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Angers 2014 : un compte-rendu détaillé par Elisabeth Martin

Elisabeth Martin, membre du Comité Directeur de l’AJCF, était à Angers pour la troisième session « Découvrir le judaïsme » - Les chrétiens à l’écoute qui s’est tenue du 15 au 20 juillet 2014 au Bon pasteur, ayant pour thème directeur la transmission, avec plus de 200 participants.

Elle a rédigé un compte-rendu très détaillé de la session et des interventions principales.

 3ème session « Découvrir le judaïsme » - Les chrétiens à l’écoute

« Ce que nos pères nous ont transmis, nous ne le tairons pas à leurs descendants, mais nous le transmettrons à la génération suivante… » (Ps 78, 3-4)

ANGERS – Le Bon Pasteur -15-20 juillet 2014


Angers 2014 restera dans les mémoires : ce fut une très belle session, organisée par les diocèses de l’Ouest, avec les communautés juives et les groupes d’amitié judéo-chrétienne de la région Ouest. Session qui fut résolument œcuménique, dans un lieu qui s’y prêtait superbement (la commu du Bon Pasteur d’Angers) avec plus de 200 inscrits (280 couverts à Shabbat !!) dont une portion non négligeable de jeunes, chrétiens en majorité (cf article de la Croix du mercredi 23 juillet : « De jeunes chrétiens à la rencontre du judaïsme »).

La cinquantaine de jeunes du MEJ (Mouvement Eucharistique des Jeunes) a bien rajeuni l’ambiance et a eu son programme spécifique, sous le regard attentif et pédagogue de Thierry Colombié, à l’initiative de ces sessions de découverte du judaïsme (La Melleray, près de Nantes, en 2010 et la Hublais, près de Rennes, en 2012). Une initiation qui fut fructueuse et marquante pour cette jeune génération dont certains, le dernier soir, ont témoigné de déplacements intérieurs importants au cours de ces cinq journées. Leur programme fut réfléchi autour de sujets adaptés : approfondissement des fondements de la religion juive, réflexion sur l’histoire du peuple juif, amour et couple dans la tradition juive, vie d’une synagogue, témoignages de rescapés de la Shoah, découverte de la richesse de la musique klezmer et des chansons yiddish, danses d’Israël …

Le thème de la session des adultes était orienté sur la transmission. Des intervenants juifs et chrétiens se sont succédé pour le traiter en conférences plénières durant les matinées :
 du côté juif : Franklin Rausky (Institut Elie Wiesel, Paris), Philippe Haddad (rabbin des Ulis, Essonne) et Eva et Louis Pidhorz (communauté juive d’Angers),
 du côté catholique : Père Michel Remaud (Institut Albert-Decourtray, Jérusalem), Danielle Guerrier (déléguée pour les relations avec le judaïsme pour le diocèse de Seine-Saint-Denis et enseignante au Collège des Bernardins, Paris), Père Philippe Loiseau (Université catholique de l’Ouest)
 du côté protestant : François Clavairoly (pasteur et président de la Fédération protestante de France)
 et du côté orthodoxe : Sandrine Caneri (vice-présidente de l’Amitié judéo-chrétienne de France).
Des interventions très denses, qui ont alimenté les débats et ont impressionné. Un résumé significatif de leur contenu figure en complément de ce compte-rendu.

Les participants ont été accompagnés toute la semaine par le rabbin Berdugo et son épouse, présents déjà aux deux précédentes sessions, et dont le rôle est important dans le contexte de ces sessions. Liliane Apotheker, de l’ICCJ (Conseil international des chrétiens et des juifs), a honoré de sa présence la session. Alain Jacobzone, historien et enseignant à Angers, a évoqué longuement la page noire de la Shoah à Angers, permettant ainsi aux participants d’avoir en mémoire l’histoire spécifique de la Shoah dans cette ville lors de la commémoration du Vel d’Hiv le dimanche avec les officiels au Séminaire d’Angers, lieu d’internement de la première rafle pour le convoi vers Auschwitz. En l’absence du Père Patrick Desbois, du Service national pour les relations avec le judaïsme, un membre de son équipe a évoqué la Shoah par balles en Europe de l’Est.

Durant les après-midis, des ateliers en parallèle, animés par des intervenants des conférences plénières ainsi que par Marie-Hélène Dechalotte, Hervé Elie Bokobza et Jean Joncheray, Myriam Jollymonge, Myriam et Yehuda Berdugo, Louis-Michel Renier, Thierry Colombié, Liliane Apotheker, ont mobilisé les participants en groupes plus restreints. Les sujets étaient des occasions d’initiations :
 à la Tradition orale : tradition rabbinique et Ancien Testament, le targum et les midrashim, le Talmud,
 à l’hébreu,
 aux liens entre les deux traditions : liturgie juive et liturgie chrétienne, (dont le christianisme orthodoxe), tradition rabbinique et Nouveau Testament,
 à des sujets de dialogue : messianisme juif et messianisme chrétien, regard juif sur le dialogue judéo-chrétien,
 à une découverte de quelques aspects de la vie juive : rôle de la femme juive, la diversité du judaïsme, danses d’Israël…
et aussi d’informations sur le travail associatif dans l’Amitié judéo-chrétienne de France et le travail institutionnel dans les Services diocésains des relations avec le judaïsme.
Chacun a pu apprécier la variété des sujets abordés, le travail fourni par les animateurs et les échanges au sein de chaque groupe.

La présence des jeunes a donné un accent joyeux à la session, avec une ambiance très fraternelle, des veillées animées (danses, chants, musique juive) et des repas conviviaux à l’extérieur (pari réussi des organisateurs de manger sous les arbres, le long du chapiteau, grâce à un temps ensoleillé jusqu’à Shabbat). La cuisine fut de haute teneur (appel à un traiteur casher opérant dans les locaux d’un lycée voisin), avec une organisation minutieuse des différents lieux de buffets pour éviter les files d’attente. Cela permit des rencontres toujours nouvelles à chaque repas, des déplacements vers les buffets dans la bonne humeur, un service assuré par les jeunes et simplifié (tout jetable sauf les couverts et les plateaux) et un croisement possible des générations chaque jour, aux repas et en veillées, malgré les programmes différents. Le point café et les pauses ont aussi permis des temps relaxants et des rencontres diverses et variées, avec une librairie bien achalandée.

Des groupes de partage furent proposés chaque fin d’après-midi, pour permettre d’échanger à une dizaine autour d’un animateur. Ecouter le judaïsme, se laisser questionner par sa pratique, accueillir l’enracinement de la foi chrétienne dans la foi juive, est souvent une découverte pour les chrétiens, et cette découverte peut provoquer étonnement, curiosité, questionnements, besoin de reformulation… C’est une expérience stimulante pour certains, déstabilisante pour d’autres, mais qui peut être fécondante s’il est possible de trouver une écoute sans jugement pour exprimer le malaise ou la joie éprouvés. Cela offrit l’occasion de parler du vécu de la session et de partager découvertes, ressentis, questions, dans la convivialité et l’écoute mutuelle. Ces groupes ont bien fonctionné et ont été appréciés. J’en ai personnellement animé un à trois reprises, et cela m’a donné la conviction qu’il était important d’offrir cet espace pour que les personnes vivant une expérience forte (spirituelle ou perturbante du fait de l’altérité entre les mondes juif et chrétien) puissent trouver les mots pour exprimer leur ressenti, face à d’autres, re-formuler leurs découvertes, et permettre à la parole de circuler dans un climat d’accueil, d’écoute attentive et de confiance.

Deux temps forts ont coloré spirituellement cette session : la célébration du shabbat à la synagogue d’Angers, et la messe dominicale sous le chapiteau au Bon Pasteur.

Pour le Shabbat, les participants avaient été répartis en deux groupes distincts (l’un le vendredi soir et l’autre le samedi matin) pour vivre un des deux temps d’office à la synagogue, trop petite pour recevoir tous les sessionnistes. La découverte de la synagogue d’Angers a été un ravissement : stylée, elle est enchâssée dans une ancienne chapelle romane, devenue temple protestant. L’accueil y fut fort chaleureux (grâce à Louis et Eva Pidhorz) et la communauté heureuse de partager cet office avec des chrétiens. Le rabbin Berdugo aida l’assistance chrétienne à suivre plus facilement l’office de shabbat en traduisant certaines prières en français et en permettant de se repérer dans la bible lors de la lecture de la Torah et des Prophètes. La sortie des rouleaux de la Torah reste un moment marquant pour ceux qui assistent pour la première fois à un office de Shabbat matin.
Le dimanche, l’évêque d’Angers présida la célébration eucharistique sous le chapiteau, entouré des prêtres présents. Animée par les jeunes, elle clôtura la session de façon festive et dans la ferveur de l’action de grâce.

Comment qualifier cette session ? L’enthousiasme et l’encouragement exprimés par les deux évêques présents en début de session, Mgr Delmas, évêque d’Angers, et Mgr Beau, de Paris, (qui a parlé de « l’importance énorme de ce que fait la région de l’Ouest » et du travail « unique et qui devrait être contagieux ») ont sûrement donné du souffle pour la suite du séjour. En fin de session, le rabbin Philippe Haddad a parlé d’ « événement presque théophanique » et « de la présence de Dieu au milieu de nous car dans la Tradition, quand plusieurs sont réunis ensemble au nom de Dieu, de Jésus, Dieu est présent ».

Le temps d’envoi de la célébration finale invite à témoigner de ce temps exceptionnel de convivialité, porteur d’espoir, dans un monde à l’actualité préoccupante (qui pouvait ne pas penser pendant cette session aux événements du Proche Orient ?), où haine et désespérance, liés à la méconnaissance de l’autre, sont réalité quotidienne. Il a été donné à des chrétiens et des juifs de vivre ce temps prophétique où fraternité et respect de l’autre augurent des rapports nouveaux entre les hommes et où la peur a disparu (cf Isaïe 65) au profit d’un désir de se parler pour mieux se connaître, s’apprécier et s’enrichir mutuellement, dans une joie communicative. Le rêve de Dieu ? Un jeune qui a témoigné samedi soir, ne parlait-il pas de « communion » dans une eschatologie anticipée ? Avoir pu goûter comme un temps de « Shabbat du Royaume » entre frères juifs et chrétiens ré-ouvre l’espérance en ces temps difficiles et restera dans les mémoires. Oui, comme le disait le rabbin Haddad : Dieu était vraiment là dans cette ambiance de Shalom, et communiquera son souffle pour que, comme le disait Mgr Beau, cela fasse peu à peu contagion, et que d’autres prennent la relève pour poursuivre ces initiatives de dialogue.

Merci aux organisateurs et à toutes les équipes autour d’eux (dont beaucoup de bénévoles sur place) qui ont relevé cet immense défi et n’ont pas ménagé leurs efforts pour que la session soit une réussite humaine, œcuménique, inter-religieuse et spirituelle.

Elisabeth Martin , le 23 juillet 2014
Membre du Comité Directeur de l’AJCF

 Idées force des conférences plénières et de la table-ronde de jeudi

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Photos : selon les cas, © Vincent Royer ou TC