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Hérode

par Mireille HADAS-LEBEL
Fayard, 2017, 358 p., 22 €

Le nom d’Hérode, qui régna sur la Judée dans les décennies précédant la naissance de Jésus, est de ceux qui font trembler. Mais que sait de lui le grand public, sinon qu’il commanda à un « massacre des Innocents » qui justement n’eut pas lieu ? En revanche, il ordonna bien d’autres crimes lors d’un long règne où il connut César, Cléopâtre, Marc-Antoine et Auguste.
On lui donna cependant le nom qu’il voulait laisser à la postérité, « Hérode le Grand », car il fut un bâtisseur exceptionnel auquel on doit les constructions les plus audacieuses de son temps, tels le Temple de Jérusalem et la forteresse de Massada.


Sans doute est-ce dans le monde chrétien que le nom d’Hérode, en raison de sa présence dans le Nouveau Testament, a marqué les mémoires — sans d’ailleurs que les fidèles aient toujours à l’esprit la distinction à faire entre Hérode le Grand (73 - 4 avant notre ère), roi de Judée au moment de la naissance de Jésus, et Hérode Antipas (22 avant - 39 après notre ère), fils du précédent et Tétrarque de Galilée et de Pérée, celui qui ordonna la mise à mort de Jean Baptiste et auquel Pilate envoya Jésus pendant sa Passion.

C’est au premier que Mireille Hadas-Lebel, auteur d’une thèse sur Rome et Jérusalem (Cerf, 1990, Cnrs/poche, 2012), consacre ce nouvel ouvrage. Elle avait précédemment traité de Flavius Josèphe (Fayard, 1989), de Massada (Albin Michel, 1995), de Philon d’Alexandrie (Albin Michel, 1998, 2004), de Rome, la Judée et les Juifs (Picard, 2009) et de La Révolte des Maccabées (Lemme, 2012). C’est dire la compétence qui est la sienne pour aborder un sujet complexe, aux multiples ramifications, à partir d’une documentation qui reste lacunaire. Elle se fonde, bien évidemment, sur Flavius Josèphe, qui a écrit en grec, à Rome, au cours du dernier quart du Ier siècle, d’abord La Guerre des Juifs, qui remonte aux sources de la révolte contre Rome qui secoua la Judée entre 66 et 73 de notre ère ; puis les Antiquités Judaïques, une « histoire de ses ancêtres, depuis l’origine jusqu’au règne de Néron » qui fait une large place à Hérode le Grand. On sait que, pour le faire, il a pu disposer des annales, aujourd’hui perdues, de l’historiographe d’Hérode : Nicolas de Damas. Mireille Hadas-Lebel a, d’autre part, puisé dans les nombreuses découvertes archéologiques qui permettent de retrouver d’autres traces, monumentales celles-là, d’Hérode « le Grand ».

L’ouvrage s’ouvre sur quatre chapitres biographiques : le premier, “Un enfant d’Idumée” (p. 15-31), traite à la fois l’histoire du personnage, né dans la religion juive mais d’ascendance iduméenne par son père et nabatéenne par sa mère, et de sa famille, tiraillée entre deux cultures : le judaïsme et l’hellénisme, proche à la fois de la cour hasmonéenne et des Romains en la personne de Pompée alors chargé par le Sénat de mettre de l’ordre en Orient. Dans le deuxième chapitre : “L’ascension” (p. 33-50), il s’agit de montrer comment, dans un premier temps, le père d’Hérode, Antipater, manœuvra pour faire nommer ses fils à des postes d’autorité – Hérode devenant gouverneur de Galilée ; puis comment les uns et les autres eurent à faire face à une opposition judéenne, dans le contexte d’une guerre civile à Rome. C’est alors que se révéla « le caractère d’Hérode : énergique, violent, impulsif, arrogant, rancunier, manipulateur » ; surtout, « avide de pouvoir », il montra qu’« il n’en connaissait qu’un au-dessus du sien, celui de Rome ». Le troisième chapitre, “La conquête du trône” (p. 51-80), fait le récit de la prise de pouvoir par Hérode, d’abord par un deuxième mariage avec Mariamne, la petite-fille d’Hyrcan, le légitime héritier du trône hasmonéen, puis par l’appui du Sénat romain qui l’avait proclamé “Roi de Judée”, enfin à travers un conflit avec Antigonos, le dernier roi hasmonéen, et, en -37, le siège de Jérusalem. Il ne lui restait plus, et c’est l’objet du quatrième chapitre : “L’élimination des Hasmonéens” (p. 81-105), qu’à contrebalancer son manque de légitimité, lui l’usurpateur iduméen, par l’exercice de la violence contre ce qui restait de la famille royale légitime. Alors qu’Antigonos était, contre toutes règles, décapité par le gouverneur de Syrie, Antoine, pour trahison, Hérode fit noyer le jeune Aristobule qu’il avait lui-même nommé grand-prêtre peu de temps auparavant ; puis il fit exécuter Hyrcan convaincu de trahison. Plus grave, à la suite d’un complot ourdi par sa sœur Salomé, Hérode fit juger sa propre femme Mariamne pour adultère et, dit Josèphe, celle-ci « fut conduite au supplice » ; mais Hérode ne tarda pas, revenu de sa fureur, à mesurer « le malheur qu’il s’était lui-même infligé et dès lors, il ne fut plus le même homme ».

Trois dimensions caractérisent le règne d’Hérode : du fait de son intronisation par le Sénat romain, ce dernier s’est trouvé inclus dans la catégorie des “rois-clients” qui, ayant toute la confiance de Rome, avait la mission de maintenir l’ordre dans des territoires non formellement annexés mais où il était indispensable que règne la paix romaine. Mireille Hadas Lebel étudie, dans son cinquième chapitre : “Le roi-client” (p. 107-134), les conséquences de ce statut particulier, et d’autant plus particulier qu’en tant qu’ “Ami de l’empereur” Hérode bénéficia d’une large protection et d’avantages entre autres territoriaux ; il en résultat que dans le cadre de limites précises, celles d’être au service de Rome, Hérode put exercer un réel pouvoir. En témoignent d’une part le programme de constructions qu’il mena, en Judée et à l’extérieur du royaume, programme qui contribua incontestablement à renforcer son prestige ; mais aussi, d’autre part, l’usage de la terreur comme moyen ordinaire d’imposer sa volonté à l’intérieur, au point que « les exécutions se multiplièrent dans le peuple comme à la cour et jusque dans la famille royale ».

On sait qu’Hérode fut un bâtisseur qui, à ce titre, peut justifier son titre de « Grand » : Mireille Hadas-Lebel consacre à cette question deux chapitres. Le sixième : “Le bâtisseur” (p. 135-166), aux palais (forteresse Antonia, Hérodion, Massada, Jéricho), aux édifices publics (théâtres, hippodromes, termes), et au port de Césarée qu’il fit construire en utilisant des techniques novatrices ; et aux jeux Olympiques qu’il restaura. Et le septième au “Temple de Jérusalem” (p. 167-193), qu’Hérode fit entièrement reconstruire, en aménageant et en agrandissant le terrain, en redessinant parvis et bâtiments et en entourant l’ensemble d’un mur d’enceinte. Dans le prolongement de cette reconstruction, admirable à tout point de vue, Mireille Hadas Lebel traite de la question du statut du Grand-Prêtre sous le règne d’Hérode et celle de la réhabilitation des pèlerinages. En connexion avec ces multiples réalisations architecturales qui offrent des aspects très contrastés, elle propose, dans un huitième chapitre : “Hérode et le Judaïsme” (p. 195-213), une réflexion sur l’incontestable attrait, pour Hérode, de la civilisation romaine et donc sur ses rapports, qui restent ambigus, avec le Judaïsme.

À côté de cet aspect prestigieux qu’Hérode chercha à donner à son règne, on trouve aussi un côté terrifiant : une cruauté sans limite, à laquelle Mireille Hadas-Lebel consacre deux chapitre, le neuvième : “Le règne de la terreur” (p. 215-248) et le dixième : “Fin de règne” (p. 249-272). Il s’agit, après avoir posé le problème de la santé mentale d’Hérode, probablement altérée, de passer en revue un certain nombre d’épisodes du règne d’Hérode au cours desquels il fit preuve à la fois d’un manque de lucidité et d’une fureur sans limites. D’où, pour la postérité, l’image d’un Roi suspicieux envers tous ceux qu’il croyait ligués contre lui ou susceptibles de lui porter ombrage, et de ce fait massacreur d’innocents. Il est vrai qu’il se trouva en butte à une opposition en particulier populaire, politique et religieuse, conséquence aussi bien du poids exorbitant de la ponction fiscale que de l’introduction de nouvelles habitudes d’inspiration païenne ; mais aussi aux intrigues et autres machinations de ses proches — et tout particulièrement de sa sœur Salomé, qui paraît avoir joui de la part de son frère d’une large mansuétude, mais qui n’en a pas moins été son mauvais génie lorsqu’elle eut pris sur lui de plus en plus d’ascendant. La peur du complot, réel ou supposé, conduisit Hérode à sacrifier ses propres fils, Alexandre et Aristobule, fils de sa seconde épouse, Mariamne, et — à la veille de sa propre mort — Antipater, fils de sa première épouse, Doris. La fin du règne d’Hérode ne fut pas plus glorieuse. Après un dernier complot, un dernier conflit avec des Pharisiens à propos d’un aigle d’or installé au-dessus de la grande porte du Temple — qui se traduisit, pour ceux qui l’avaient décroché, par une condamnation à être brûlés vifs —, Hérode, malade, mourut à soixante-treize ans et après trente-sept ans de règne. Il fut enterré à l’Hérodion.

Mireille Hadas-Lebel a eu l’heureuse idée de prolonger cette biographie par deux chapitres sur ce qui advint par la suite. Le chapitre onze : “L’après Hérode” (p. 273-318), fait le récit des événements qui suivirent la disparition d’Hérode : une révolte initiée par des Pharisiens mais rapidement étendue à la foule des pèlerins venus pour la Pâque ; l’incapacité d’Archélaüs, lequel avait reçu le titre de roi de Judée, Samarie et Idumée, d’y faire face et contraint d’employer la force ; l’arbitrage de l’empereur, après la déposition d’Archélaüs et l’instauration d’un gouvernement direct de Rome par un “préfet” dont le plus célèbre fut un certain Ponce Pilate qui officia sous Tibère de 26 à 36 et qui fut un gouverneur particulièrement brutal au point qu’il fut rappelé à Rome ; l’installation de deux autres de ses fils, l’un, Philippe, comme Tétrarque de territoires excentrés vers la Syrie, l’autre Antipas (plus connu sous le nom d’Hérode Antipas), comme Tétrarque de Galilée et de Pérée… Pour Mireille Hadas-Lebel, « l’effervescence qui régnait alors dans le pays n’était, semble-t-il, pas seulement politique. Il s’y mêlait un sentiment mystique diffus, dans certains cercles esséniens ou pharisiens au moins ». Si cette dimension apocalyptique est soigneusement occultée par Josèphe, plusieurs historiens y lisent cependant l’amorce d’une attente messianique qui se développa au cours du Ier siècle.

Enfin, le douzième chapitre : “Le jugement de la postérité” (p. 319-348), porte d’abord sur l’évolution de la figure d’Hérode dans les premiers textes épigraphiques, dans le Talmud et le Midrash, et dans le Josippon, une adaptation latinisée de La Guerre des Juifs datant du Xe siècle, due à un Juif du sud de l’Italie ; il porte ensuite et plus longuement sur la tradition chrétienne, depuis l’évangile de Matthieu et L’Histoire Ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée, jusqu’aux mystères chrétiens du Moyen Âge, et de là dans le théâtre profane, la peinture, la musique et l’historiographie moderne et contemporaine.

En conclusion, Mireille Hadas-Lebel reprend le jugement de Flavius Josèphe : il y avait en Hérode « deux volontés différentes et contradictoires » qu’il explique par ce qu’il appelle sa « passion pour la gloire » — et qu’on pourrait traduire par son « ambition sans mesure » — ; mais elle y ajoute « le sentiment très vif de son manque de légitimité » qui a fait que, « roi imposé par Rome » mais « jamais populaire auprès de ses sujets », il a dû « écarter de sa route » sans ménagement « ceux qui risquaient de faire obstacle à ses ambitions ». Aussi, a-t-il été « grand » par un long règne, recherchant et obtenant la reconnaissance des puissants, mais aussi par sa démesure, se trouvant, comme tout tyran, entraîné dans une course sans fin pour s’imposer. “Hérode Le Grand” ou “Hérode le Cruel” ? demande-t-elle : les deux, indubitablement imbriqués, à l’image de beaucoup d’autres personnages de l’histoire qui utilisèrent la force pour gouverner.

Yves CHEVALIER