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Rashi par Élie Wiesel

"Encore un livre sur Rashi !" écrit David Banon au début de sa recension. Oui, mais quand l’auteur s’appelle Élie Wiesel, la lecture s’impose.
Après une présentation du livre, nous vous proposons deux recensions, une chrétienne par Georges Décogné (prêtre catholique) et une juive par David Banon .

Paru le 17/03/2010, Editeur Grasset, 131 pages, 12 €

Présentation de l’éditeur : « Il est la première référence. Le premier secours. Grâce à une étincelle venant de lui comme un sourire, tout s’éclaire. » Ainsi parle Élie Wiesel, qui rend un hommage poignant, dans ce livre bref et singulier, à l’une des figures majeures de la pensée juive : Salomon, fils d’Isaac, rabbin de Troyes au XIème siècle, plus connu sous le nom de Rashi. Né en 1040 et mort en 1105, Rashi fut l’un des plus grands commentateurs du Talmud. La légende rapporte que ses parents possédaient une pierre précieuse, que l’Église voulut leur acheter ; plutôt que de céder à la tentation, ils jetèrent cette pierre à la mer – et le ciel, en récompense, leur donna un fils qui, par son esprit, brillait plus encore que cette pierre précieuse. Mais Rashi n’est pas que légende : il est aussi le témoin d’une époque où la communauté juive, en France, jouissait d’un certain prestige et d’une certaine renommée. L’érudition rabbinique de Rashi, sous la plume à son tour lumineuse d’Élie Wiesel, est le signe d’une extraordinaire ouverture à toutes choses de l’esprit. Un appétit de chercher, de connaître, de comprendre, qui va bien au-delà de la lecture des textes sacrés ; un gai savoir qui nous parle encore, par delà les siècles.

Biographie de l’auteur : Élie Wiesel est né le 30 septembre 1928 à Sighet (Roumanie). Il n’a que quinze ans lorsqu’il est déporté à Auschwitz avec sa famille. Il y perd sa mère et sa petite sœur. Il est ensuite transféré à Buchenwald avec son père, qui meurt quelques jours après son arrivée. Libéré en avril 1945, il est pris en charge par l’Oeuvre de secours aux enfants (OSE). La Nuit, récit poignant, publié en 1958 grâce à François Mauriac, inaugure une œuvre littéraire forte d’une quinzaine de romans et récits, de quarante livres publiés en tout, traduits dans plus d’une vingtaine de langues.
Il a reçu de nombreux prix pour ses livres et son engagement humanitaire, dont le prix Médicis en 1968 pour Le Mendiant de Jérusalem, le prix du Livre Inter en 1980 pour Le Testament d’un poète juif assassiné. Le prix Nobel de la Paix lui est décerné en 1986. Il a publié dernièrement chez Grasset Le cas Sonderberg (2008) et Rashi (2010).

 Recension du Père Georges Décogné

parue sur le bulletin de l’Oeuvre des Campagnes, publiée avec l’autorisation de l’auteur et de l’Oeuvre des Campagnes

Le grand écrivain juif part ici sur les traces d’un autre grand penseur et passeur Salomon, fils d’Isaac, rabbin de la ville de Troyes (10401105), universellement connu sous le nom de Rashi. Le maître à l’érudition et à la générosité fascinantes fut la première référence d’Elfe Wiesel.
C’est l’enfant juif qui en moi le remercie ». Mais Rashi représente aussi la fidélité d’une vie « je ne peux avancer sans lui ».
Les thèmes favoris du populaire rabbin parlent d’eux-mêmes : la paix, l’étude, la compassion et la justice. Celui qui savait si bien briser l’écorce des mots acceptait humblement de ne pas avoir réponse à tout et a pu ainsi faire parvenir jusqu’à la modernité l’un des plus puissants et lumineux commentaires du Talmud. Le prix Nobel de la Paix lui rend ici un vibrant hommage, tout en apportant un passionnant éclairage historique sur l’époque de Rashi et son vaste rayonnement intellectuel.

 Recension de David Banon

parue dans L’Arche n°626-627/juillet-août 2010, publiée avec l’autorisation de l’auteur et de L’Arche, le magazine mensuel du judaïsme français.

Rashi raconté par Wiesel
Encore un livre sur Rashi ! C’est la première idée qui vient à l’esprit lorsque l’on ouvre cet opuscule. Mais celui qui s’est risqué à entreprendre ce travail n’est pas le premier venu. C’est Élie Wiesel, grand connaisseur de l’immense corpus de la tradition juive. Nanti de sa longue fréquentation de textes poussiéreux et vieux comme le monde, il s’est mesuré avec modestie et gratitude à ce maître incontournable pour quiconque veut pénétrer dans l’intimité de ces textes et quérir un éclat de leur signification.
Avec modestie, car Wiesel ne brosse pour les lecteurs, selon le sous-titre de son ouvrage, qu’une « ébauche de portrait ». Et gratitude : comment ne pas en témoigner à Rashi qui, depuis le Moyen-Âge jusqu’à nos jours – et certainement pour les générations futures, jusqu’à la fin des temps – guide les pas incertains de quiconque veut goûter aux délices de la Torah écrite et orale.
À sa manière, avec son style de conteur inimitable, Wiesel se situe d’abord dans la généalogie de Rashi pour dire ce qu’il doit à cet illustre maître. Mais c’est plus l’homme Rashi, l’être de chair et de sang, que Wiesel cherche à nous rendre palpable.

MORCEAUX CHOISIS
Il décrit d’abord son environnement. Il tente de retrouver ses traces dans la ville de Troyes et d’imaginer sa vie quotidienne. De quoi vivait-il ? Quels étaient ses rapports avec ses maîtres, ses filles, ses gendres ? Quelles relations entretenait-il avec les Chrétiens ? Était-il vraiment vigneron ? Comment a-t-il réagi aux massacres perpétrés par les Croisades qui ternissent les dix dernières années de sa vie ? Où se trouve sa sépulture ? Y en a-t-il même une ?
Par petites touches, mêlant anecdotes et légendes aux analyses des commentaires et enseignements de Rashi, Wiesel dresse un portrait tout en nuances où l’accent est mis sur l’homme sans oublier le maître. Ainsi, en lisant son commentaire du Talmud de Babylone, au traité Makkot 19b, on trouve dans la continuité du commentaire de Rashi cette note : « L’âme purifiée de notre Maître a quitté ici son corps pur. Et il cessa de commenter. À partir de cet endroit, c’est le langage de son disciple Rabbi Yéhouda ben Nathan. » (Rabbi Yéhouda était le disciple de Rashi, et aussi son gendre.)
Ailleurs, dans le traité Bava Batra 29a, on lit dans l’édition des frères Romm de Vilna, en caractères gras : « Jusqu’ici s’étend le commentaire de Rashi, de mémoire bénie, à partir de là Rabbi Shmouel ben Meïr [le Rashbam, son petit-fils] prend le relais. » Mais une note marginale signale que, dans l’édition de Venise, il est mentionné : « Ici mourut Rashi zal [initiales de l’hébreu zikhrono livrakha, que sa mémoire soit bénie]. » D’où cette remarque d’Élie Wiesel : « Contradiction ? Rashi était-il en train de rédiger ses travaux sur deux traités en même temps ? Les avis divergent… » Certes ; mais d’aucuns, faisant une lecture hyperlittérale des ces bribes d’information, s’accordent à établir que c’est là, entre les in-folio des traités du Talmud, que se trouve la sépulture de Rashi : Kan met Rashi zal [« Ici mourut Rashi zal »], à prendre au pied de la lettre.
Après avoir restitué quelques morceaux choisis de ses commentaires bibliques – et notamment le chapitre consacré à « Israël, le peuple et la terre », que tout Juif devrait méditer –, Wiesel clôt cet ouvrage par l’évocation des martyrs juifs pendant les Croisades. Un chapitre d’une grande tristesse, qu’on lit la gorge nouée par l’émotion, et où l’on relève la mésaventure d’un certain Shémaya, relatée par Shalom Spiegel dans son remarquable livre The last trial, que Wiesel cite pour illustrer les désastres de 1096 et la réaction de Rashi face à ces événements insupportables.