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Hommage d’Élisabeth Martin à Francis Deniau

Après la publication de nombreux témoignages après le décès de Mgr Francis Deniau, Élisabeth Martin nous a envoyé son commentaire ainsi que la lettre qu’elle lui a envoyée et qu’il n’a pas pu lire.

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Très beaux témoignages à Francis Deniau, dont je remercie le site de les avoir publiés. Ils disent la diversité des sensibilités toutes unanimes sur la grandeur de cet homme d’Église qui a cherché toute sa vie à être un frère en humanité, à la suite de notre grand frère juif que nous suivons dans la foi.

Il m’a beaucoup marqué, moi aussi, et sa douceur et son écoute profonde me renvoyaient à une profondeur insoupçonnée pour aborder ces réalités de l’avancée du dialogue et ces questionnements et émerveillements que nous partagions. Il m’a aussi aidée, aux séjours de l’association Davar, à travailler plus en vérité ma foi chrétienne, en trouvant la bonne posture grâce à sa présence pour rester profondément ancrée dans mon terreau chrétien tout en risquant l’ouverture et le travail de "nettoyage" des scories de nos inconscients collectifs et personnels, indispensable conversion de regard et de cœur au contact des Juifs présents, pour ensuite oser une transmission de cette lumière nouvelle dans nos communautés locales. Je lui avais écrit une lettre, dès que j’avais su par le communiqué de Davar qu’il avait rejoint l’unité des soins palliatifs de Jeanne Garnier, le samedi qui a précédé son grand départ. Lettre qui n’a jamais pu lui parvenir, puisqu’il est parti très vite, mais qui appartient désormais à cette mystérieuse "communion des saints" qui nous relie, telle cette échelle de Jacob entre terre et ciel.

Si je la communique, c’est uniquement pour ajouter une note à ce bouquet de témoignages, tout simplement pour lui redire combien nous sommes nombreux à l’avoir accompagné au crépuscule de sa vie terrestre et à l’aurore de sa vie en Dieu.

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A Mgr Deniau, Maison médicale Jeanne Garnier – 106, rue Émile Zola – 75015 Paris
Carte : « L’enfant marche joyeux, sans songer au chemin ; il le croit infini, n’en voyant pas la fin ». Alfred de Musset

Cher ami très cher,

Le message reçu de Davar nous faisant part de votre transfert à Jeanne Garnier me touche beaucoup au cœur de l’amitié qui s’est installée entre nous dans le cadre des relations à renouer entre Juifs et Chrétiens, via Davar notamment.

Quand on parle de « soins palliatifs », c’est dire que l’appel du large est réalité concrète, et que le passage se prépare vers un inconnu qui ne peut qu’être un « croire-avec-d’autres » en un amour qui nous emportera avec lui pour une renaissance… comme l’a traduit magnifiquement Teilhard de Chardin dans sa : « Messe pour le monde » : « Celui qui aura aimé passionnément Jésus caché dans les forces qui font mourir la Terre, la Terre en défaillant le serrera dans ses bras de géants, et avec elle, il se réveillera dans le sein de Dieu ».

Je ne peux qu’être admirative de cet « amour passionné de Jésus » dont vous avez témoigné par toute votre vie et votre attention à l’autre dans la relation, dans votre ministère d’évêque, et ce que j’ai moi-même approché de votre mystère d’être dans une relation d’amitié et d’estime profonde, qui m’a toujours marquée. J’aimerais pouvoir vous dire aussi bien que cet auteur ces paroles qui font sens aujourd’hui pour moi en pensant à vous en ces moments de vie intense que vous vivez et qui imprègne votre message de vœux : « Quand, l’âge venant, la maladie vint frapper à ta porte, tu ne te dérobas pas, mais tu rassemblas patiemment les mots pour tendre un fil entre effroi et espérance, offrande magnifique au Royaume à venir, où le corps rêve de ce corps qui sera sans ombre ».

Votre maladie est venue vous surprendre à un moment où d’autres projets étaient engagés… Avenir qui s’ouvrait plus comme une « crevasse vertigineuse » ou un « passage obscur » que comme une perspective dynamique. Et pourtant, vous avez affronté, vous avez avancé sur un chemin de consentement et d’acceptation dans ce combat que vous menez contre ce mal qui amoindrit et emporte, immense témoignage d’une vie sur laquelle nous n’avons pas la maîtrise, qui nous échappe et nous invite à la remise.

Permettez-moi de vous citer une fois encore Teilhard de Chardin, en union de prière avec vous dans ces heures sombres où « le traitement n’est plus efficace et le cancer a repris » : « A toutes ces heures sombres, donnez-moi de comprendre que c’est Vous (pourvu que ma foi soit assez grande) qui écartez douloureusement les fibres de mon être pour pénétrer jusqu’aux moelles de ma substance, pour m’emporter en Vous ».

Un jour, pour nous aussi, le voile se déchirera et nous nous découvrirons là où nous n’avons jamais cessé d’être, dans l’amour qui nous fait être, nous porte et nous fait traverser nos abîmes.

Je crois, dans la foi, qu’au moment où m’a été arraché mon père et ceux que j’aime, du moment où nous ne pouvons plus rien pour les retenir à la vie, Dieu s’est tenu en face pour les accueillir et redresser en sa mémoire leur corps affaibli. Ils ont rendu leur souffle, mais pour le reprendre ailleurs, auprès de Dieu.

Inviolable tendresse de Dieu, qui devance notre vie et la recueille quand elle fuit.
Je suis en communion de prière et de cœur avec vous.

Élisabeth M.

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