire du salut qu’il leur promet et leur donne par la promesse faite à Abraham.

[20Colette Kessler, L’éclair de la rencontre, Parole et Silence, 2004

[21Colette Kessler. Une contribution fondamentale des Églises protestantes au dialogue judéo-chrétien, Revue SENS, 54ème année, n° 272, novembre, 2002, pp. 565-573.

[22Fadiey Lovsky, La déchirure de l’absence, essai sur les rapports de l’Église du Christ et du peuple d’Israël. Calmann-Levy, 1971.

[23Fadiey Lovsky, Antisémitisme et Mystère d’Israël. Albin Michel , 1955, p.530.

[24Colette Kessler, Jérusalem… se souvenir et espérer, décembre 2005, in Michel Leplay. Les Églises protestantes et les Juifs, face à l’antisémitisme au 20ème siècle. Olivétan, 2006, p. 89.