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Les Justes, précurseurs de l’Amitié entre juifs et chrétiens

Éditorial de Jean-Dominique DURAND
Président de l’AJCF
Juillet 2022

Dans l’été 1942, La chasse aux juifs a été ouverte dans toute la France, en zone occupée, comme dans la zone dite libre placée sous l’autorité de Vichy. La persécution contre les juifs prit un caractère massif. Il ne s’agissait plus de mesures individuelles, de tracasseries administratives, de mesures discriminatoires, d’exclusions comme le prévoyaient les statuts des Juifs de 1940 et 1941. Des rafles avaient eu lieu dès 1941 dans le Nord, et dans le Sud, on avait enfermé des juifs étrangers dans des camps, à Gurs et Noé près de Toulouse, à Rivesaltes, près de Perpignan, aux Milles près d’Aix-en-Provence, à Pithiviers, Beaune-la-Rolande, Jargeau dans le Loiret. En 1942, on passa à la persécution de masse, avec les grandes rafles. Les 16 et 17 juillet, une rafle systématique fut organisée à Paris et dans les environs : 13 152 personnes, de tous âges et de toutes conditions, du nouveau-né au grand vieillard, furent arrêtées par la police française pour la seule raison qu’ils étaient juifs. Nous avons tous en mémoire les images terribles de ces alignements d’autobus de la RATP, réquisitionnés pour conduire ces malheureux au Vélodrome d’Hiver, le célèbre Vel d’Hiv. Ils y furent entassés dans des conditions atroces, avant d’être déportés à Auschwitz. Comme à Paris, et dans tous les camps en France, des policiers français agissaient. C’est dire l’immense responsabilité du régime installé à Vichy et de son chef, le maréchal Pétain. A Lyon, l’Intendant de police exigea du Gouverneur militaire, Commandant de la XIV° Région militaire, le général Robert de Saint-Vincent, qu’il mît la gendarmerie à sa disposition pour convoyer les juifs du camp de Vénissieux vers la zone Nord, c’est-à-dire en fait vers Drancy et Auschwitz. Proche de l’Amitié chrétienne, il refusa, sauvant ainsi l’honneur des troupes placées sous ses ordres. Il fut aussitôt démis de ses fonctions, ce qui lui permit d’entrer dans la Résistance active. Son refus de collaborer à un acte indigne désorganisa un temps le convoi et permit à quelques personnes de s’enfuir. Il montre que si les hauts-fonctionnaires avaient agi de la sorte, le mécanisme du Crime aurait moins bien fonctionné, il aurait même pu être enrayé. Le général a été reconnu Juste parmi les Nations par l’Institut Yad Vashem de Jérusalem.

Le 16 juillet 1995, Jacques Chirac, reconnaissait que « la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français », et ajoutait-il, « la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable ». Il rappela aussi que la rafle fut « le point de départ d’un vaste mouvement de résistance de nombreuses familles françaises, des Justes qui sauvèrent de nombreux juifs ». Le Président montrait ainsi que l’abjection, la lâcheté, la haine, pouvaient être compensées par la générosité, le courage, l’amour des autres et notamment des persécutés.

 Lire l’article de Jean-Dominique Durand dans le Journal Ouest-France du 9 juillet 2022

Suite de l’éditorial de Jean-Dominique Durand

Les Justes constituent un monde très divers ; il est composé d’hommes et de femmes aux origines géographiques, sociales, idéologiques, religieuses différentes. Leurs motivations étaient très diverses. Pour certains, il s’agissait simplement de tendre la main spontanément à des réprouvés, d’autres agissaient au nom de leur sentiment patriotique, d’autres encore se voulaient en accord avec leur foi religieuse ou leur conviction politique. Nous savons grâce aux travaux de Serge Klarsfeld, qu’une multitude de protestations de la conscience, de « Non », et de mains anonymes tendues ont permis de sauver des milliers de personnes.

Simone Veil, alors présidente d’honneur de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, a salué les Justes au Panthéon le 18 janvier 2007 :

« Face au nazisme qui a cherché à rayer le peuple juif de l’histoire des hommes et à effacer toute trace des crimes perpétrés, face à ceux qui, aujourd’hui encore, nient les faits, la France s’honore, aujourd’hui, de graver de manière indélébile dans la pierre de son histoire nationale, cette page de lumière dans la nuit de la Shoah. Les Justes de France pensaient avoir simplement traversé l’Histoire. En réalité, ils l’ont écrite. De toutes les voix de la guerre, leurs voix étaient celles que l’on entendait le moins, à peine un murmure, qu’il fallait souvent solliciter. Il était temps que nous leur exprimions notre reconnaissance. »

L’inscription qui rend hommage aux Justes parmi les Nations que l’on peut lire depuis lors dans la crypte du Panthéon transmet ce message :

« Sous la chape de haine et de nuit tombée sur la France dans les années d’occupation, des lumières, par milliers, refusèrent de s’éteindre. Nommés « Justes parmi les nations » ou restés anonymes, des femmes et des hommes, de toutes origines et de toutes conditions, ont sauvé des juifs des persécutions antisémites et des camps d’extermination. Bravant les risques encourus, ils ont incarné l’honneur de la France, ses valeurs de justice, de tolérance et d’humanité ».

Les Justes étaient des personnes modestes, qui ne se sont guère considérées comme des héros, mais plutôt comme des personnes normales qui ont accompli un geste qui, pour elles, était normal. Elles ont simplement considéré le persécuté comme une personne, comme un frère, comme une sœur. Certaines ont accompli leur geste comme un acte conscient de résistance, beaucoup l’ont accompli par simple humanité. C’est la solidarité des petits gestes, selon l’historien Jacques Semelin, par exemple ouvrir sa porte ou dire non, refuser d’obéir.

Les Justes sont des héros silencieux, qui ont agi souvent seuls, mais aussi très souvent en réseaux, proches parfois des réseaux de Résistance, ou d’une manière isolée. Nous savons que les Justes reconnus officiellement ne représentent qu’une petite partie des sauveteurs, parce que beaucoup ont choisi la discrétion. On a pu parler de « la mémoire discrète des Justes ». Joseph Joffo raconte dans Un sac de billes la fuite éperdue à travers la France occupée de deux gamins, Joseph et son frère Maurice : un prêtre, rencontré par hasard dans un train, déclara au moment fatidique d’un contrôle qui pouvait se révéler dangereux, que « ces deux enfants sont avec moi » alors qu’il ne les connaissait pas, mais il avait compris qu’ils étaient en fuite.

Serge Klarsfeld l’a bien montré, si 76 000 juifs de France ont été déportés, les trois-quarts de la communauté juive résidant en France a été préservée, malgré la présence d’un gouvernement collaborationniste. Face au mal et à l’abjection qui ont semblé un moment submerger notre pays, l’honneur a été sauvé par les Justes.

Les Justes portent un message universel : celui de la reconnaissance de l’autre, de la valeur de toute altérité. En notre temps fait d’individualisme, de tensions, d’antagonismes en tous genres, de renouveau de la haine et de l’antisémitisme, les Justes rappellent la puissance d’une vertu fondamentale pour faire tenir la société debout et la rendre humaine : la solidarité.