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Mireille Hadas-Lebel : Une histoire du Messie

Une recension d’Olivier Rota

Cette publication va dans le sens des travaux historiques actuels. Mireille Hadas Lebel y restitue les différentes strates pré-chrétiennes et pré-rabbiniques de la notion de "messie". Car le terme "messianisme" est trompeur.

Le messianisme, tel qu’il est entendu par le judaïsme ou le christianisme actuel, est une construction tardive, fondée sur une combinaison de notions dont la portée initiale n’était pas spirituelle mais au contraire très concrète. Le "messie", le "mashiah" de la Bible, "l’oint", était en première instance un personnage appelé à jouer un rôle exceptionnel dans la vie du peuple juif. Distingué de ses pairs, il était destiné à régner. L’"oint du Seigneur" désignait aux origines un roi choisi par Dieu, en dehors de tout horizon eschatologique, il n’était pas encore le "sauveur"que les traditions postérieures invoqueront. La notion de "salut" date des Psaumes et des écrits prophétiques. Elle est associée à Dieu, qui est le seul "espoir d’Israël".

Or, la notion de salut va être associée par étapes à celle de messie, sous l’effet de plusieurs moments de crise. Avec le temps, les écrits prophétiques vont venir recouvrir le "messie" des premiers écrits de nouvelles significations. La thèse centrale de Mireille Hadas-Lebel est la suivante : "L’on ne saurait trop souligner le rôle des textes des prophètes et des Psaumes dans la formation de la théologie ultérieure juive comme chrétienne. Ils spiritualisent des termes à l’origine très concrets à partir desquels se bâtit la notion de salut" (42).

L’historienne analyse ce processus historique de construction de la notion de "messie". Elle décèle notamment une première évolution au moment de l’exil babylonien, qui favorise la construction d’un nouveau type d’espérance et l’idéalisation de la royauté davidique. Une aspiration à la restauration de cette royauté se fait jour : sur elle repose l’espoir prophétique de la fin des souffrances de l’exil ; elle capte pour cela un ensemble d’annonces présentes dans le texte biblique, dont la portée est réhaussée avec le temps à un niveau eschatologique.

La guerre de Gog décrite par Ézéchiel, l’annonce d’un roi monté sur un âne, l’apparition de la croyance en la résurrection et son rapprochement avec le thème du Jugement, ... : Mireille Hadas-Lebel analyse l’enrichissement progressif du terme "messie", vers lequel converge une attente que l’on pourra bientôt qualifiée de "messianique" – probablement à partir du IIe siècle avant notre ère ... L’élément-clef de cette datation est lié à la période présumée de la rédaction du Livre de Daniel, que l’historienne date du temps des Maccabées. La période, en effet, "marque un tournant dans l’histoire des idées et a favorisé le développement de théories mystiques sur la fin des temps à venir" (125), soutient l’auteur. Les crises ultérieures du judaïsme (le règne d’Hérode, la révolte réprimée de Bar Korbah) ne feront que pousser la notion de messie vers des attentes toujours plus vives. Complexifiée avec le temps, la notion de "messie" donne naissance à des constructions messianiques, à des messianismes, que l’effervescence judéenne des Ier et IIe siècles exploite.

Reste une difficulté pour l’historien. D’un côté, "la christologie qui s’est développée à partir du Nouveau Testament éclipse souvent la messianologie originelle" (167). De l’autre, les révoltes malheureuses des Ier et IIe siècles ont convaincu les rédacteurs de la Mishna d’éviter la question messianique dans leur compilation, repoussant dans le champ de la liturgie et de l’attente populaire d’un messie sauveur (217). Judaïsme rabbinique et christianisme construisent chacun un type de messianisme qui est le fruit de leur expérience religieuse et historique, en même temps qu’ils voilent l’histoire de ces constructions. Et pourtant ... l’idée messianique a son histoire. Mireille Hadas-Lebel nous invite à la découvrir au cours de ce travail monumental dans lequel le lecteur retrouvera avec plaisir la précision et la fluidité du style de l’historienne.

Olivier Rota, membre du comité directeur de l’AJCF, membre de l’IEFR

Editions Albin Michel, mars 2014, 304 pages, 19.50 €

A lire, à voir à écouter en complément  : Présentation du livre, Mireille Hadas-Lebel sur Akadem et France-Culture (Talmudiques)