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Ces jours dits redoutables

Le début de l’année juive coïncide avec la rentrée, la fin de l’été et d’une certaine insouciance, de l’évasion qu’il représente que l’on ait réellement voyagé ou pas.

Roch Hachanah littéralement « la tête de l’année » est aussi le début de l’automne, une saison où l’on engrange les fruits et où le Judaïsme nous invite à un voyage intérieur. Nous avons bien du mal aujourd’hui à accepter que des journées soient dites redoutables,

Yamim Noraïm en Hébreu.

Nous voulons tant que rien ne soit rugueux, ne suscite une crainte ou un sentiment déstabilisant. Nous pouvons même souhaiter attribuer cette difficile appellation à une mauvaise traduction ou à une mentalité religieuse différente de la nôtre, dépassée peut-être. Et d’ailleurs que redouterions-nous ? Dieu aime ses créatures, il suffit d’un abandon confiant à ce qu’Il nous réserve.

Mais ce n’est pas comme cela que le Judaïsme raisonne et depuis toujours j’attends que Kippour soit passé pour vraiment commencer l’année, faire ma rentrée en somme.
L’abandon confiant n’est pas ce que nous avons à faire sur terre puisque nous sommes les partenaires de la Création. Sans vouloir faire un plaidoyer écologique, ni suggérer que le tri sélectif soit urgent et à la portée de tous, il y aurait un véritable examen de conscience à pratiquer et des bonnes résolutions à prendre très vite, sinon les années à venir risquent fort d’être autrement redoutables. Mais là encore ce n’est pas de cela qu’il s’agit.

L’année juive connaît quatre commencements, un mot qu’on a bien du mal à dire au pluriel. Nos sages les nomment et leur attribuent des fonctions différentes, comme s’il fallait dissocier l’Histoire, l’année légale (le premier Nissan), du renouveau de la nature, appelé le nouvel an des arbres, de la dîme pour les animaux (en désuétude) et enfin de la Création présumée du monde. À défaut d’en déterminer la vraie date, comment le pourrait-on d’ailleurs, cette tête de l’année nous rappelle que l’Eternel est tout-puissant et Créateur. Ce jour-là nous rappelons à Dieu qu’Il est « Notre Père et Notre Roi », Avinou Malkenou, qu’Il est patient et qu’Il nous entend même si nous ne savons que murmurer nos prières. Car il ne nous est pas facile de prier, notre spiritualité de « modernes » ne s’y prête pas forcément. Il nous faut d’abord accepter que la liturgie est belle et que cette ferveur nous concerne. Les prières dites avec ou à la suite de l’officiant nous font voyager à l’intérieur de nous-mêmes, nous font retrouver ces paroles dites avant nous au même moment de l’année avec pour objectif le même examen de conscience. De la même manière, le son du Chofar incarne ce faisceau de prières d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Ce son singulier rappelle la ligature d’Isaac, la création du monde mais aussi le rassemblement des exilés et l’eschatologie : le début et la fin en somme. Nous comprenons alors qu’il ne s’agit pas du salut personnel de chacun, mais du salut collectif porté par une prière qui s’adresse à l’Eternel lui demandant sa mansuétude pour nous tous. À quoi bon être sauvé tout seul ?

Un mot encore de la tonalité de cette liturgie. De nombreux chants vont crescendo, sont repris plus d’une fois mais toujours avec le même recueillement. Certains fidèles chantent haut et fort, avec conviction, et de nombreuses communautés font appel à un Hazan, un chantre, pour dire mieux encore ces suppliques. Mais la voix que je préfère est celle de mon rabbin. Il s’agit d’une voix qui à aucun moment ne cherche à en imposer au public, à se faire entendre plus que les autres. Et pourtant c’est celle qui témoigne de la spiritualité la plus intériorisée. Elle est tellement intérieure que parfois je me demande d’où elle vient, mais je sens avant tout qu’elle a la capacité de monter plus que toute autre. C’est peut-être cela « la voix d’un fin silence » celle de la rencontre du prophète Elie avec l’Eternel. Elle ne cherche pas à faire effraction dans ma conscience mais à accompagner son nécessaire examen avant de recommencer l’année afin que la nouvelle livraison de celle-ci soit véritablement meilleure que celle qui vient de s’écouler.

Liliane Apotheker