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Chana tova

Vœux et réciprocité

Comme tous les ans, j’ai reçu à l’occasion des fêtes de Tichri de nombreuses cartes d’amis chrétiens me présentant leurs vœux. Comme tous les ans, ces vœux me vont droit au cœur, ils révèlent de la bienveillance, de l’amitié et de la fraternité de la part de mes amis, une manière de dire que, bien que nous célébrions nos fêtes selon un calendrier différent, cette célébration est connue, reconnue et quelque peu comprise. Comme tous les ans, je me demande comment répondre…

Plusieurs possibilités s’offrent à moi : d’abord remercier, évidemment. Mais depuis quelque temps je remarque que de nombreux amis juifs envoient eux aussi des vœux en retour. Si à Roch Hachana nous célébrons l’anniversaire de la Création du Monde, il n’y a aucune raison de ne pas partager cette belle occasion avec tous. Nous partageons le livre de la Genèse avec les Chrétiens, le récit de la Création nous vient de là. De plus c’est bien agréable d’inclure un public large dans ces vœux, et on évite ainsi un sectarisme qui consisterait à souhaiter plein de douceur, bonheur, santé et réussite à certains et pas à d’autres. J’étends bien sûr volontiers mes vœux à tous ceux qui sont heureux de les accepter. Mais comment les personnes qui ne sont pas juives peuvent-elles recevoir cette bonne intention ? Nous vivons ensemble selon un calendrier que nous appelons l’ère commune, un calendrier qui est à la fois chrétien et romain et certainement universel. Pour le coup, le premier janvier, nos vœux à tous sont distribués sans arrière-pensée. Mais le reste du temps ? Des Chrétiens seraient-ils heureux que je leur souhaite une bonne année 5779 ? En y réfléchissant un peu plus, je m’aperçois qu’il serait bien plus juste, plus important, plus inclusif de penser à mes amis non-Juifs en me tournant vers eux pour réparer les éventuels torts que j’aurais pu commettre à leur encontre durant l’année écoulée. Cette demande de pardon, de réparation de torts, ne saurait s’adresser qu’à mes frères et sœurs en religion. Tous devraient en être l’objet. S’il s’agit pour moi de pratiquer l’introspection afin de réparer le tissu des relations humaines comme les rites de ces jours « redoutables » l’exigent, très certainement cette démarche devrait être élargie à tous. Pour le reste, peut-être faudrait-il tout simplement attendre une autre occasion pour adresser nos vœux : Noël bien sûr, mais aussi Pâques avec son sens si constitutif pour mes amis Chrétiens.

J’avoue que quand je pense à la liturgie de la Semaine Sainte, je ne sais pas trop comment formuler des vœux qui tiendraient compte de l’importance fondamentale de cette fête et serais très reconnaissante à qui m’apporterait des éléments de réponse. N’est-ce pas étrange d’ailleurs qu’après tant d’années d’engagement dans le dialogue, je ne sache toujours pas ? Sans doute ai-je pris l’habitude de recevoir des vœux sans penser vraiment à en envoyer en retour. Il est grand temps que cela change. La réciprocité dans le dialogue judéo-chrétien est une question importante, qui dépasse de loin la question des vœux. Puisque maintenant nous ne sommes plus rivaux mais percevons notre lien comme une forme de fraternité, certains diront de bénédiction car voulue par le Très Haut, comment penser la réciprocité ? Elle pourrait être composée de la joie que nous pouvons éprouver à voir la spiritualité de l’autre embellie et renforcée par la liturgie des fêtes de chacun. Elle pourrait être au cœur-même de nos échanges et nourrir le lien singulier qui nous lie, Juifs et Chrétiens.
Elle pourrait aboutir sans confrontation à des questions théologiques profondes et préoccupantes, en renforçant notre confiance mutuelle. Elle pourrait nous poser des questions : que faire quand certaines de nos fêtes tombent en même temps, comme cela arrive quelquefois pour Pâques et Pâque ? D’ailleurs on aurait envie ici de s’interroger sur la singularité de ce singulier utilisé pour la fête juive… Échanger nos vœux pourrait laisser entrevoir une autre manière de nous côtoyer : sans substitution, sans fusion ni confusion et aussi sans incorporation de l’une ou l’autre de nos traditions religieuses dans un universalisme forcément réducteur.

Liliane Apotheker.