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Menahem Macina : Chrétiens et Juifs depuis Vatican II

État des lieux historique et théologique prospective eschatologique

Editions Docteur Angélique, Déc. 2009, 397 p., 23 €

Recension d’Yves Chevalier, Directeur de la revue de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France, Sens

Le Père Michel de Goedt avait, un jour, intitulé l’un de ses articles : « La véritable “question juive” pour les Chrétiens : celle qui les met eux-même en question » (cf. Sens, 2005 n° 3, pp. 141-156). L’ouvrage que propose Menahem Macina est, lui aussi, de ce genre : prenant en compte l’effort indéniable que l’Église catholique a fait, depuis Vatican II, pour repenser ses rapports avec le Peuple juif et pour clarifier théologiquement la relation entre Judaïsme et Christianisme, il analyse l’évolution de la réflexion qui en est issue et de sa traduction dans le comportement des pasteurs et des institutions de l’Église. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en même temps qu’on trouve des avancées significatives dans l’élaboration de ce “nouveau regard” et de cette “théologie de l’estime”, on trouve aussi des “retours en arrière” et des résurgences de cette “théologie de la substitution” qu’on croyait pourtant définitivement abandonnée. Cela interroge le Chrétien engagé dans le dialogue avec “le frère préféré” (Jean-Paul II à la Synagogue de Rome) avec lequel Dieu a conclu une “Alliance qui n’a jamais été révoquée” (Jean-Paul II à la Synagogue de Mayence) ; cela l’oblige aussi à repenser sa propre identité.

Malgré les difficultés de la mise au point du texte, le paragraphe 4 de Nostra Aetate a marqué un moment essentiel dans la nouvelle formulation théologiquement acceptable par l’Église catholique du lien entre les deux communautés. Mais, et c’est l’objet de sa première partie (pp. 39-130), Menahem Macina insiste sur le fait que si, du côté de l’Église, il y a un authentique essai de purification de la théologie traditionnelle, la réhabilitation du Judaïsme qui en est la condition a posé problème et la réception de cette “nouvelle lecture” des textes n’a pas été aussi facile qu’on aurait pu l’espérer. Malgré la mise en place de structures de dialogue, qui ont pu faire un travail remarquable, malgré la publication de documents, par le Vatican et par les Églises locales, qui ont pu, plus ou moins bien, nourrir la réflexion, la mutation théologique supposée par Nostra Aetate est loin d’avoir été entièrement assumée par tous les théologiens et exégètes catholiques et d’avoir rencontré une large adhésion chez les fidèles. En même temps, elle a des implications qui heurtent directement certaines certitudes difficilement remises en cause. Menahem Macina en cite un exemple (pp. 94-102) que l’on peut qualifier de caractéristique : la contradiction qu’il y a entre une analyse au fond des responsabilités chrétiennes dans la Shoah et la critique de l’attitude de Pie XII qui, manifestement, pour les responsables du Vatican, est impossible.

La seconde partie (pp. 131-198) : “Deux Élus irréductibles. Les deux faces d’un même mystère”, cherche alors à mettre au clair les points sur lesquels la théologie ainsi reformulée reste inadaptée à la gestion du mystère d’Israël et à son incarnation — comment comprendre le “destin du peuple juif” et l’irrévocabilité de l’Alliance que Dieu a scellée avec lui ? Quel est le sens du “retour des Juifs dans leur patrie ancestrale” ? Un chapitre (pp. 167-184) est consacré à l’examen des conséquences du motu proprio de 2008 autorisant, dans certaines conditions, l’usage, le Vendredi saint, d’une version, certes corrigée, de la “prière pour les Juifs” de l’ancien rituel. Mais loin de s’arrêter à ces difficultés, réelles, l’auteur propose d’approfondir ce qui est pour lui une certitude : que Juifs et Chrétiens forment, ensemble, un seul “peuple de Dieu”, « le peuple de Dieu de l’Ancienne et de la Nouvelle alliance » (Notes pour une présentation correcte des Juifs et du Judaïsme dans la prédication et la catéchèse de l’Église catholique de mai 1985), et qu’il y a, au sein de cet unique “Israël de Dieu”, “deux familles” aux destins différents quoique liés. D’où les deux parties suivantes, ne comportant qu’un chapitre chacune : un effort (troisième partie, pp. 199-273) pour formuler “un « nouveau regard » sur les desseins divins, à la lumière des Écritures”, fondé sur la promesse de “la royauté triomphante de Dieu, au ciel et sur la terre” et qui permette de préciser le sens théologique du vis-à-vis bimillénaire du Christianisme et du Judaïsme ; un examen (quatrième partie, pp. 275-351) de “l’épreuve de l’incarnation” que représente le retour des Juifs sur la terre d’Israël — totalement incompris non seulement par une large fraction de l’opinion publique internationale, invitée à une “solidarité accusatoire”, mais aussi par des Chrétiens que la connaissance des Écritures aurait dû aider à une appréciation plus juste de ce retour. Mais si Menahem Macina dénonce (pp. 310-321) un certain philopalestinisme chrétien compassionnel, qui n’est bien souvent qu’une forme recyclée d’antisémitisme, il met autant en garde (pp. 321-334) contre les excès sectaires d’un philosionisme prophétique, apocalyptique ou actualisant. C’est donc à “un « nouveau regard » théologique et historique sur la relation juifs-chrétiens dans le dessein de Dieu” qu’il invite son lecteur, chrétien ou non — même s’il s’adresse en premier lieu à des Chrétiens.

La conclusion (pp. 353-368), plus personnelle, revient sur la cohérence du cheminement qui a abouti à ce livre et sur l’espérance qui habite l’auteur : qu’à l’hostilité de l’Église à l’endroit du Peuple d’Israël se substitue entre les deux fois et les deux traditions une collaboration authentique pour ne pas faire obstacle à la venue du règne de Dieu.

La force de l’ouvrage, outre qu’il se fonde sur un socle scripturaire abondamment cité et sur une connaissance exhaustive des textes fondamentaux qui ont, depuis Vatican II, jalonné ce renouveau de la pensée de l’Église catholique par rapport à la religion dont elle est issue, est cette certitude qu’a Menahem Macina que Judaïsme et Christianisme sont des “choix de Dieu” qui ne s’excluent nullement. Si l’Église s’est fourvoyée pendant près de deux millénaires en prétendant avoir remplacé Israël, elle peut revenir sur cette prétention — même si cela l’entraîne dans une révision profonde de ce qu’elle est elle-même : elle a officiellement commencé ce travail au Concile, et ce dernier est loin d’être achevé. L’un des “signes” de l’approfondissement encore nécessaire sera la manière dont les Chrétiens considéreront l’État d’Israël, le sens qu’ils lui donneront dans une perspective eschatologique. Éviter une lecture fondamentaliste du Premier Testament est une chose, croire profondément aux promesses de Dieu telles qu’elles ont été consignées dans les Écritures en est une autre, qui ne se situent pas sur le même registre ; mais entrer dans cette perspective et en tirer toutes les conséquences, c’est aujourd’hui la tâche du Chrétien. Du moins c’est ce à quoi invite l’auteur.

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