La reconnaissance d’un lien décisif entre chrétiens et juifs
Ainsi, se reconnaître associé aux biens divins reçus par un autre devrait nourrir la gratitude de tout chrétien à l’égard du peuple juif. « Béni soit le Seigneur le Dieu d’Israël » chante la Liturgie des heures chaque matin en reprenant le cantique de Zacharie. Mais se percevoir fondé dans la relation à un autre, c’est aussi naturellement s’éprouver décentré, se reconnaître précédé, délogé de l’inaugural, travaillé par une troublante proximité qui empêche de se prendre pour le tout. Fameuse épreuve spirituelle que, durant les vingt siècles écoulés, le christianisme aura eu bien du mal à soutenir ! Sauf que, depuis quelques décennies, la conscience du monde catholique a été ébranlée, ouverte enfin en son centre par la reconnaissance officielle et solennelle d’un lien décisif entre chrétiens et juifs. « Le salut vient des juifs ! » (Jn 4,22). Cette vérité refoulée, refusée, combattue par une longue tradition d’antijudaïsme a enfin trouvé son passage depuis la déclaration Nostra aetate de Vatican II, confirmée par de forts gestes symboliques des papes successifs, par de saisissants actes de repentance. Désormais, cette clairvoyance spirituelle doit concerner tout disciple du Christ, faisant que tout ce qui advient à un juif le concerne et susciter l’énergie de sa mobilisation.
Déficit d’un enseignement de fond
Or, voilà bien le drame : ces réalités enfin reconnues et professées restent loin encore de la conscience commune. D’où l’inertie qui se constate dans les communautés chrétiennes. Leur quasi mutisme fait la démonstration que leur lien au mystère d’Israël leur reste à peu près inconnu. La vérité enseignée par la Lettre aux Romains, mise en lumière par Jean-Paul II désignant les juifs comme « frères aînés » des chrétiens, reste encore à la surface, dans des discours lointains, sans descendre dans la terre profonde des cœurs.
Qui éveillera donc les chrétiens à la résistance spirituelle et à la solidarité avec les juifs ? D’énergiques paroles du magistère sont évidemment indispensables. Mais c’est de la levée d’une conscience collective qu’il s’agit. Vœu pieux ? Sauf si ceux d’entre les chrétiens – laïcs et prêtres – qui ont quelques mesures d’avance en matière de lucidité théologique sur la question, prennent le mors aux dents. Car il existe bien à travers notre pays des groupes ardents dédiés à l’Amitié judéo-chrétienne, depuis la fondation de celle-ci en 1948. Ces petites cellules ne doivent pas rester des ghettos rassemblant quelques personnes un peu singulières, à la frange des communautés paroissiales. L’appel du pape au peuple de Dieu les concerne. Elles doivent pouvoir aujourd’hui être remises au centre de l’actualité de la vie des paroisses, en cruel déficit d’un enseignement de fond seul capable de faire monter de la conscience croyante un refus actif de l’antisémitisme. De même, il est vital que la liturgie de la Parole dans les célébrations eucharistiques soit l’occasion d’instruire les chrétiens du lien de l’Évangile au mystère d’Israël. Ce qui implique en particulier que la lecture de l’Ancien Testament ne soit pas un préambule à écouter distraitement, mais la clé qui ouvre à l’intelligence de la proclamation de l’Évangile. Alors, ne faisant pas nombre avec les autres voix qui combattent l’antisémitisme dans notre pays, une parole chrétienne pourrait se formuler, faisant autant de bruit, plus encore, que ne le fait depuis des mois la très légitime dénonciation des scandales sexuels.
Anne-Marie Pelletier
Avec l’aimable autorisation de La Croix, (article publié le 6 mars 2019)
Voir aussi :
– L’heure est grave par Jacqueline Cuche, présidente de l’AJCF
– Cri du cœur par Mgr Laurent PERCEROU, évêque de Moulins
– Interview de Jean Massonnet sur l’antisémitisme