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Juifs et chrétiens, partenaires de l’unique alliance, par Bruno Charmet

Témoins et passeurs

Ed. Parole et Silence
2015, 25 €

Après la courte recension de cet ouvrage publiée sur notre site en mai 2015, nous avons le plaisir de publier cette recension plus complète rédigée par Mireille HADAS-LEBEL, vice-présidente de l’AJCF.

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Bruno Charmet, qui assume depuis seize ans avec le plus grand dévouement la direction de l’Amitié judéo-chrétienne de France, a déjà contribué à quatre ouvrages consacrés au dialogue entre Juifs et Chrétiens publiés par Parole et Silence (1) . Celui qu’il publie aujourd’hui est entièrement le sien, né de ses rencontres, ses enquêtes et ses réflexions. La plupart des articles qui le composent, originellement publiés dans Sens, ont été revus et augmentés pour cette publication.

La couverture de l’ouvrage porte les photographies de ceux qu’il a côtoyés de plus près – sans doute moins connus encore du grand public – : Colette Kessler et le Père Bernard Dupuy, une juive et un chrétien, qui tous deux jusqu’à l’épuisement de leurs forces, ont œuvré pour le rapprochement des esprits et des cœurs.

Le titre « partenaires de l’unique Alliance » se réfère à un écrit du cardinal J. Ratzinger (Parole et Silence, 1999) et écarte d’entrée de jeu la notion de substitution qui a si longtemps obscurci les relations entre Chrétiens et Juifs.

Parmi les fondateurs de la chaîne de l’Amitié judéo-chrétienne, B. Charmet a choisi d’évoquer les figures aujourd’hui disparues de personnalités marquantes juives (Emmanuel Levinas, Colette Kessler, Jules Isaac, Léon Brunschvicg) ou chrétiennes (J.-M. Lustiger, B. Dupuy, Ch. Journet, J. Maritain, Maurice Blondel, Aimé Forest).

À deux penseurs juifs engagés, l’amitié judéo-chrétienne emprunte des exégèses universalistes : Levinas sur l’hospitalité d’Abraham, Colette Kessler sur “Dieu caché, Dieu révélé ». Pour Jules Isaac et Léon Brunschvicg, il rappelle les drames qu’ils vécurent pendant la Seconde Guerre mondiale et le soutien courageux de leur ami Maurice Blondel dont la correspondance, les carnets intimes (1894-1949) et l’œuvre philosophique que l’Auteur a pris la peine de consulter, témoignent d’une lucidité rare en son temps.

Un chapitre particulièrement important (ch. 4) est consacré à « quelques rencontres du Cardinal Lustiger ». Bruno Charmet, qui a travaillé vingt ans (1979-1999) au Service Information-Communication de la Conférence des Évêques de France, était particulièrement bien placé pour évoquer ce qui a « inspiré, nourri la pensée, la prière du cardinal », qu’il s’agisse de personnalités (Jean-Paul II, le cardinal Decourtray, Stanislas Fumet, le Père Dupuy, Élie Wiesel, le P. Patrick Desbois), de lieux (Auschwitz, la Pologne, Jérusalem, les yeshivot de New York) et de « toute une nuée » de gens qui l’ont connu. L’Auteur n’hésite pas cependant à ouvrir des dossiers plus difficiles : celui de la démission d’Henri-Irénée Marrou, premier président de l’AJCF, pour cause de désaccord avec les thèses de Jules Isaac, ou celui de la canonisation d’Edith Stein.

Le chapitre sur Bernard Dupuy : « Une vie au service d’une juste connaissance du judaïsme », publié dans l’année même qui a suivi sa mort, constitue un bel hommage à cette figure lumineuse qui a su gagner la confiance de ses interlocuteurs juifs par son engagement dans le dialogue et sa profonde connaissance des sources juives.

L’ouvrage fait place aussi à des précurseurs du dialogue. Pour ce faire, l’Auteur a parcouru l’immense correspondance entre l’abbé Journet (plus tard cardinal) et Jacques Maritain (six volumes de 1920 à 1973) en se concentrant plus particulièrement sur les années 1940-1949 et 1965-1973. À cette occasion, il ouvre deux dossiers particulièrement sensibles : le débat sur l’attitude de Pie XII à l’égard des persécutions antijuives, là où Maritain et quelques-uns de ses plus illustres contemporains (Camus, Claudel, Mauriac) attendaient non une intervention diplomatique discrète mais une parole forte et prophétique, puis la décevante formule de la rédaction finale de Nostra Aetate qui retire le mot « condamne » de la version précédente pour se limiter à « déplorer » la haine et les persécutions. La vigoureuse lettre de Maritain à Journet à ce propos (p. 192) arriva, semble-t-il, trop tard.

Le dernier chapitre du livre « Aimé Forest face au drame d’Oradour-sur-Glane » nous confronte à une tragédie française qui a marqué la fin de la Seconde Guerre mondiale ; il nous aide à découvrir le philosophe catholique Aimé Forest, ami de l’abbé Duret et de Jacques Madaule, inspiré par Lavelle et Le Senne, fondateur, en 1949, du premier groupe d’AJC à Montpellier (2), au sortir d’une terrible épreuve : les Barbares d’Oradour lui avaient enlevé deux de ses enfants et vingt personnes de sa famille. La profondeur de sa foi lui inspira une force intérieure admirable.

Ce livre n’est pas une simple galerie de portraits anecdotiques. C’est le résultat d’une recherche patiente qui nous fait découvrir une foule de textes rarement cités mais d’une importance majeure. Cette recherche menée avec foi et persévérance nous fait aussi découvrir son auteur.

Mireille HADAS-LEBEL


[1] Cf. André Chouraqui, Le destin d’Israël. Correspondances avec Jules Isaac, Jacques Ellul, Jacques Maritain et Marc Chagall. Entretiens avec Paul Claudel, annotés par Bruno Charmet et Yves Chevalier, présentation d’Yves Chevalier, Parole et Silence, 2007, 285 p. 20 € [cf. Sens, 2007 n° 9/10, p. 557] ; Juifs et Chrétiens, pourquoi nous rencontrer ?, Présenté par Mgr J. Beau, B. Charmet, Y. Chevalier. Préface de Jean Dujardin. Parole et Silence / École cathédrale, Coll. Juifs et Chrétiens en dialogue (T. I), 2013, 264 p., 17 € [cf. Sens n° 383 (novembre 2013), p. 798] ; Juifs et Chrétiens, pour approfondir le dialogue, Présenté par Mgr J. Beau, B. Charmet, Y. Chevalier. Préface de Michel Remaud. Parole et Silence / École cathédrale, Coll. Juifs et Chrétiens en dialogue (T. II), 2013, 240 p., 19 € [cf. Sens n° 391 (juillet-août 2014) p. 575] ; Chrétiens, à l’écoute de la tradition d’Israël, Présenté par Mgr J. Beau, B. Charmet, Y. Chevalier. Préface de Pierre Lenhardt. Parole et Silence / École Cathédrale, Coll. Juifs et Chrétiens en dialogue (T. III), 2014, 286 p., 20 € [cf. Sens n° 396 (février 2015), p. 149]. [NDLR].

[2] Information communiquée par le Professeur Carol Iancu, lui-même actuel président de l’AJC de Montpellier |NDLR].


Bruno Charmet, après une Maîtrise de philosophie et le diplôme de l’Institut Français de Presse, a travaillé vingt ans (1979-1999) comme rédacteur au Service Information-Communication de la Conférence des Évêques de France. Depuis 1999, il est Directeur de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France, et également expert auprès du Service national de l’Église catholique pour les relations avec le Judaïsme.