C’est pourquoi je pense qu’évoquer aujourd’hui la mémoire de Jules Isaac en ces lieux mêmes où il a vécu, c’est bien sûr se souvenir de ce qu’il a été et de ce qu’il a fait, mais c’est surtout chercher à actualiser et à relancer vers le futur la volonté qui l’animait, le défi dont il s’est senti responsable. Je voudrais donc placer ce colloque sous la mémoire de Jules Isaac et des deux passions qui ont animé la vie de ce grand républicain pour lequel la laïcité était si chère : la passion de la vérité, et l’exigence éthique de justice.
Le texte complet en PDF :
Après l’exposé d’Édouard Robberechts, nous avons pu écouter un enregistrement très émouvant de la voix de Jules Isaac, parlant de l’écriture de son livre Jésus et Israël, parfait complément de la conférence.
Nous vous proposons de lire la transcription écrite de ses paroles :
Paroles de Jules Isaac
Je rappellerai d’abord que ce livre a été écrit de 1943 à 1946 aux heures les plus noires de ma vie. De là son caractère véhément, passionné. C’est un livre de douleur. Mais c’est aussi une action qui vise un but précis, un programme positif, le redressement de l’enseignement chrétien concernant Israël.
On me dira, on m’a déjà dit : « Mais vous étiez alors victimes de l’antisémitisme raciste, nazi, qui est aujourd’hui l’antisémitisme le plus virulent. Pourquoi vous tourner du côté de l’antisémitisme religieux, chrétien, qui ne joue plus de nos jours qu’un rôle secondaire ». Pourquoi ? Parce que je suis historien, habitué à considérer de tels problèmes dans toute l’ampleur de leur durée et non pas dans l’instant présent, passager, éphémère.
L’enquête historique m’a révélé que la racine la plus profonde de l’antisémitisme était un certain enseignement traditionnel chrétien qui s’est exercé pendant près de deux milles ans, de génération en génération, pendant des siècles, par des milliers de fois. Voilà pourquoi j’ai écrit Jésus et Israël.
A la base de cet enseignement traditionnel, on trouve un certain nombre de thèmes que j’ai appelé des mythes théologiques, parce que ce sont des mythes sans fondement. Et je crois avoir démontré dans Jésus et Israël comment ils débordent de toute part, comment ils déforment l’Écriture. Suivre pas à pas les textes évangéliques, les confronter à chaque pas avec les commentaires, les interprétations des auteurs chrétiens, tel a été le principe essentiel de mon livre, telle est sa méthode fondamentale.
Le livre se résume en vingt-et-une propositions, que j’ai essayé de rendre aussi condensées, aussi frappantes que possible, et peut-être y ai-je réussi, puisqu’un grand écrivain catholique – Julien Green – a pu dire de ces propositions : « Une première lecture des vingt-et-une propositions qui résument cet ouvrage, a quelque chose de si bouleversant qu’on ose garder le silence, alors qu’Israël pousse un tel cri d’angoisse ». Le temps très court qui m’est concédé, ne me permet évidemment pas de les lire, mais j’en citerai au moins à titre d’exemple une, une seule, mais une des principales dans la partie centrale, capitale - la quinzième proposition : « On prétend que le Christ aurait prononcé l’arrêt de condamnation et de déchéance du peuple juif. Et pourquoi donc, démentant son Évangile de pardon et d’amour, eût-il condamné son peuple, le seul auquel il ait voulu s’adresser, son peuple, où il trouvait avec des ennemis acharnés des disciples fervents, des foules adorantes ? Il y a toute raison de croire que le vrai condamné et le vrai coupable – un certain pharisaïsme qui est de tous les temps et de tous les peuples, de toutes les religions et de toutes les Églises ».
Remerciements pour l’enregistrement : Jean-Léon Cohen et Maddy Verdon