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Du neuf et de l’ancien

Au fil de l’Écriture
par Michel REMAUD
Préface de Jean Massonnet
éd. Parole et Silence, 2017, 209 p., 14 €

Ce petit volume est de la même veine que son précédent, Paroles d’Évangile, Paroles d’Israël [Cf. Sens, n°377, mars 2013, p. 263-264]. Il est composé d’une soixantaine de courts chapitres où l’auteur met en lumière une parole de Jésus, une scène d’Évangile,... qui renvoient à un riche patrimoine qui n’est pas seulement biblique (cela, on peut espérer que les Églises en ont conscience depuis longtemps), mais surtout rabbinique, c’est-à-dire qui émane de la tradition orale d’Israël, autrement dit la littérature rabbinique qui a rapporté ces paroles de rabbis souvent bien antérieures à leur mise par écrit et contemporaines de la vie de Jésus ou postérieures mais rendant encore bien compte du milieu pharisien dans lequel Jésus s’était exprimé.

C’est là un travail de pionnier qui renouvelle vraiment pour les chrétiens leur approche des Évangiles et de Jésus en le replaçant totalement dans son peuple. Le Père Michel Remaud excelle dans l’art de faire saisir, de façon vive et ramassée, telle parole de Jésus, telle situation de ses disciples, en écho avec la littérature midrashique qui était à l’époque tout à fait vivante et expressive. Nous en donnerons un exemple tout à fait parlant.

Mais écoutons d’abord Michel Remaud : « Quand un chrétien se plonge dans les commentaires juifs anciens sur le texte biblique, c’est toujours une surprise pour lui d’y découvrir des adages, des expressions, des paraboles ou des comparaisons qui lui sont familiers, mais dont il pensait qu’ils étaient nés dans la bouche de Jésus ou sous la plume des auteurs du Nouveau Testament. En réalité, beaucoup de ces formules faisaient partie de la culture ou de la sagesse de l’époque, et les retrouver dans l’Évangile montre à quel point Jésus et ses disciples étaient enracinés dans leur temps et dans leur peuple. Il peut même arriver que le sens de la formule soit plus clair dans la tradition juive que dans le Nouveau Testament et que la comparaison nous aide à mieux saisir la signification de la même parole dans l’Évangile » (p. 94-95).

Et un exemple en est immédiatement donné avec le passage d’Évangile dans lequel se trouve la recommandation de Jésus à ses douze apôtres quand il les envoie en mission pour la première fois : « Voici que moi, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups ; soyez donc rusés comme des serpents et candides comme des colombes » (Mt 10, 16). On s’arrête souvent sur l’expression de Jésus qui n’est pas explicitée dans l’Évangile alors qu’un commentaire juif ancien, qui porte sur quelques mots du Cantique des Cantiques, est assorti de deux précisions qui peuvent rendre l’image beaucoup plus claire, puisqu’en l’occurrence ce midrash renvoie lui aussi à l’attitude du serpent et de la colombe. Le commentaire rabbinique s’attache au verset « Ma colombe au creux du rocher » (Ct 2, 14). Il commence par souligner le possessif ma. Il ne s’agit pas de n’importe quelle colombe, mais de celle du Seigneur, c’est-à-dire son peuple : « Il n’est pas écrit ’une colombe’, mais ma colombe ». Et le commentaire poursuit : « Le Saint, béni soit-Il ! dit : ’Avec moi, ils sont candides comme la colombe ; mais avec les païens, ils sont rusés comme des serpents’ » (Cf. Midrash Tehilim 119, 1 ; Cf. Ct R 2, 14) (p. 96). Et Michel Remaud commente : « Autant le disciple devra faire preuve de prudence devant l’hostilité, autant sa familiarité avec son Seigneur le gardera en toutes circonstances dans la confiance. » Voilà qui donne un relief inattendu et saisissant pour un chrétien aux paroles non explicitées de Jésus, et lui permet de retrouver cette épaisseur de contenu dans laquelle Jésus lui-même évoluait à travers les discussions, parfois vives, qu’il pouvait avoir avec les fils de son peuple.

J’ai voulu donner cet exemple pour montrer comment l’auteur procédait dans son rapprochement avec des sources rabbiniques faisant écho aux paroles proches de celles de Jésus, mais il faut savoir que Michel Remaud en donne des dizaines dans son dernier livre et dans d’autres de ses ouvrages.

La fréquentation de la littérature rabbinique fait ainsi saisir de quelle manière les écrits néotestamentaires appartiennent au même monde et restent souvent mal compris, voire hermétiques, s’ils ne sont pas replongés dans leur milieu d’origine. « Les chrétiens ont reçu des juifs une Bible interprétée » avait coutume de dire le Père Roger Le Déaut, maître de Michel Remaud, traducteur du Targoum en français, et l’interprétation est indissociable du texte biblique.

Ces brefs chapitres invitent ainsi les chrétiens à mieux connaître leurs propres origines et le peuple au sein duquel, d’abord, a été prêché l’Évangile.

Bruno CHARMET