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A la chaleur du jour, par Liliane Apotheker

Paru dans le journal Témoignage chrétien de septembre 2013, publié sur le site AJCF avec l’accord du magazine.

Réflexion à partir de Genèse 18, 1-8

L’Éternel se révéla à lui dans les plaines de Mamré, tandis qu’il était assis à l’entrée de sa tente, pendant la chaleur du jour. Comme il levait les yeux et regardait, il vit trois personnages debout près de lui. En les voyant il courut à eux du seuil de sa tente, et se prosterna contre terre. Et il dit : « Seigneur, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, ne passe pas ainsi devant ton serviteur. Qu’on aille quérir un peu d’eau, lavez-vos pieds, et reposez-vous sous cet arbre. Je vais apporter une tranche de pain, vous réparerez vos forces, puis vous poursuivrez votre chemin, puisque aussi bien vous avez passé près de votre serviteur. » Ils répondirent : « Fais ainsi que tu as dit. » Abraham rentra en hâte dans sa tente vers Sara, et dit : « Vite, prends trois mesure de farine de pur froment, pétris-la et fais-en des gâteaux. » Puis Abraham courut au troupeau, choisit un veau tendre et gras, et le donna au serviteur, qui se hâta de l’accommoder.

Genèse 18, 1-8, traduction Bible du Rabbinat.

Le décor est campé : il fait chaud, Abraham est assis à l’ombre et des voyageurs surviennent.

Les versets qui suivent décrivent avec précision les rites de l’hospitalité due à ces visiteurs inopinés. L’hospitalité décrite ici, ce n’est pas juste ouvrir sa porte, c’est l’ouvrir sans savoir qui l’on accueille , respecter à la fois la distance nécessaire sans s’imposer, donner de ce qu’on a sans compter et sans ménager sa peine, en surmontant sa crainte, naturelle devant des étrangers qui arrivent. C’est un récit biblique ne l’oublions pas. Dans cette scène qui fait écho par l’évocation de la chaleur à notre été, se déroule un pan d’humanité exemplaire.

Ajoutons que comme nous l’indique le chapitre précédent, Abraham vient d’inscrire dans sa chair et dans celle de son fils Ismaël ce signe de l’Alliance avec l’Éternel qu’est la circoncision, à la demande de celui-ci. Abraham est alors âgé de 99 ans, (Genèse 19, verset 24), on comprend qu’il se repose à l’entrée de sa tente, car une nouvelle vie commence pour lui, une vie nourrie par cette relation si particulière avec Dieu qu’est l’Alliance et dont le chapitre qui suit nous donne en partie le contenu. D’ailleurs, Abraham vient de changer de nom, avant il s’appelait Abram, juste une consonne de plus en Français, en Hébreu celle-ci est théophore.

La circoncision est difficile à comprendre de nos jours quand on n’est pas Juif ou musulman, nous ne percevons plus aisément le langage symbolique des rites qui nous relie à notre histoire quelle qu’elle soit. Nous aimons tout soumettre à la raison, or rien de ce geste ne vient du raisonnable. Il s’agit d’un commandement divin dont les motifs sont inconnus. On a pu dire qu’il s’agit d’une mesure d’hygiène conditionnée par le climat et l’époque, on lui trouve aujourd’hui des vertus préventives contre un grand nombre d’affections graves, mais ce n’est pas pour cela que la circoncision demeure pour les Juifs un rite incontournable. La circoncision se pratique parce que Dieu la demande, et son contenu moral s’impose à nous par l’exemplarité du comportement d’Abraham dans le chapitre qui suit.

A Mamré c’est l’Éternel qui se révèle à Abraham, celui-ci lève les yeux et aperçoit 3 personnes, chacune a une mission, comme tous les messagers bibliques.
Le premier vient visiter le convalescent, le deuxième vient annoncer à Sarah que malgré son âge et l’absence de ses menstrues elle aura un fils, Isaac, et le troisième indiquera la destruction de Sodome et Amorah. Dieu ne veut pas cacher à son partenaire à qui Il a donné la bénédiction universelle ce qu’Il va faire. Il veut lui apprendre la difficile articulation de la charité et de la justice, après lui avoir appris les devoirs plus simples de l’hospitalité faite à l’étranger et celui de la visite aux malades (puisque Lui-même rend visite à Abraham pendant sa convalescence). Ce texte en apparence anodin se situe entre l’Alliance et la destruction de deux lieux de vie impie dont les crimes sont moraux, comme s’il nous indiquait le contenu de l’Alliance. Nous sommes loin de la spiritualisation de l’acte.

C’est Abraham, nouvellement entré dans ce partenariat avec Dieu, enfin assuré de la naissance contre toute attente de son fils Isaac, et porteur d’une bénédiction universelle qui va négocier pied à pied avec Dieu dans un échange vertigineux pour sauver les éventuels justes de Sodome. Ce rôle d’intercession s’impose à lui de manière immédiate, sans crainte pour son propre avenir.
Abraham considère que Dieu juge ces deux villes avec son principe de justice en utilisant l’appellation Adonaï, Seigneur. Dieu lui répond selon la Torah avec son attribut d’amour car c’est bien le Tétragramme qui est utilisé. C’est ainsi que la tradition juive interprète l’utilisation de ces deux noms de Dieu. Mais ce qui nous étonne, lecteurs contemporains, c’est comment cet homme âgé et jeune à la fois fait preuve de confiance en Dieu mais aussi en lui-même. La discussion est bien celle de deux partenaires, Abraham ne recule pas devant la reprise de paroles, tant et si bien que le lecteur s’inquiète presque de l’impatience justifiée de Dieu. Dix justes auraient sauvé Sodome. Le Judaïsme reconnaît ce rôle unique à ceux qui résistent au mal radical, ils sauvent l’humanité et en préserve l’avenir. Notre texte érige en père des croyants un homme qui n’a pas peur de Dieu, ni des hommes, qui s’engage et se sent partenaire de la création, dans les petits gestes du quotidien et dans ceux plus grands qui promettent la survie de notre humanité. Tout le contenu de l’Alliance n’est-il pas là ?
 
Liliane Apotheker