Suite de l’éditorial de Jean-Dominique Durand
Les Justes constituent un monde très divers ; il est composé d’hommes et de femmes aux origines géographiques, sociales, idéologiques, religieuses différentes. Leurs motivations étaient très diverses. Pour certains, il s’agissait simplement de tendre la main spontanément à des réprouvés, d’autres agissaient au nom de leur sentiment patriotique, d’autres encore se voulaient en accord avec leur foi religieuse ou leur conviction politique. Nous savons grâce aux travaux de Serge Klarsfeld, qu’une multitude de protestations de la conscience, de « Non », et de mains anonymes tendues ont permis de sauver des milliers de personnes.
Simone Veil, alors présidente d’honneur de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, a salué les Justes au Panthéon le 18 janvier 2007 :
« Face au nazisme qui a cherché à rayer le peuple juif de l’histoire des hommes et à effacer toute trace des crimes perpétrés, face à ceux qui, aujourd’hui encore, nient les faits, la France s’honore, aujourd’hui, de graver de manière indélébile dans la pierre de son histoire nationale, cette page de lumière dans la nuit de la Shoah. Les Justes de France pensaient avoir simplement traversé l’Histoire. En réalité, ils l’ont écrite. De toutes les voix de la guerre, leurs voix étaient celles que l’on entendait le moins, à peine un murmure, qu’il fallait souvent solliciter. Il était temps que nous leur exprimions notre reconnaissance. »
L’inscription qui rend hommage aux Justes parmi les Nations que l’on peut lire depuis lors dans la crypte du Panthéon transmet ce message :
« Sous la chape de haine et de nuit tombée sur la France dans les années d’occupation, des lumières, par milliers, refusèrent de s’éteindre. Nommés « Justes parmi les nations » ou restés anonymes, des femmes et des hommes, de toutes origines et de toutes conditions, ont sauvé des juifs des persécutions antisémites et des camps d’extermination. Bravant les risques encourus, ils ont incarné l’honneur de la France, ses valeurs de justice, de tolérance et d’humanité ».
Les Justes étaient des personnes modestes, qui ne se sont guère considérées comme des héros, mais plutôt comme des personnes normales qui ont accompli un geste qui, pour elles, était normal. Elles ont simplement considéré le persécuté comme une personne, comme un frère, comme une sœur. Certaines ont accompli leur geste comme un acte conscient de résistance, beaucoup l’ont accompli par simple humanité. C’est la solidarité des petits gestes, selon l’historien Jacques Semelin, par exemple ouvrir sa porte ou dire non, refuser d’obéir.
Les Justes sont des héros silencieux, qui ont agi souvent seuls, mais aussi très souvent en réseaux, proches parfois des réseaux de Résistance, ou d’une manière isolée. Nous savons que les Justes reconnus officiellement ne représentent qu’une petite partie des sauveteurs, parce que beaucoup ont choisi la discrétion. On a pu parler de « la mémoire discrète des Justes ». Joseph Joffo raconte dans Un sac de billes la fuite éperdue à travers la France occupée de deux gamins, Joseph et son frère Maurice : un prêtre, rencontré par hasard dans un train, déclara au moment fatidique d’un contrôle qui pouvait se révéler dangereux, que « ces deux enfants sont avec moi » alors qu’il ne les connaissait pas, mais il avait compris qu’ils étaient en fuite.
Serge Klarsfeld l’a bien montré, si 76 000 juifs de France ont été déportés, les trois-quarts de la communauté juive résidant en France a été préservée, malgré la présence d’un gouvernement collaborationniste. Face au mal et à l’abjection qui ont semblé un moment submerger notre pays, l’honneur a été sauvé par les Justes.
Les Justes portent un message universel : celui de la reconnaissance de l’autre, de la valeur de toute altérité. En notre temps fait d’individualisme, de tensions, d’antagonismes en tous genres, de renouveau de la haine et de l’antisémitisme, les Justes rappellent la puissance d’une vertu fondamentale pour faire tenir la société debout et la rendre humaine : la solidarité.