Paradoxalement, le commandement biblique d’aimer se situe toujours dans la proximité. Ceci peut s’expliquer par le fait que l’amour est suffisamment complexe pour ne pas chercher à l’appliquer en premier lieu au « lointain » : malgré les apparences, c’est celui qui est proche qu’il est le plus difficile d’aimer : à preuve, Caïn et Abel... ou encore, le commandement d’honorer ses parents, ce qui semble bien montrer que cela ne va pas de soi. En ce sens, il est clair que la pensée hébraïque n’expérimente pas l’amour comme un élan spontané , un sentiment romantique. Sinon, pourquoi D. aurait-il besoin de nous prescrire d’aimer le prochain, voire de « ne pas haïr (son) frère dans (son) cœur » (Lév. XIX, 17) ?
Le prochain, c’est le membre de la tribu ou d’une tribu alliée, le concitoyen ou le coreligionnaire, celui avec qui on partage des liens de vie sociale et religieuse. Lorsque la Tora prescrit - bien plus souvent que l’amour du prochain - le respect de l’étranger et de ce qui lui appartient, c’est qu’ici, la proximité vient d’une communauté d’expérience. C’est dans ce même chapitre XIX du Lévitique qu’il est dit : « (...) et tu aimera l’étranger comme toi-même, car vous avez été étrangers en pays d’Égypte. Je suis l’Éternel votre D. » (v. 34).
« Je suis l’Éternel » est le leit-motiv de tout le chapitre XIX du Lévitique. Ce rappel donne sa tonalité - et son sens - aux prescriptions d’amour : C’est en D. qu’il m’est possible d’aimer le prochain et l’étranger, parce que, comme moi, ils sont créature et fils du même Père. Concernant l’amour de l’étranger, des Sages du Talmud iront jusqu’à dire qu’« il est plus grave de voler un non-Juif qu’un Juif, parce que non seulement on le lèse, mais ce faisant, on profane le Nom » (Tosefta B.K.).
A.-M. D.