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Quelques réflexions du rabbin David Meyer

… En bref, je ne suis pas critique du texte de Benoît XVI car je suis critique d’un certain état des relations « molles » dans le dialogue judéo-chrétien qui souvent prévalent aujourd’hui. Depuis plusieurs années un sentiment de « fatigue » et de « lassitude », en fait de « déjà-vu », est devenu caractéristique de l’état de ces relations, 50 ans après Nostra Aetate. En ce sens, je crois que certains propos de Benoît XVI permettent justement de remédier à cet état de fait. Pour ma part, c’est en tant que rabbin et talmudiste que je réagis face à ce texte, c’est-à-dire, mettre en avant l’idée que le véritable « dialogue » (la Mahloket, dans le Talmud) nécessite de réexaminer systématiquement tous les arguments, y compris lorsque cela peut sembler déstabilisant. À titre d’exemple, cet enseignement talmudique me semble particulièrement important :

Rabbi Ochaiya a dit : « Que signifie le verset : Je me suis muni de deux bâtons ; j’appelai l’un Bienveillance et l’autre Agression (Zac 11,7) ? ’Bienveillance’, ce sont les disciples des sages du pays d’Israël qui sont courtois les uns envers les autres lorsqu’ils discutent de la Loi ; ‘Agression’, ce sont les disciples des sages de Babylone qui s’offensent mutuellement.

« Bienveillance » ou « Agression », paroles conciliantes et lénifiantes ou paroles audacieuses et dérangeantes ? Tels sont, apparemment, les termes de la question lorsque l’on évoque la qualité du « dialogue » entre Judaïsme et Christianisme. Les sages d’Israël ne font que se réconforter mutuellement. Ils manquent d’audace, de créativité et de courage. Ils sont effectivement « bienveillants » pour le consensus communautaire. Mais derrière les mots courtois se cache une pauvreté de la pensée qui, pour les sages de Babylone, mènera le judaïsme de la terre d’Israël à la décadence et à sa propre perte. Agressifs, belliqueux, les sages des académies talmudiques de Babylonie refusent les mots doux et réconfortants. Ils aiment s’engager dans des luttes d’idées qui dérangent. La recherche de l’apaisement mou, imposant la tyrannie du consensus, ne les intéresse guère. Ils luttent avec des mots, avec des paroles rabbiniques qui ouvrent vers d’autres horizons.

Il en va de même pour le dialogue entre nos deux religions. Après 50 ans de « bienveillance » et de dialogue courtois qui étaient bien nécessaires, ne faut-il pas envisager - et je me demande donc si ce n’est pas ce que Benoît XVI vient de faire ? - un dialogue plus sincère et quelque part plus agressif ? Mais une agressivité qui deviendrait la base d’un vrai dialogue, avec une nouvelle vigueur, et porteur de discussions et d’argumentations plus profondes et plus constructives sur le long temps.

Voilà en quelques phrases ma position. Une position qui ne me rend pas, cependant, naïf face aux dangers que la position de Benoît XVI peut porter en elle dans le climat actuel.

(nos remerciements au Père Étienne Vetö, Directeur du Centre Bea – Rome, qui nous a transmis ces réflexions du rabbin Meyer).