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Éditorial de Jean-Dominique Durand, président de l’AJCF
Notre pays va mal. Les manifestations qui se sont multipliées au début de l’été contre les soi-disant menaces contre la Liberté et la Démocratie, perdurent de semaine en semaine. Les images que nous avons pu voir, relayées par les médias, les slogans que nous avons pu lire, les propos que nous avons pu entendre – et ce n’est pas fini – nous laissent en état de sidération. La référence obsessionnelle au nazisme, aux rafles, à la Shoah, à Auschwitz, aux chambres à gaz, le détournement de l’étoile jaune imposée aux juifs sous l’Occupation – pour faire croire à une persécution généralisée des Français en 2021, tout cela interroge sur les motivations profondes de ces gens que nous voyons et entendons éructer, injurier, et tout mélanger. Les étoiles jaunes portant l’inscription « sans vaccin » écrite avec les mêmes lettres gothiques que « Juif » autrefois, relève de la honte pure, tant c’est une injure pour ceux qui l’ont réellement portée comme Monsieur Joseph Szwarc aujourd’hui âgé de 94 ans, que pour leurs descendants comme l’a exprimé avec douleur Marc Knobel. On est là dans l’ignominie. L’étoile jaune - portée par les enfants dès l’âge de six ans - a succédé à toute une série de mesures imposées aux juifs français par le gouvernement de Vichy pour les recenser, les identifier, les marginaliser, les persécuter en leur interdisant toutes sortes de professions, les empêcher d’étudier, les ruiner en « aryanisant » leurs biens, pour mieux préparer grâce à l’identification publique par l’étoile jaune, leur déportation et leur élimination dans des conditions effroyables.
Comment interpréter cette obsession pour Vichy et le nazisme (« passe sanitaire = passe nazitaire » lit-on sur des pancartes !) ? Pourquoi grimer le Président de la République en Hitler, et non en Staline, ou en Mao ? Les dictateurs effroyables ne manquent pas dans l’histoire du XX° siècle, bien plus sanguinaires qu’Emmanuel Macron ! S’agit-il d’ignorance, de sottise, de crétinerie, d’inculture ? De nombreux commentateurs l’ont écrit pour s’en indigner. C’est sans doute vrai pour certains individus en mal d’imagination. Mais pour la plupart de ces manifestants, qui avaient déjà sévi avec les gilets jaunes, qui se retrouvent dans les rangs d’une droite extrême ou d’une gauche radicale, les mots ont un sens, et ils le connaissent. Ce n’est pas de l’ignorance : tous ont suivi des cours d’histoire, certains ont dû participer à des commémorations, peut-être même visiter des camps. C’est plutôt de la perfidie, une volonté délibérée de banaliser le crime contre l’humanité, de ridiculiser la signification réelle de l’étoile jaune. On peut faire la même remarque à propos de la Résistance, tournée en dérision dès lors que l’on met sur le même plan les combats héroïques des résistants, de « l’Armée des ombres » comme Joseph Kessel les nomme avec admiration, et les manifestations du samedi. Ce n’est pas un hasard si les mêmes personnages utilisent le même type de sémantique à propos d’Israël : « génocide des Palestiniens », État fondé sur « l’apartheid », mensonges délibérés, détournement des mots, relativisation des réalités du génocide des juifs et de l’apartheid des Noirs en Afrique du Sud.
Que faire ? Si ce n’est dénoncer encore et toujours ces ignominies, rappeler la vérité historique, appeler à la responsabilité citoyenne et politique, en un mot, se battre encore et toujours. Il faut relire le livre de Léon Poliakov, La Causalité diabolique. Essai sur l’origine des persécutions publié en 1980 chez Calmann-Lévy dans la très belle Collection Liberté de l’esprit dirigée par Raymond Aron. Nous sommes à nouveau aujourd’hui au cœur des théories du complot, de la conspiration, de la domination du monde par des forces occultes. Le bouc émissaire et le diable que le grand spécialiste de l’antisémitisme identifiait dans la période historique sont toujours de notre temps. Et même malgré les progrès de la science, de la connaissance notamment historique et de l’éducation, ils paraissent plus foisonnants que jamais. La crise de notre société ne serait-elle pas avant tout une crise de l’intelligence et de la raison, à la recherche toujours renouvelée du bouc émissaire, comme le rappelle le philosophe René Girard, qui concentre sur lui les forces maléfiques et doit être mené au désert : « et le bouc emportera sur lui toutes leurs fautes en un lieu aride » (Lv 16, 22) ?
Ces faits qui nous indignent ne doivent pas nous empêcher de vivre dans l’espérance d’un monde apaisé, comme nous y invitent les fêtes de Roch Hachana et de Yom Kippour. De la même manière que nous avons partagé à Nantes le Shabbat et les repas casher lors de la Session Découvrir le Judaïsme, les chrétiens à l’écoute, souhaitons-nous tous ensemble, juifs et chrétiens, une belle année 5782. Puisse-t-elle apporter à notre monde paix et sérénité !
Septembre 2021