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Florence Taubmann : Discours à la synagogue de Rennes le 18 juillet 2012

Dans le cadre de la session Découvrir le Judaïsme, Les chrétiens à l’écoute à La Hublais du 17 au 22 Juillet 2012

Chers amis,

C’est avec beaucoup d’émotion que je me vois proposer de prendre la parole ce matin, dans cette synagogue, et dans cette Bretagne où j’ai des attaches familiales. Nous sommes réunis pour nous souvenir ensemble de la rafle du Vel d’Hiv, cet événement affreux de juillet 1942, qui inaugurait l’horreur de la Shoah. Or la première fois que j’ai pris connaissance – sans en prendre véritablement la mesure, du martyre du peuple juif lors de la seconde guerre mondiale, c’était justement en Bretagne, en découvrant, dans la bibliothèque de mes parents, un livre caché à l’arrière d’une étagère, dont le titre était « Médecin à Auschwitz ». Je le lus de bout en bout, j’avais 14 ou 15 ans peut-être, et je ne réalisais absolument pas ce que j’étais en train de lire. Mais comme régnait dans notre famille une atmosphère très silencieuse, je n’osais poser de question à personne. C’est plus tard, à Rennes, qu’un camarade de lycée m’expliqua et m’aida à comprendre ce qui s’était passé. Et encore des années après il me fut donné de rencontrer des protestants, et de découvrir les opérations de sauvetage qui avaient été menées pendant la guerre par ceux que l’on appellerait les Justes parmi les Nations. Accompagnant un jour mon mari pour un reportage au Chambon-sur-Lignon, je me souviens de cette réaction de certains d’entre eux, interrogés sur leur engagement : « Nous n’avons fait que notre devoir en essayant de protéger des vies menacées, et en particulier celle des enfants. Et il s’agissait du peuple de Dieu ! »

Prendre conscience de la puissance des forces de mort et du courage des forces de vie assigne les chrétiens à un double devoir : devoir d’écoute de la mémoire juive et d’aide au témoignage, puis devoir d’étude historique et d’enseignement. Car il faut que les générations montantes comprennent avec leur tête et avec leur cœur ce qui s’est passé, et il faut rester vigilant envers toutes les entreprises négationnistes, qui lancent leurs assauts de manière récurrente dans l’histoire. C’est ce travail qu’accomplit depuis de 60 ans l’Amitié judéo-chrétienne de France, née de la prise de conscience que l’antijudaïsme traditionnel des Églises ne pouvait être considéré comme étranger au martyre du peuple juif. Elle continue, encore aujourd’hui, à susciter et à encourager des vocations de témoins et d’enseignants.

Mais dès le début, ce devoir s’est accompagné d’une autre prise de conscience : la nécessité de rencontrer le judaïsme et le peuple juif vivants, aujourd’hui, afin de les reconnaître comme témoins d’une alliance toujours actuelle avec le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. Alors certains chrétiens ont commencé à s’ouvrir à la tradition juive, à la compréhension de la vie juive, à la connaissance du sens du shabbat, des rites et des fêtes, afin de pouvoir corriger autour d’eux, quand cela s’imposait, les a priori erronés hérités de l’antijudaïsme traditionnel. Mais nous devons donner de la résonance à ce travail car il y a toujours beaucoup à faire.

En même temps il ne faut jamais oublier, comme c’est inscrit dans l’article 2 des statuts de l’AJC, que nous avons la responsabilité de lutter contre toute forme d’antisémitisme et d’antijudaïsme. On voit, hélas, qu’ils connaissent un regain, dont la violence possible a été révélée par les assassinats de Toulouse. Par ailleurs les discours de haine circulant quotidiennement sur le Net, le plus souvent en provenance de circuits islamistes radicaux, s’allient à une vulgate antisioniste qui a souvent du mal à cacher ses relents antisémites. Et cela a pour effet de libérer le vieil antisémitisme traditionnel.

Parfois cela nous semble, à nous chrétiens, impensable et inimaginable. Mais alors nous avons véritablement le devoir moral de prêter l’oreille à ce que nous disent nos amis juifs, afin d’être à leurs côtés, et que les fruits de notre dialogue et de notre amitié poursuivent leur mûrissement et attirent, par leur arôme, les cœurs de nouvelles personnes de bonne volonté.

Pasteur Florence Taubmann

Photo : Vincent Royer

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