L’enthousiasme et l’imagination de certains hébraïsants plus ou moins amateurs entraînent pourtant quelques-uns d’entre eux à proposer des commentaires assez surprenants, fondés sur le postulat que chaque mot renverrait de lui-même à tous les termes avec lesquels il serait en relation, réelle ou imaginaire, de parenté étymologique. Le sermon sur la montagne serait le principe d’une vie nouvelle en raison d’une prétendue communauté de racine entre la montagne (har) et la conception (harah), tandis que le mot qui désigne le marché aurait une relation directe avec l’omoplate, suggérant ainsi l’idée de l’articulation du corps social, etc.
On s’étonne que l’idée ne soit jamais venue à ces commentateurs d’explorer de la même manière les richesses de la langue française, qui ne le cèdent en rien à celle de l’hébreu. Prenons l’exemple du mot révolution. De prime abord, on n’y voit pas de rapport avec celui de volubilis, issu de la même racine latine désignant un mouvement rotatif. La première, pourtant, n’a-t-elle pas pour but de préparer les lendemains paisibles et fleuris qu’évoque naturellement le second ? Passons rapidement sur le revolver, dont le rapport avec la révolution n’est malheureusement que trop évident, et même sur les volutes dans lesquelles doivent se dissiper les vestiges d’un passé révolu. Remarquons surtout que le terme de révolution, au sens propre, désigne le mouvement que décrivent les astres sur leurs orbites : le discours du révolutionnaire n’a-t-il pas pour objet de promettre la lune ?
En feuilletant le dictionnaire et avec un peu d’imagination, on peut se livrer au même exercice à propos de n’importe quel autre mot, et chercher par exemple à établir des corrélations entre ces cousins éloignés que sont banquet et banqueroute, ineffable et infanterie, canine et canicule ou conclave et clavicule. On pourrait même en faire l’objet d’un jeu de société, dont le déroulement, gageons-le, amènerait à des trouvailles hautes en couleur.
Ajoutons que certaines des richesses prêtées à la langue hébraïque proviennent en réalité d’une lecture inattentive des mots et de la confusion entre des termes d’orthographe ressemblante. Pour prendre encore une comparaison dans le domaine de la langue française, si l’on enrichit le mot espadrille des harmoniques de celui d’escadrille, l’horizon sémantique s’élargit pratiquement jusqu’à l’infini.
Ce genre d’exercice, appliqué sans discernement à la langue hébraïque, est contestable et dangereux.
Contestable, parce que l’idée que chaque mot renverrait implicitement à tous les termes de la même origine est loin d’être fondée. Plus que l’étymologie, c’est l’usage qui donne aux mots leur sens et leurs harmoniques. A s’en tenir à la pure étymologie, les mots français carnivore et sarcophage devraient dire exactement la même chose. Lorsqu’il a fallu, au XIXe siècle, inventer un mot pour désigner les voitures qui pouvaient se déplacer sans chevaux, on a formé à partir du grec et du latin le mot hybride d’automobile. S’il n’avait déjà existé pour désigner une autre notion, on aurait pu aussi bien, pour désigner un véhicule mu par une force intérieure, fabriquer celui d’énergumène ; et puisqu’il vient d’être question d’automobile, personne, aujourd’hui, ne risque de confondre cet ancien néologisme avec la locution, étymologiquement synonyme, de motu proprio.
Dangereux, parce que ces acrobaties verbales donnent une idée fausse de ce qu’est l’authentique lecture juive de l’Écriture. Quand les maîtres du Talmud mettaient en œuvre les procédés de l’exégèse midrashique, ils s’appuyaient sur des présupposés théologiques et poursuivaient des buts que la recherche scientifique peut mettre en lumière. Laisser croire qu’il suffirait aujourd’hui, pour suivre leur exemple, de laisser libre cours à l’imagination, c’est entretenir l’opinion, déjà entendue, que l’exégèse rabbinique ne serait qu’un pur délire. C’est le plus sûr moyen de jeter le discrédit sur la cause que l’on prétend défendre.
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