Accueil > International > Conférences annuelles de l’ICCJ > 2009 à Berlin > Retour sur Berlin – conférence annuelle de l’ICCJ, juillet 2009

Retour sur Berlin – conférence annuelle de l’ICCJ, juillet 2009

La conférence annuelle de l’ICCJ a eu lieu cette année à Berlin, une ville marquée par le poids de l’Histoire.
Ce poids si écrasant n’empêche pas Berlin de se reconstruire. De beaux bâtiments modernes et imposants bordent des allées de tilleuls, en lieu et place des vestiges du IIIème Reich et de la RDA (République Démocratique Allemande, nom de l’ancienne Allemagne de l’Est).
L’objectif de ce colloque était ambitieux : après avoir repensé les 10 points de Seelisberg, il s’agissait de formuler les 12 points de Berlin, en somme appeler les communautés Juives et Chrétiennes dans le monde à formuler l’à-venir du dialogue.

Le cadre de cette conférence, Berlin, et le cœur même de la démarche présentent des points communs troublants.
Partout dans la ville, on se trouve confronté à son histoire, les deux totalitarismes qui l’ont d’abord détruite et ensuite divisée. Les victimes et leur histoire individuelle et collective rappelés de manière forte dans des musées, mais aussi à chaque coin de rue.

Nul n’ignore les musées emblématiques qui relatent la grande présence juive dans le Berlin d’avant la Shoah, le mémorial, forêt de béton en plein cœur de la ville, et le petit mais bouleversant musée de "Check Point Charly", qui rappelle le Mur et les victimes de la RDA qui voulaient quitter leur état-prison.

Mais aussi, ici, on trébuche sur l’histoire si douloureuse en passant sur les "Stolpersteine", des pierres à même la chaussée, rappelant par leurs inscriptions des destins individuels de Berlinois Juifs assassinés par les Nazis.
Les restes du Mur (tombé un 9 novembre,il y a 20 ans déjà, 51 ans après la Nuit de Cristal, mais bien le même jour) sillonnent la ville, même si le visiteur a bien du mal de nos jours à reconnaître l’Est de l’Ouest.
Ces pierres ont une histoire et la racontent. Si certains supportent mal de voir les noms des victimes foulés aux pieds par des passants, nous savons que quand la mémoire est trop lourde elle ne peut être spontanée et qu’à moins d’y être obligés, nous préférons le plus souvent nous y soustraire. Trébucher oblige à voir l’obstacle, se ressaisir, retrouver un équilibre perdu. Ce qui reste du mur est maintenant de l’ordre d’une relique joyeuse : un support unique de graffitis colorés et d’art avant-gardiste affirmant avec force la liberté de circuler dans la ville et de vivre dans une grande et vraie démocratie. On flâne le long de la Spree et dans les espaces verts de cette ville si étendue, et on oublie trop vite que les habitants de l’ex RDA étaient privés de leurs droits les plus élémentaires. L’ICCJ a bien choisi le lieu pour énoncer les 12 points de Berlin.
Réparer est toujours possible, poursuivre cette réparation en lui insufflant une dynamique nouvelle s’impose.
Le dialogue entre Juifs et Chrétiens serait accompli, c’est là la grande tentation de ceux qui ont pris acte du concile Vatican II et se soucient peu du travail des consciences qui évoluent selon un rythme qui lui est propre. En milieu juif on peut également choisir de refermer la porte, en disant : le magistère s’est exprimé pour le monde catholique, nous n’avons rien à ajouter.
Afin de balayer d’abord devant ma porte, je rappelle à mes sœurs et frères Juifs que nous sommes trop peu nombreux engagés dans cette démarche de dialogue et que le plus souvent nous n’en percevons pas l’importance. Il ne s’agit pas d’une simple repentance qui pourrait nous laisser vaguement indifférent en disant : trop peu, trop tard !
Il s’agit pour nous de comprendre que les églises chrétiennes, par le paragraphe 4 de Vatican II pour le monde catholique, et par la déclaration de Leuenberg, pour les églises issues de la réforme ont procédé à une transformation théologique qui est de l’ordre d’un séisme. Cette transformation en appelle à une réaction de notre part. Il ne s’agit pas d’oublier la Shoah et le déni théologique qui l’a précédée. Il ne s’agit pas non plus de pardonner, ce pardon ne nous appartient pas. Mais à partir du tremblement de terre théologique que Vatican II a imposé au monde catholique, il nous faut entrer en dialogue avec ce nouveau monde qui émerge. On pourrait s’appuyer ici sur l’histoire biblique du déluge. Noé est un homme juste dans sa génération, il construit une arche, en cale sèche et peu susceptible de flotter en raison de ses dimensions (très précisément citées par le texte). Après un déluge catastrophique, il émerge avec un petit reste – une humanité rescapée. La comparaison s’arrête là – la Shoah n’a rien de commun avec le déluge en question. Les lois de Noé,, dites noachides, nous rappellent qu’une humanité rescapée a besoin d’une notice de survie : un minimum légal universel pour assurer sa continuité.
Les 10 points de Seelisberg constituaient cette base commune pour l’humanité après la Shoah – ils attestent que nul ne peut survivre seul, muré dans son chagrin ou son indifférence. Les 12 points de Berlin veulent reprendre le témoin et avancer, nous faire grandir en humanité.
Il serait fastidieux de les énoncer ici, mais il importe d’en saisir l’esprit.
Nous, Juifs et Chrétiens, nous sommes différents et nous le resterons. Cette différence est avant tout une richesse. Nous sommes partenaires et ceci a une implication double. Mus par le sentiment de culpabilité, les Chrétiens se sont tournés vers les Juifs en traduisant ce sentiment par des paroles fortes et des actes de repentance.
Nous les Juifs en étions les récipiendaires, accablés par notre douleur et cherchant à relever la tête pour respirer tout simplement, dans un monde où l’humanité, oxygène et lumière à la fois, nous paraissait trop rare.
Soixante ans après les 10 points de Seelisberg, il est temps pour notre génération d’enfants de survivants et de victimes d’inventer une modalité nouvelle pour ce dialogue. En scrutant notre propre tradition, nous pouvons en trouver le moyen. Nous avons entendu la repentance de nos amis chrétiens, nous devons maintenant assumer notre place de partenaire dans cette entreprise, sans susciter de malaise et de culpabilité immédiate auprès de nos frères.
Ce dialogue ne doit plus être patriarcal de la part des Chrétiens et culpabilisant de notre part à nous. Une fois ces difficultés apurées, nous pouvons nous tourner ensemble vers le monde et réfléchir à des défis nouveaux : la justice sociale, l’écologie, l’étique, la paix (3ème partie des 12 points énoncés). Nous ne serons pas souvent d’accord sur les moyens, mais attelés aux mêmes objectifs. Notre énergie déployée ensemble pour aboutir à ce programme maximum nous mettra sur la voie de l’accomplissement des Écritures.
L’étude partagée de nos textes, libérés de la lecture close de l’apologie, nous permettra d’en mieux saisir les enseignements.
La Bible dit des choses très anciennes et très justes sur le comportement humain. Elle en montre souvent la noirceur, c’est vrai, mais pas plus que ne le fait l’histoire humaine. Elle nous donne par contre l’espoir que l’humanité est capable de progrès, que rien n’est écrit dans la pierre à part le décalogue et que celui-ci est un compagnon de route solide et indéfectible. Le reste peut en être le midrash : le commentaire, ancré dans la tradition, pensé pour aujourd’hui.

LA

Le texte complet des12 Points de Berlin