Le panel des experts – ces savants modernes en leur discipline ayant remplacé les anciens « pères » dans la justesse de leurs convictions… – ce panel donc était équilibré. Voyez plutôt. Jean-Luc Pouthier, laïc heureux et journaliste patenté en son Église catholique, fin connaisseur de l’histoire du Christianisme et de ses institutions, Odon Vallet, truculent de précision souriante, bardé de références et d’un brin de préciosité, Frédéric Lenoir dans son rôle d’animateur d’un commerce équitable et de défenseur d’une christologie progressive, Raphaël Draï, enfin, éminent enseignant, et parfois péremptoire, dont Yves Calvi nous a soufflé « qu’il a toujours raison ».
Je n’entre pas dans le fond du débat, bien mené, avec courtoisie mais non sans exigence, sinon pour rappeler les deux difficultés majeures qui font problème au cœur même de notre réconciliation entre le Judaïsme et le Christianisme : d’une part l’interprétation des Écritures, d’autre part la messianité de Jésus et sa résurrection.
Accord, certes, sur les racines juives du Christianisme, que l’Église ne saurait disqualifier ou remplacer. Accord lucide depuis le renoncement à une identité ecclésiale de substitution sur un désaccord fraternel lié au devoir missionnaire d’évangéliser. Il y a dialogue dans l’unique Alliance en ses deux temps d’élection particulière et de vocation universelle.
Un point, quand même, et qui fait l’objet de cette chronique. Car autant l’entretien fut bien mené et tout compte fait « édifiant », autant on peut rester surpris de l’absence totale de toute autre dimension chrétienne que celle de l’Église catholique et romaine. Paix sur elle, en un temps, à certains égards, difficile. Mais j’ai souvent eu l’occasion de dire mon regret de constater en permanence la réduction du Christianisme dans son universalité diversifiée, au Catholicisme dans son unicité romaine. Comment oublier que le rapprochement entre Juifs et Chrétiens a été animé dès l’origine, certes par des intellectuels catholiques français de haut niveau : Henri Irénée Marrou, Jacques Madaule et Jacques Maritain, mais aussi par des théologiens protestants tels le Professeur Fadiey Lovsky ou Jacques Ellul, tels les Pasteurs Jacques Martin puis Charles Westphal. Et comment oublier ce que fut l’initiative littéralement prophétique de Jules Isaac, convoquant des Juifs et des Chrétiens, laïcs et de toute confession, pour la Conférence de Seelisberg ? En août 1947, elle devait signer Dix points définitivement essentiels pour l’instauration d’une pédagogie de l’estime et d’une théologie de la réconciliation. Sur cette lancée, c’est la première Assemblée du Conseil Œcuménique des Églises qui, à Amsterdam et dès 1948, faisait amende honorable au sortir des massacres et décrétait que « l’antisémitisme est un péché à la fois contre Dieu et contre l’homme ». C’était une pierre d’attente sur le chemin qui allait nous conduire aux étapes ultérieures de Nostra Aetate (1965) puis, dernièrement, le texte prometteur pour des relations renouvelées : « Les Églises de la Réforme et le peuple juif. Église et Israël » (Concorde de Leuenberg). Plus proches de nous encore, les actes du Colloque de la Fédération Protestante de France, « Foi protestante et Judaïsme » en octobre 2010.
Avancerai-je, pour conclure, dans un authentique esprit de reconnaissance et sous le signe d’une indéracinable espérance que, si nos traditions religieuses respectives connaissent des familles de pensée parfois très diverses, un même Esprit nous anime tous, et chez les Chrétiens avec un sens de l’Église ou un statut de l’Écriture qui se déclinent diversement, mais sous le signe d’une fondamentale unité et d’une ultime communion ?
A nos frères juifs de décliner eux aussi, paisiblement, la diversité de leur approche du mystère. Amis et frères, Juifs vous avez le devoir d’être de vrais juifs, et nous, le droit d’être de bons Chrétiens. Si c’est possible.
Mais pour en revenir et en finir avec cette belle émission, on aura remarqué que le jeune rabbin qui nous fit visiter le magnifique musée parisien du Judaïsme avait à la main un numéro de notre revue de l’AJCF, Sens. Ce qui va sans dire, mais encore mieux en le disant. Et en le lisant.
Le 27 avril 2011.
Pasteur Michel LEPLAY
Vice-Président d’Honneur de l’Amitié Judéo-chrétienne de France
NB : On peut encore voir des extraits de l’émission C dans l’air du 25 avril 2011 sur le site de France 5, en particulier les reportages à Rome (avec le grand rabbin de Rome Riccardo Di Segni) et le rabbin Berkowitz au MAJH avec Sens dans la main.