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Judas, par Amos Oz

Gallimard, 2016,
348 p., 21 €

Le personnage principal du roman, Shmuel Asch, interrompt ses études en 1959 et, par manque de ressources, accepte un travail de lecteur auprès de Gershom Wald, homme âgé handicapé gardé par Attalia Abravanel, son étrange belle-fille. Cela lui offre le gite et un modeste salaire.
Dans ce nouveau cadre il va reprendre de façon discontinue sa recherche sur « Jésus dans la tradition juive » et en particulier sur le rôle de Judas. Un dialogue s’instaure entre les deux hommes mêlant à la fois les interprétations de l’action de Jésus à travers de nombreux textes juifs et la naissance de l’État d’Israël.

Comme Shmuel le découvre dans une littérature déjà ancienne, Judas ne serait pas le traitre habituellement décrit mais peut-être un espion envoyé par les prêtres qui devient un apôtre particulièrement fidèle, n’encourageant la montée à Jérusalem et la crucifixion que pour une révélation de la victoire immédiate de Jésus sur la mort, et qui, ne pouvant supporter cet échec, se tue.
Cette remise en cause de la notion de traitre est le fil rouge du livre. En effet, le père d’Atalia, Shealtiel Abravanel a été considéré comme traitre par ce qu’il s’est opposé à David Ben Gourion, en refusant la création de l’État d’Israël ferment de guerres futures, et demandant la création d’une seule communauté judéo-arabe, une position qui provoque son exclusion du Comité exécutif sioniste et de la direction de l’Agence juive. Sa fille commente : « Il n’appartenait pas à notre temps. Peut-être était-il arrivé trop tard. Ou en avance. Il était d’une autre époque ».
Le livre mentionne une autre figure de traitre. Le grand-père de Shmuel a servi dans l’armée anglaise du temps du mandat, pour transmettre des informations à la résistance juive. Ce rôle n’a pas été compris par les membres de la résistance qui l’ont considéré comme traitre et l’ont tué.
D’autres hommes présentés comme des traitres sont mentionnées : De Gaulle face aux tenants de l’Algérie française, Lincoln pour les esclavagistes, les officiers allemands organisant l’attentat contre Hitler, Théodore Herzl lorsqu’il envisage un autre lieu pour le peuple juif que la terre d’Israël et même Ben Gourion acceptant la partition en deux États.

L’auteur est aussi partie prenante dans ce roman. Il décrit à plusieurs reprises Jérusalem divisé du temps de sa jeunesse. Il est lui-même accusé de traitrise par la majorité politique actuelle, étant donné son engagement dans le mouvement « La Paix maintenant ».

Le huis clos des trois personnes est rendu étouffant par deux absences : le père d’Atalia mort désespéré après son exclusion et la mort tragique du mari d’Atalia pendant la guerre de 1948.
Enfin, l’errance de Shmuel à travers sa paresse, ses promenades nocturnes, son attirance vers Atalia, son départ sans but du logis provisoire, traduit très bien dans ce roman à différents niveaux, la difficulté d’être dans une société écartelée.

Bernard Marx