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Anne-Marie Dreyfus : Pessah... et au-delà

La fête de Pessah porte le nom de l’agneau (ou du chevreau) qu’il était prescrit de sacrifier au Temple, en souvenir de celui que les esclaves Hébreux ont tué la nuit de leur départ d’Égypte. Mais le nom signifie aussi un « saut ». Et Pessah l’est à plus d’un titre : « saut » de l’ange de la mort par-dessus les maisons des Hébreux, pour leur épargner la mort des premiers-nés – dixième plaie infligée aux Égyptiens. « Saut » de l’esclavage à la liberté. « Saut », après plus de trois cents ans d’installation en Égypte, vers une terre promise et inconnue.

Le sang de l’agneau répandu sur les linteaux des maisons a nécessairement représenté un courageux défi, dans un environnement où le bélier était une déité. Il valait donc mieux ne pas trop s’attarder, d’où la prescription de se tenir prêt à partir, sans prendre le temps de faire lever les pains. Ne pourrait-on voir, là encore, un « saut » ? En effet, le pain levé est fabriqué à partir d’un pâton déjà pétri. Avec la matsa, mélange azyme de farine et d’eau mis à cuire dès qu’ils sont mélangés, c’est un pain neuf qu’emportent les Hébreux. Une transition entre le pain de boulanger et la manne, reçue dans le désert, qui ne devra rien au savoir-faire humain. Comme le changement de nourriture dont elle reste l’emblème, la matsa – rituellement accompagnée des herbes amères – est l’occasion, chaque année, d’expérimenter une autre manière de « goûter » le monde. Et notamment en re-créant les liens familiaux et sociaux autour de la table du Seder.

Lors qu’aujourd’hui nous célébrons Pessah, l’agneau n’y est plus consommé – les sacrifices ayant cessé avec la destruction du Temple. Symboliquement cependant, il est présent, rappelé par un os (d’agneau) grillé sur le plateau du Seder, et par un morceau de matsa – l’afikoman – que l’on prend après le repas comme au temps du Temple. Mais c’était alors réellement un morceau d’agneau que l’on mangeait, pour garder le plus longtemps possible le goût du « pessah ». Désormais, l’afikoman tient lieu de dessert.

Quelle est la place de Pessah dans l’ensemble des fêtes juives ? Première des fêtes de pèlerinage, elle n’en est pas moins en résonance avec d’autres solennités.

Elle succède à Pourim, autre célébration d’une délivrance. Si l’intervention divine est cachée à Pourim et manifeste à Pessah, il y a dans les deux fêtes une relation à la violence. La démarche d’Esther, comme les préparatifs exigés des Hébreux pour se libérer, nous montrent que la violence des hommes n’est pas une incitation à simplement s’en remettre à Dieu pour la détourner ou y échapper, mais à s’impliquer : le jeûne auquel Esther a convié son peuple en Perse, la circoncision des hommes et l’abattage des agneaux auxquels se sont soumis les Hébreux pour sortir de l’esclavage sont des actes qui authentifient le miracle qui les a sauvés.

Avec Roch Hachana, le point commun de Pessah est d’être une date de naissance : celle d’Adam pour la première, celle d’Israël en tant que peuple pour la seconde. Chaque Roch Hachana est l’occasion de renouveler l’humain en soi ; chaque Pessah, de se re-penser en tant que sujet d’une histoire collective. Quant à la recherche et l’éradication du hametz, ce levain symbole de la fermentation qui aigrit ou qui boursoufle, n’a-t-elle pas quelque chose à voir avec la purification de soi, préalable à la journée de Kippour !

Pessah sans Chavouot aurait-elle pleinement son sens ? La liberté, oui, mais comment et pourquoi ? Une fois libres, les Hébreux devront se situer dans une société où il n’y aura plus d’oppresseurs ni d’opprimés, pour vivre des relations désormais basées sur l’éthique. La Tora, donnée dans le désert cinquante jours après la libération, instituera ce projet de vie collective.

Quant à Souccot, dont les fragiles cabanes rappellent la protection divine qui a entouré Israël durant tout l’Exode, le lien avec Pessah est dans cette précarité-même, où la foi des hommes et l’amour de Dieu ont initié un chemin de salut. Ce n’est pas un hasard si Pessah, Chavouot et Souccot sont les trois temps du pèlerinage au Temple de Jérusalem.

Dernier lien, réaffirmé chaque semaine au moment du Kiddouch : Pessah est en correspondance étroite avec le Chabbat : le passage de la servitude au Service divin, l’abandon de toute recherche d’efficacité pour être disponible à l’autre et au Tout-Autre – nous sont offerts chaque septième jour de la semaine.

Ainsi Pessah, fête d’un exil, d’une délivrance et d’un retour qui sont le chemin de toute vie, est comme un miroir des autres fêtes, un reflet de leurs éclats de lumière !

Je souhaite à mes amis juifs un Pessah fervent et joyeux. Et que Pâques le soit tout autant pour mes amis chrétiens.

Anne-Marie Dreyfus , avril 2014

Glossaire

  • Afikoman : « dessert » (en grec). Morceau de matsa pour la fin du repas de Pessah
  • Haggada : « récit » rituel de la soirée pascale
  • Hametz : levain et produits fermentés interdits de consommation les huit jours de Pessah
  • Kiddouch : « sanctification » du Nom, sous la forme d’une bénédiction prononcée sur une coupe de vin le Chabbat et les jours de fête.
  • Matsa : « pain azyme »
  • Seder : « ordonnancement » de la soirée pascale en 14 étapes.