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La tolérance, une vertu divine

Article de Florence Taubmann, présidente d’honneur de l’AJCF,
publié le 15/01/2015 dans le Huffington Post.

Des évènements que nous venons de vivre, j’aimerais retenir un grand motif d’espoir : des musulmans ont voulu témoigner, par leur participation aux manifestations, que leur islam n’avait rien à voir avec celui revendiqué par les tueurs et les islamistes radicaux à l’œuvre de par le monde. Et ils l’ont fait sans ambiguïté.

C’est une nouveauté qui mérite d’être soulignée. Parmi les imams qui ont exprimé leur hostilité au fanatisme, celui d’Alfortville, Abdelali Mamoun est revenu sur l’affaire des caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo, pour insister vivement sur le fait que, même si des musulmans pouvaient en être personnellement choqués, la liberté d’expression des dessinateurs ne saurait en aucun cas être remise en cause. Et il ne s’est pas contenté de dénoncer toute fatwa de condamnation à mort, il a affirmé haut et fort qu’un islam s’inscrivant dans le cadre républicain ne pouvait en aucun cas prétendre imposer ses vues. Tout au plus peut-il les exprimer, à côté d’autres opinions, fois, protestations ou idéologies, dans le respect du pluralisme et sous l’exigence et la protection de la laïcité.

Au fondement des lois sur la laïcité, on rencontre la question philosophique de la tolérance, cette vertu humaniste devenue d’autant plus évidente que son contraire, l’intolérance, est haïssable. Mais si la tolérance est pour l’agnostique, le sceptique, l’esprit critique, comme l’air naturel qu’il respire, nous devons réaliser que cette tolérance n’est pas sans poser question à des croyants, quelle que soit leur religion ou leur idéologie, car cela touche de très près aux valeurs, à la vérité et au sacré. Jusqu’où chacun est-il prêt à rester tolérant quand quelque chose qui lui est infiniment précieux est en jeu ? Avant le siècle des Lumières, la tolérance n’était pas une vertu mais l’expression d’un laxisme, d’une tiédeur dans la foi, et de manière récurrente les réveils religieux ou les illuminations idéologiques, comme le communisme ou le fascisme, ont plutôt vanté les vertus de l’intolérance, quand elle se mettait au service du Bien.

Oui, on peut être tolérant parce que croyant

Dans le cadre religieux la tolérance nécessite donc une éducation particulière, complémentaire de l’éducation laïque et républicaine à destination des personnes croyantes, surtout dans leur jeune âge. Autrement dit, il est nécessaire de montrer, philosophiquement, comment la tolérance, loin d’être contraire à la foi ou à la conviction, leur est intrinsèquement liée. Dans la manifestation de dimanche dernier certains l’ont dit de manière forte, par la négative : "Les tueurs n’ont pas défendu Mahomet, ils l’ont insulté, il faut leur dénier le droit de se dire musulmans".

En creux ressort donc l’image d’un Dieu, qui à travers certaines sourates, comme à travers des versets de la Bible, exige avant tout le respect, la fraternité et la compassion des êtres humains les uns vis-à-vis des autres. C’est d’ailleurs l’image positive de l’islam que donne la couverture du Charlie-Hebdo de cette semaine : un Prophète, doux et sensible, qui pleure sur l’intolérance des hommes. Sauf à taxer Dieu lui-même de laxisme, il ne faudrait pas voir la tolérance comme de l’indifférence, du laisser-aller, mais bien plutôt comme une passion envers l’altérité, une acceptation des limites de la connaissance humaine, y compris la plus croyante ou la plus instruite, "car mes pensées ne sont pas vos pensées, dit l’Éternel, et mes voies ne sont pas vos voies ! Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant mes voies sont élevées au-dessus de vos voies, et mes pensées au-dessus de vos pensées". Esaïe 55,8-9.

Les dessinateurs de Charlie-Hebdo semblaient détachés des engagements religieux, ils portaient cependant une foi en la tolérance qu’ils ont payée de leur vie. La tolérance peut aussi être une passion, une raison de vivre et même de mourir.

Que s’ouvre une nouvelle ère où, pour faire barre aux fanatiques et aux intégristes, se développe un véritable mouvement d’instruction et de réflexion à la fois théologique et philosophique, et ce non seulement pour l’islam, mais dans le cadre interreligieux et interculturel qui est le nôtre aujourd’hui.

Saisissons-nous des questions que la transcendance, ses multiples métaphores textuelles, enseignements, expressions culturelles et éthiques nous posent. Point besoin d’être croyant ou religieux pour cela, comme nous le montre le beau livre, Le Royaume, qu’Emmanuel Carrère vient de consacrer au christianisme. Tuer un homme ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme, disait Sébastien Castellion, un des acteurs de la Réforme protestante du 16ème siècle. Ne laissons pas Dieu aux odieux !

Florence Taubmann,
Présidente d’honneur de l’A.J.C.F.

Vous pouvez retrouver cet article sur le blog du HuffingtonPost.