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"Un ’Mémorial Lustiger’ à Abu Gosh" par Bruno Charmet

« Aux sources de la Promesse » [1]. Tel était l’intitulé de l’invitation adressée aux amis du Cardinal Lustiger les conviant à se retrouver en terre d’Israël autour d’un Mémorial consacré à son œuvre de réconciliation entre Juifs et Chrétiens, commémoration mais peut-être plus encore promesse d’avenir, « à la frise de nos espérances communes », pour reprendre une expression du Père Bernard Dupuy, op, citée par le Cardinal Vingt-Trois. A la fin de sa vie, devait rappeler ce dernier, le Cardinal Lustiger confiait en effet à ses proches : « Je ne travaille pas pour le mois prochain, mais pour vingt ans, trente ans ».

L’inauguration de ce Mémorial (23 octobre), si bien pensé par les moines et moniales d’Abou Gosh [2], et réalisé par l’architecte israélien Zvi Efrat, fut le cœur d’un voyage (21-28 octobre) bien plus encore que d’un pèlerinage traditionnel en Terre Sainte tant son initiateur et inspirateur, le Père Patrick Desbois, a réussi à faire percevoir de manière quasi-charnelle le lien du peuple juif avec sa terre à travers les drames d’une histoire où la relation avec ses voisins n’a pas encore reçu une réponse qui puisse satisfaire les protagonistes en présence.

Comment rendre compte de ces journées faites de communion et de retrouvailles autour des écrits et gestes posés par le Cardinal Lustiger en direction de la rencontre judéo-chrétienne, cœur secret de l’histoire de l’humanité, tant le peuple juif ne cesse, dans sa particularité, d’adresser un message universel qui dérange et interroge les nations de l’univers ?

D’ores et déjà, nous pouvons annoncer que la revue Sens publiera dans quelques mois l’intégralité des discours prononcés lors de l’inauguration de ce Mémorial. Mais dès maintenant, nous voulons souligner l’atmosphère éminemment fraternelle et spirituelle d’une telle cérémonie à laquelle nombre de Juifs et de Chrétiens vivant en Israël s’étaient joints aux 140 amis et connaissances du Cardinal Lustiger venus principalement de France et de Belgique.

Parmi les nombreux messages et témoignages, nous voulons particulièrement relever ceux du Cardinal Vingt-Trois et du Docteur Richard Prasquier.

Le premier rappela les origines juives du Cardinal, mais pour aller plus loin qu’un simple constat : « On pourrait se dire que finalement, né juif, il était demeuré fidèle à ses racines », commentant : « Cela est vrai pour une part ». Mais il ajouta de façon pertinente : « réduire sa relation au peuple juif à ses origines, c’est s’interdire de comprendre le mystère qui l’habitait, mais aussi qu’il habitait. Ce serait oublier que sa découverte du judaïsme était indissociable de la découverte de l’enracinement juif de l’Église catholique. »

Il existe en effet le risque, pour l’immense majorité des Catholiques de par le monde qui n’est pas juive, de ne voir dans la singularité juive du Cardinal Lustiger qu’une anecdote biographique n’engageant pas l’essence même de leur foi. Or pour tout Chrétien, le Mystère d’Israël doit habiter sa propre foi, et c’est ce à quoi la personne même du Cardinal Lustiger nous renvoie.

Quant à Richard Prasquier, ancien Président du Crif et initiateur tenace du projet, il émut fortement l’assistance par la tonalité même de son témoignage fait d’un tact extrême, mêlant affection retenue et immense respect, comme Juif, devant le parcours spirituel d’Aron Jean-Marie Lustiger : « Il est très difficile, mais je pense qu’il est indispensable, que chacun d’entre nous admette que nous devons accepter des décisions qui viennent du plus profond de la spiritualité intime et de la liberté des individus, à condition que ces décisions ne pèsent pas sur la liberté et la spiritualité des autres individus. »

Il faudrait encore citer bien d’autres messages, ceux de Shimon Pérès, du Pape François, du Père Abbé d’Abu Gosh, de l’ancien maire musulman d’Abu Gosh, de Mgr Fouad Twal, Patriarche latin de Jérusalem,... Certains de ces textes sont sur un certain nombre de sites facilement consultables. [3]

Bernadette et Bruno Charmet à Bar-Ilan

Mais ce voyage en Terre Sainte ne se réduisit pas à cette cérémonie, aussi belle fût-elle. Le Père Patrick Desbois, cheville ouvrière d’un tel projet, grâce à sa connaissance éprouvée du terrain, avait remarquablement bien agencé ce programme fait de visites et de rencontres aussi riches qu’étonnantes, aussi bien dans les domaines de l’art (théâtre Habima) que de l’histoire du peuple juif (manuscrits de Qumran, musée de la diaspora), de la culture (université Bar-Ilan), ou du patrimoine de l’État d’Israël (Massada, Son et Lumière à la tour de David), sans oublier des réceptions importantes (à l’ambassade de France, au consulat), ainsi qu’une rencontre émouvante avec l’église paroissiale palestinienne de Beith Sahur. La délégation des cardinaux, évêques (NN. SS Vingt-Trois, Ricard, Jordy, Beau) et prêtres présents a pu, de son côté, être chaleureusement reçue par les deux Grands Rabbins d’Israël nouvellement nommés. [4]

Messe dans le Neguev avec Mgr Beau

Par dessus tout ont prévalu les échanges, de personne à personne, fondement de toute rencontre et de tout dialogue.

Bruno CHARMET , le 4 novembre 2013

Dossier de l’AJCF sur le "Mémorial Lustiger à Abu Gosh" avec présentation, revue de presse, phtos, vidéos, discours

[1Il s’agit, bien évidemment, d’une allusion directe au livre du Cardinal Lustiger, La Promesse, éd. Parole et Silence, 2002. C’est en 1979 que le P. Lustiger prêcha une retraite pendant une semaine aux moniales de Sainte Françoise Romaine, monastère jumelé avec le Bec Hellouin, sur le Mystère d’Israël et dont ce livre recueille l’enseignement.

[2Rappelons que le Cardinal Lustiger aimait venir rencontrer les moines et moniales et se recueillir à l’abbaye d’Abu Gosh.Il ne pouvait y avoir de lieu plus symbolique pour évoquer sa mémoire. En introduction à La Promesse, il rappelait : “En 1975 ou 76, j’étais allé à l’abbaye du Bec Hellouin prendre un temps de prière. Avec grande joie intérieure, j’y avais rencontré Dom Grammont, le Père Abbé. Il m’avait appris son intention d’envoyer quelques-uns de ses frères rétablir la vie monastique dans l’abbaye d’Abu Gosh en Israël. Parmi eux se trouvait le jeune frère Jean-Baptiste, qui deviendra dans la suite Père Abbé de la nouvelle fondation. Cette vie monastique devait s’insérer dans la réalité contemporaine du pays. […] Le projet du Bec-Hellouin m’avait impressionné, car il reposait sur l’humble et pacifique prière de quelques moines. J’exprimai mon sentiment à Dom Grammont, dont j’admirais les inititives sages et audacieuses pour l’unité des chrétiens et la relation avec le peuple juif.”, op. cit., pp. 5-6.

[4Cf. Céline Hoyeau, Des cardinaux français au grand rabbinat d’Israël, in La Croix, 28 octobre 2013.