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Il y a 80 ans : les enfants d’Izieu-Éditorial de Jean-Dominique Durand, Président de l’AJCF

J’écris cet éditorial le 6 avril, jour des 80 ans de la rafle de 44 enfants et de leurs éducateurs à Izieu, le 6 avril 1944.

Izieu, département de l’Ain. Ce lieu ne peut laisser personne indifférent. L’émotion étreint dès que l’on y parvient. Le choc est violent entre la beauté des paysages, la vue panoramique sur la Chartreuse et le Vercors, la sérénité qui émerge des Monts du Bugey, le calme et le bon air qui invitent à la villégiature, et le drame atroce qui s’y est noué en ce printemps 1944, au moment où les fleurs émergent dans les prés, où les oiseaux reprennent leurs chants, où la nature revit au sortir de l’hiver.

Des enfants juifs avaient trouvé là un refuge, grâce à Sabine et Miron Zlatin. Le 6 avril 1944, ils étaient au nombre de 44. C’était le premier jour des vacances de Pâques. Le plus jeune était âgé de 4 ans. Le plus âgé avait 17 ans. Par leurs origines, ils représentaient toute l’Europe, l’Europe juive, l’Europe des persécutions antisémites. Ils étaient en fuite avec leurs parents depuis des années.

Izieu fut leur dernier refuge. Depuis plus d’un an, la Maison d’Izieu accueillait des enfants juifs pour les soustraire à la déportation, puis ils étaient envoyés dans d’autres cachettes. Tous connaissaient la traque, la peur, certains ne savaient plus ce qu’étaient devenus leurs parents. Mais ces enfants pouvaient penser avoir trouvé enfin une maison. Ils étaient entourés, encadrés par des adultes qui les rassuraient, qui les aimaient, qui espéraient les protéger du monde de brutes que les nazis avaient inventé et imposé à l’Europe.

Le 6 avril 1944, des soldats allemands envoyés par le chef de la Gestapo de Lyon, Klaus Barbie arrivèrent de bon matin. Il était 8h30. Dans les hurlements, ils attrapèrent les enfants et les adultes qui les encadraient et les frappèrent. Ils furent jetés dans des camions, emmenés à Lyon, enfermés à la prison Montluc, une prison militaire au cœur de Lyon, devenue la prison de la Gestapo. Ils y passèrent une nuit d’épouvante. Dès le lendemain, ils furent envoyés à Auschwitz où ils furent gazés.

Bien d’autres enfants avaient été victimes avec leurs parents des déportations notamment au cours de l’année 1942. Plusieurs centaines avaient emmenés lors de la rafle du Vel d’Hiv à Paris, et au cours d’autres rafles. Mais le sort des enfants d’Izieu est un résumé saisissant de ce qu’a été la barbarie nazie et en même temps sa folie idéologique. Nous sommes en avril 1944. La guerre tourne mal pour l’Allemagne. L’Armée Rouge avance inexorablement sur le front de l’Est ; les Alliés ont repris l’Afrique du Nord ; ils ont débarqué en Sicile en juillet 1943 et Naples est libérée en octobre ; le débarquement en France se prépare. Alors que tous les efforts des Allemands devraient être logiquement tournés vers le combat, les nazis mobilisent des soldats, des camions, de l’essence, ils détournent des moyens nécessaires à l’effort de guerre, pour combattre un ennemi redoutable ? Plus redoutable que les armées soviétique et américaine ? Plus redoutable que les maquis ? En fait pour venir capturer au fin fond du département de l’Ain, dans un village minuscule, d’accès difficile depuis Lyon, des enfants. Des enfants de 4, 5, 6, 10 ans ! Des enfants définis comme les ennemis du grand Reich, uniquement parce qu’ils étaient juifs. La priorité des priorités était pour les nazis, la destruction des juifs d’Europe. Quelques mois plus tard, à Louveciennes, dans les environs de Paris, 41 enfants juifs furent arrêtés dans un orphelinat puis déportés.

Chaque année, nous célébrons l’anniversaire de la libération des camps nazis, et en même temps l’horreur absolue. On n’imaginait pas que cela fût possible. Longtemps on a pensé que cela ne pourrait plus jamais se reproduire. Pourtant, cela s’est reproduit en France même, à Toulouse, le 19 mars 2012. Aux noms des enfants d’Izieu, il faut ajouter ceux de Gabriel Sandler, 3 ans, d’Aryeh Sandler, 6 ans, de leur père Jonathan Sandler, 30 ans et de Myriam Monsonégo, 8 ans. Tous les quatre étaient nés juifs. Ils ont été assassinés comme les enfants d’Izieu et de Louveciennes, parce qu’ils étaient juifs. Pour la première fois depuis 1944, on assassinait en France des enfants juifs. C’est pourquoi, chaque année, l’Amitié Judéo-Chrétienne organise le dimanche le plus proche du 19 mars, une Journée consacrée au nécessaire combat contre l’antisémitisme qui frappe particulière la jeunesse.

Tous ces enfants, qu’ils fussent d’Izieu, de Toulouse ou de Louveciennes, ou des kibboutz ravagés le 7 octobre dernier, sont les symboles des millions de juifs assassinés par les nazis en Europe, parmi lesquels un million et demi d’enfants. Nous ne les oublierons jamais. Ils représentent aussi dans nos cœurs et dans nos esprits toutes les enfances massacrées dans les guerres, ceux qui sont enlevés pour en faire des otages, des enfants-soldats, des esclaves sexuels comme au Nigeria et dans tant de pays d’Afrique, ceux qui sont victimes de bombardements, en Ukraine ou au Moyen-Orient, servant parfois de boucliers humains à des terroristes.