C’est donc tout l’enjeu de cette étude de rééquilibrer le rôle de ces deux évêques, notamment dans leur lutte pour sauver le maximum de Juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale dans leur diocèse de Toulouse.
Du Cardinal Saliège, on dispose désormais de nombreuses études et rééditions de certains de ses écrits [1] ; de Mgr de Courrèges, l’auteur donne une bibliographie finalement assez mince. Ce dernier a peu écrit, à l’exception des éditoriaux et autres articles déposés dans le bulletin diocésain de Montauban lorsqu’il fut évêque de ce diocèse (1947-1970), après son épiscopat toulousain (1935-1945), et des précieux souvenirs de la période de la Deuxième Guerre mondiale qu’il publia dans de rares revues [2] . Et c’est aussi l’originalité de ce livre que d’avoir recouru à des sources archivistiques peu exploitées jusqu’à présent, notamment celles du diocèse de Toulouse.
L’auteur restitue bien l’itinéraire des deux évêques, depuis leur formation sacerdotale jusqu’à leur décès, mais cette recension voudrait plus particulièrement s’attacher ici à l’extraordinaire réseau de sauvetage des Juifs et des résistants qu’ils surent tisser tous deux dans le diocèse de Toulouse, en mettant en valeur tout particulièrement l’action de Mgr de Courrèges restée beaucoup moins connue jusqu’à nos jours.
Il faut dire que la célèbre déclaration de Mgr Saliège du 23 août 1942, avec son cri sorti du cœur : « Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux... » (cf. p. 78-79) polarisa toutes les attentions, à juste titre d’ailleurs, car elle eut un énorme retentissement qui dépassa même l’Hexagone, pour se propager jusqu’à Londres (qui rediffusa cette courageuse protestation), jusqu’au Vatican, et ailleurs... Document emblématique qui permit de catalyser la conversion qui, après les premières rafles massives de l’été 1942, s’opérait dans la mentalité des Français et qui fut suivi par les déclarations publiques de neuf autres évêques (cf. p. 80, note 45). Protestation qui venait de loin, de sa part... On suivra en effet, dans cet ouvrage, son combat inlassable contre le nazisme entamé dès le début des années 1930.
Le travail de protection au quotidien des communautés catholiques, des couvents, à l’égard des Juifs, des enfants, des familles entières souvent, est ici bien mis en valeur, détaillant spécialement l’action tenace, persévérante de Mgr de Courrèges qui n’en fit quasiment jamais cas après la Libération.
Les deux chapitres, respectivement intitulés « Mgr de Courrèges, animateur de la résistance spirituelle à la Direction des Œuvres » (p. 70-76), et « Mgr de Courrèges, acteur clé du ’’réseau Saliège’’, avec Mademoiselle Thèbe et les colonies de vacances » (p. 89-99) sont particulièrement précieux car ils montrent combien, en tant qu’évêque auxiliaire de Toulouse, il a pu superviser en personne ces actions de sauvetage.
Des femmes très courageuses, attachées à l’archevêché de Toulouse, assistantes sociales ou religieuses, occupaient sur le terrain des responsabilités clés et ont admirablement recueilli et sauvé beaucoup de Juifs pourchassés, y compris nombre d’enfants. Citons les noms des Sœurs Denise Bergon et Marguerite Roques, Louise Thèbe, Marguerite Sol, Thérèse Dauty, Marie-Rose Gineste (du diocèse de Montauban, en lien avec Mgr Théas, auteur lui-même d’une protestation vigoureuse quelques jours après celle de Mgr Saliège).
Et bien sûr, il y a tout le réseau des prêtres aux postes clés du diocèse en collaboration directe avec Mgr Saliège et Mgr de Courrèges, les abbés Gèze, Garail, Lagarde, Martimort, de Naurois (avant son départ pour Londres), Bruno de Solages, le Recteur de l’Institut catholique de Toulouse, qui hébergea un grand nombre de Juifs et de résistants (par exemple le philosophe V. Jankélévitch), notamment dans sa bibliothèque.
On découvre aussi le lien privilégié qu’il eut avec le nonce apostolique, Mgr Valerio Valeri, qui lui fit parvenir des sommes importantes directement du Vatican pour aider toute son action de sauvetage, particulièrement pour les camps d’internement, et le rôle décisif du Père Roger Braun, sj [3] , qui, après la guerre, fut une grande figure du dialogue judéo-chrétien, avec sa revue Rencontre [4] .
Bien d’autres aspects de l’action et de la pastorale de Mgr de Courrèges (ainsi son épiscopat d’après-guerre pour le diocèse de Montauban) seraient à relever à partir de ce livre novateur qui dévoile également de nombreux témoignages recueillis au fil des ans.
Bruno CHARMET