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Discours du dimanche 19 juillet 2009 de Florence Taubmann

A la cérémonie dans le cadre de la Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français et d’hommage aux Justes de France, à Paris.

Florence Taubmann, comme présidente de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France, était présente et a fait un discours. C’est une première pour un de nos présidents, un grand honneur et une reconnaissance pour l’AJCF.

Mesdames, Messieurs, chers amis,


C’est toujours avec stupeur, chagrin, pitié
que l’on entend résonner les noms Vel d’hiv,
Drancy, Auschwitz et toute la cohorte de ces lieux dignes de l’enfer,
camps de concentration, camps d’extermination…Et nous
pensons aux trains de la mort. Nous avons en mémoire des
récits, des témoignages, des images…d’enfants,
d’hommes et de femmes, de vieillards arrachés à
leur vie, arrachés à la vie.… Et toujours la
même question hante notre conscience, question à
laquelle Le Livre biblique des Lamentations de Jérémie
offre le premier mot : Eikha ! Comment ! Comment
est-ce possible ? Comment cela a-t-il été
possible ? Et cette stupeur, cet étonnement nous sauvent
de cette forme de mort que seraient l’habitude, l’indifférence,
l’oubli !


Mais c’est toujours aussi avec
une émotion poignante que nous nous souvenons de tous de ceux
que la tradition juive appelle les Justes des Nations, ceux qui, en
l’occurrence ont fait œuvre de sauvetage, et donc œuvre
de salut, dès lors que celui qui sauve un homme sauve
l’humanité
. Au péril de leur propre vie, ils
ont accompli cette simple parole d’évidence pour eux
« Ici on a aimé les juifs », avec
la seule conscience de ne faire que leur devoir.


Et là encore des noms
viennent à l’esprit, noms gravés dans la pierre à
Paris, à Jérusalem, et autres lieux de mémoire,
noms recueillis dans des livres. 


Puisqu’il m’est demandé
aujourd’hui d’évoquer des institutions
chrétiennes, catholiques et protestantes, ayant participé
au sauvetage d’enfants juifs, je voudrais le faire à
travers trois remarques :

- A partir de 1942, quand les
arrestations se sont multipliées et les persécutions
intensifiées, on vit se développer des réseaux
reliant des organisations d’assistance juives à des
institutions, des associations ou des mouvements regroupant des
chrétiens. Ainsi le réseau Garel de l’OSE trouva
appui à Toulouse en Monseigneur Salièges et son
coadjuteur Monseigneur Courrège pour parvenir à cacher
1600 enfants à la fin 1943. Ou dans le Sud-est le réseau
Marcel
s’entendit avec Monseigneur Rémond évêque
de Nice qui réussit à placer 527 enfants dans les
institutions catholiques, les couvents et les villages de la région.
A Marseille le Service André de Joseph Bas
organisa une filière d’évasion de Marseille au
Chambon sur Lignon avec le Pasteur André Trocmé, puis
vers toutes les régions avoisinantes, la Suisse, l’Espagne,
en s’appuyant encore sur les pasteurs Lemaire, Heyse, les Pères
Brémond et Benoît. A Paris l’Entraide
Temporaire
, organisation multiconfessionnelle fondée en
1941 et dirigée par Lucie Chevalley Sabatier, entra en lien
étroit avec La Clairière, Centre social
protestant dépendant du Temple de l’Oratoire du Louvre,
et dirigé par le Pasteur Vergara et son épouse, ainsi
que par Marcelle Guillemot. A l’aide de paroissiens –de
promeneuses, ils sauvèrent notamment 63 enfants en février
1943. Il faut encore ajouter le travail de la CIMADE créée
en 1939 pour aider les populations évacuées d’Alsace
et de Moselle, et qui s’investit dans les camps d’internement
de la Zone Libre dès 1940 avec Madeleine Barrot, le Pasteur
André Dumas et bien d’autres.

- Après avoir insisté
sur l’importance des liens et des réseaux
multiconfessionnels dans le sauvetage des enfants, il me faut mettre
l’accent sur des lieux, des régions. Grâce au
documentaire de Pierre sauvage « Les armes de
l’esprit »
et au film La colline aux mille
enfants
, Le Chambon sur Lignon et la Haute Loire sont bien
connues et apparaissent comme des lieux emblématiques du
sauvetage. Sous l’influence des Pasteurs Trocmé, Theis,
Guillon, de la Cimade, des Quakers, du Secours suisse, furent créés
à partir de 1940 des centres d’hébergement, une
douzaine de maisons d’enfants, un foyer universitaire…Et
des dizaines de fermes s’y ajoutèrent pour accueillir
les quelques 2500 réfugiés qui passèrent par le
Chambon, dont de nombreux enfants qui furent acheminés vers la
Suisse. Mais d’autres régions ont fait également
office de refuge : les Cévennes, région
protestante qui garde vive la mémoire des persécutions,
la Drôme autour de Dieulefit, le Tarn, le Cantal, profitant
toutes de leur relief montagneux pour organiser des caches et des
filières d’évasion autour de pasteurs, de
prêtres, de religieuses, d’enseignants, et autres
personnes courageuses, dont certaines spécialisées dans
la fabrication de faux papiers. Là encore des noms viennent :
l’école nouvelle de Beauvallon, la colonie de vacances
de Lautrec dans le Tarn avec le Pasteur Delord, la Maison de Vic sur
Cère dans le Cantal, le couvent Notre Dame de Massip dans le
Lot, la Congrégation des sœurs St Joseph du Bon Secours
à Clermont-Ferrand, ou en zone Nord le collège d’Avon.
Il n’est pas possible de tout citer, mais dans la plupart des
cas on constate l’importance d’un engagement collectif.
S’ils n’ont pas été aussi nombreux qu’on
eût pu le souhaiter, les lieux, les villages, les régions
de refuge l’ont été en général par
un effet d’engagement communautaire et de complicité
des habitants, complicité active ou simplement silencieuse.


- Mais, et c’est ma troisième
remarque, l’exemple et la parole de certains responsables
spirituels ont joué un rôle essentiel pour inviter et
encourager voisins, amis, paroissiens, à s’engager dans
des actions qui mettaient leur vie, et leur famille, en péril.
Certains l’ont d’ailleurs payé de la déportation
et de leur vie : Daniel Trocmé du Chambon sur Lignon, le
Père Jacques d’Avon, tous deux morts en déportation,
Suzanne Spaak de la Clairière fusillée à Fresnes
en 1944, Monseigneur Piguet de Clermont Ferrand qui reviendra de
déportation… Souvent plus que de leurs Institutions,
les chrétiens s’honorent de leurs Justes, de ceux qui
ont témoigné dans les ténèbres de la
force des armes de l’esprit. Par là ils rejoignent tous
les êtres de bonne volonté qui, tout en ne partagent pas
la même foi, ont écouté la voix du cœur et
de la conscience en accueillant des enfants dans leur famille, leurs
écoles, leurs villages. En recherchant tous ces témoins
d’humanité et en leur décernant le titre de Juste
parmi les nations, le Mémorial de Yad Vashem fait œuvre
non seulement de mémoire, mais également d’avenir.
Car il consacre l’importance de la conscience personnelle dans
l’engagement, conscience qui se décline en terme de
lucidité quand la menace survient, de devoir d’assistance
et de courage quand il faut en protéger ceux qui y sont
exposés.

Pour chacun de nous aujourd’hui,
chrétiens ou non, la question demeure, la grande et grave
question : qu’aurais-je fait ? Aurais-je vu où
était mon devoir, ma compassion aurait-elle été
plus forte que ma peur ? Aurais-je réussi à faire
peser de tout leur poids ma foi religieuse, mes convictions
humanistes ?

Merci à tous ceux qui ont
répondu dans leur vie et leur chair à ces questions.
Qu’ils soient en exemple pour nous-mêmes et pour les
jeunes générations.


Pasteur
Florence Taubmann

Présidente de l’Amitié
judéo-chrétienne