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« L’animal a-t-il une âme ? »

Une table ronde réunissait, il y a quelques semaines Élisabeth de Fontenay, philosophe, Rivon Krygier, rabbin et Marc Seroka,vétérinaire, pour débattre de ce sujet. Personne n’imaginait alors que la question de l’abattage rituel occuperait une place prépondérante dans la campagne électorale. L’échange était passionnant et mérite largement d’être évoqué, il devrait permettre d’éclairer un peu ce qui est à l’œuvre aujourd’hui dans le discours terriblement simplificateur de nos politiques.

Élisabeth de Fontenay a exposé rapidement la position de la philosophie à travers les âges à ce sujet pour en arriver à nos contemporains. Au risque de faire scandale et sans gommer la singularité de la Shoah et en lui laissant toute sa place, elle établit un rapprochement entre la condition animale et ce qui a été perpétré pendant celle-ci. Ce rapprochement lui a été beaucoup reproché. Madame de Fontenay rappelle que ce sont les auteurs juifs du XXe siècle, en particulier Bashevis Singer qui sont obsédés par la souffrance animale. Dans son livre, Élisabeth de Fontenay attribue à Bashevis Singer cette expression (Actes de Naissance, page 77, édition du Seuil) : « Éternel Treblinka » désignant l’abattage industriel des bêtes destinées à notre consommation. Si cette expression nous choque terriblement il faut néanmoins en prendre la mesure, son intention est d’être un choc salutaire. Pour qui a lu l’œuvre de Madame de Fontenay et notamment « Actes de Naissance » la place prépondérante faite à « l’irréparable stupeur face à la violence génocidaire » et sa réflexion incandescente sur sa propre origine sont bien connues.
La philosophe précise que venant d’un Juif cette comparaison est valide alors qu’elle lui paraît extrêmement suspecte si ce n’est pas le cas. Je ne développerai pas plus les propos de madame de Fontenay qui nous a permis de voir comment la philosophie traite de la question de l’âme des bêtes pour conclure avec elle par les trois D : « Désir, Douleur, Détresse, voilà toute l’âme des bêtes »

M. Seroka exerce le métier de vétérinaire et voit dans son cabinet des animaux de compagnie et leurs maîtres qui sont à leur égard plein de sollicitude, d’affection et d’inquiétude quand ceux-ci sont malades, voire en fin de vie. Il note néanmoins et l’on s’en doutait un peu que l’animal est un tout autre sujet que l’humain, même s’il a pu constater la détresse de l’animal devant sa propre souffrance, la relation qu’il a avec son maître etc., bref des sentiments qui permettent de conclure que les animaux ne sont pas des « seulement vivants ».

C’est précisément cela qui pousse le rabbin Krygier à poser la question qui s’impose : si l’animal a une âme de quel droit en mangeons nous ? Si nous n’en mangeons pas, pouvons-nous affirmer que nous survivrons ? Nous n’avons jamais consommé autant de viande que ces cinquante dernières années. L’élevage industriel dont nous ignorons tout car nous ne voulons pas savoir est fait dans des conditions horribles, alors que les animaux domestiques sont de plus en plus choyés. Cette différence relève du grand écart acrobatique et montre notre totale insensibilité au sort des animaux qui ne sont pas nos petits compagnons.

La Bible nous dit bien que les grands hommes sont pasteurs, qu’ils savent exercer leur sens de la responsabilité à l’égard du bétail, petit et grand, et montrer de la compassion pour eux. La cruauté à l’égard des animaux est rigoureusement interdite par les lois dites Noachides qui interdisent de manger la chair d’un animal vivant, c’est-à-dire la cruauté sous toutes ses formes. Il faut certes réfléchir à la cruauté de l’abattage rituel qui n’autorise pas l’étourdissement de la bête, mais il faut aussi ne pas oublier que par ailleurs il met tout en œuvre pour minimiser la souffrance de celle-ci. Sans doute pourrait-on l’améliorer tout en respectant la Halakha, notamment grâce au respect du principe de « Tsaar Baalei Haïm » (la souffrance des êtres vivants, ici les animaux). Notre rabbin Rivon Krygier a mentionné le « Hehcher Tseddek » une forme de Cacherout équitable exigée par des communautés Massorti aux USA. Il s’agirait d’une cacherout qui pose son exigence sur le traitement juste de tous les employés de l’entreprise, et des conditions d’élevage et d’abattage qui minimiseraient la souffrance animale autant que possible, un label éthique et rituel à la fois qui démontrerait que l’homme n’est pas qu’un « seulement vivant » mais un être responsable. C’est bien la responsabilité, et le discernement juste du domaine dans lequel elle s’exerce, qui établit la différence entre les hommes et les animaux.

Tout cela nous emmène au sujet de la viande Hallal, qui est entré en prince dans le débat électoral. Il faut le dire clairement : en parlant de cela on ne se focalise que sur la mort et l’on stigmatise une population, musulmane d’abord et juive ensuite car la cacherout est concernée à peu de choses près par la même polémique. Cette focalisation sur la mort, qui est volontairement aveugle aux conditions insupportables de l’élevage et de l’abattage industriel qui sont pour ainsi dire généralisées en France, est pour le moins suspecte. Elle est utilisée par certains politiques pour éveiller en tous une inquiétude : que mangeons-nous quand nous ingérons de la viande hallal ? Un sacrifice rituel fait à un autel que nous ne reconnaissons pas comme nôtre ? Une religion autre qui s’introduirait subrepticement en nous à notre insu ? Tout cela relève d’abord du délire et de la pyromanie, un feu que nous aurons bien du mal à éteindre, tant il aura détruit le tissu social.

Ce délire cache autre chose encore. Nos sociétés contemporaines relèguent la mort aux confins de notre conscience. Chaque morceau de viande et de poisson que nous consommons provient d’un animal mort, c’est cette mort que nous ne voulons pas voir. Le rituel de l’abattage, aussi cruel soit-il, permet aussi à l’homme de prendre conscience de la mort de l’animal destiné à la consommation ou au sacrifice. Les steaks sous vide que nous achetons nous le font oublier et pour peu que leur prix soit le plus bas possible nous ne nous sentons pas concernés par le chemin parcouru avant de servir à notre alimentation.
Certains disent que ces coutumes sont ancestrales et nécessitent une modernisation. De quelle modernisation parlons-nous ? Lâcher le rituel au profit d’une modernité qui ne pense que l’efficacité de la chaîne industrielle ? Cette brutalité-là est-elle supérieure sur le plan moral et éthique à l’attachement au symbolique qui pétrit notre être ?

Entendons-nous bien, je suis végétarienne et depuis longtemps. Je pense qu’en raison de la responsabilité de l’homme, que je tiens pour la valeur la plus haute, il est indispensable de trouver dans la loi juive en vertu de l’interdiction de cruauté à l’égard des animaux, une façon d’améliorer autant que possible les conditions d’abattage des bêtes destinées à la consommation et ce pour tout le monde. Mais cette affaire n’a pas sa place dans la campagne électorale. Elle est le lieu d’une surenchère et démontre que l’irresponsabilité est le propre de l’homme alors que c’est précisément parce que nous sommes capables d’être responsable que le monde nous est confié par Son Créateur.

Liliane Apotheker , 6 mars 2012

Pour écouter la conférence "L’animal a-t-il une âme", visitez le site Adath Shalom.