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Vérité

Dans la pensée occidentale, héritière de la pensée grecque, la vérité est une entité métaphysique extérieure à l’homme. Sa réalité se fond dans l’unité supposée de la Raison.

Dans la pensée sémitique, la vérité est plutôt une « fiabilité » : une ma­nière d’être qui suscite et justifie la confiance et l’adhésion (la racine du mot hébreu qui la nomme est d’ailleurs proche de celui qui désigne la foi (voir Amen). Elle est dans ce qui dure et subsiste : non dans ce qui est achevé et définitif, mais dans le questionnement, l’expérimentation, la vie. Elle ne s’exprime pas dans un principe abstrait, mais à travers ce que je fais.

Ce n’est pas la vérité en tant qu’objet - historique , scientifique ou philo­sophique - que cherche le croyant, mais une intériorisation de son rap­ port à la Transcendance - dans la fidélité, le respect et l’amour. Sa quête vise les clés de compréhension et d’interprétation de l’univers , de la Révélation, et de la Parole d’un texte qui renvoie du fini à l’infini. Clés qui n’ouvrent pas la porte de LA vérité, mais la voie de ce qui est complexe et pourtant cohérent : I’« en-vérité » de l’existence, c’est-à­ dire le sens.

EMeT : le mot hébreu qui traduit « vérité » est construit de manière à exprimer la totalité du réel en ses contradictions : il s’écrit avec la pre­mière lettre de l’alphabet, la lettre médiane, et la dernière lettre ( ALeF, MeM, TaV). Si l’on supprime le ALeF, il reste les deux lettres qui don­nent le mot « mort ». Si l’on supprime le TaV, il reste le mot « mère ». Si l’on enlève le MeM, il reste la particule « ETt » (alef-tav), intraduisible en ce qu’elle contient la Source divine et Sa signature dans le monde ( ALeF, lettre de l’Un et du Souffle ; TaV, lettre-sceau).

La vérité serait donc ce qui, unifié par la Transcendance (ALeF) , as­sume la mort (MeT) et les enfantements successifs (EM) de toute crois­sance.

Si on ajoute à cette exégèse littérale l’intuition mystique des Kabbalistes, selon laquelle les lettres et les noms ne sont pas seulement des moyens conventionnels de communication, mais des vecteurs d’énergie et d’essence divine, on n’a encore qu’un aperçu de l’approche hébraïque et juive de la vérité !

Dans le texte biblique, le mot EMeT indique ce qui est cohérent , solide, stable ; ce qui ne déçoit pas, donnant ce qui est attendu - souvent sy­nonyme de « fidèle » (cf Ex. XXXIV , 6 ; Ps. XXXl ,6). La Torah est la vé­rité-même (cf « Achète la vérité et ne la vends pas » Pr. XXl ll ,23), ce que la liturgie quotidienne affirme à la suite de la lecture du Chema Israel. Dans un paragraphe qui commence , précisément, par « EMeT », le souvenir de la rédemption d’Égypte se fond dans la conviction que D. Se révèle et protège Israël : la vérité divine est faite de l’intervention de D. dans !’Histoire.

Jérémie chante « le Tétragramme D. de vérité » (X,10) ; en l’opposant aux idoles , il enseigne qu’il n’existe en dehors de Lui aucun être qui Lui soit comparable sous le rapport de la vérité (tout comme rien ne Lui est comparable sous le rapport de l’être).

Lorsque, dans le texte johannique, Jésus s’identifie à la vérité comme essence du divin (« Je suis le chemin, la vérité et la vie » - Jean XIV ,6), il offre en modèle le chemin de l’homme comme être-en-vérité, condition d’accès à la vie en D. (cf Kierkegaard : « La vé­rité ne consiste pas à la savoir, mais à l’être »). En termes de pensée juive, on peut aussi y entendre que la marche (HaLaKha) passe par la connaissance (de la vérité révélée dans la Torahj pour conduire à la vie éternelle.

Une autre trilogie se trouve dans les Pirké Avot : « Le monde se maintient grâce à trois choses : la vérité, le jugement et la paix » (Avot V,11) ; ce que les Sages commentent : « si le jugement est exécuté, la vérité est satisfaite, et la paix En découle » (Taanit 68a).

A propos des discussions talmudiques entre rabbis - anti-dogmatiques par excellence - les Sages disent : « Les paroles des uns et les paroles des autres sont paroles du D. Vivant ». Ils ne cherchent pas à « avoir » raison. Pour eux, le dynamisme de la pensée ne peut se résoudre à la quiétude d’une vérité synthétique et donc réductrice. De plus, ils se veu­lent les serviteurs de la vérité. Non ses maîtres.

A.-M. D.